Un peu plus de six ans après son apparition rafraîchissante sur la scène indie pop française, Coming Soon a bien grandi. Moitié super-groupe, moitié laboratoire, le quintette a profondément remanié sa musique au contact de certains de ses disques de chevet. Surprise, ils sont allés chercher du côté du R&B américain et leur troisième album Tiger Meets Lion a des allures de créature pop hybride. Une réussite – sans beaucoup d’équivalents dans le paysage hexagonal – sur laquelle le chanteur Howard Hughes, son frère bassiste Billy Jet Pilot et le batteur Leo Bear Creek reviennent en détail autour d’une dizaine de mots-clés. [Interview Vincent Théval].

PARCOURS
Howard Hughes : Nous avons d’abord été pris dans la frénésie des débuts. On composait vite et on était très soutenus par le label Kitchen Music. Quand on envoyait des maquettes, ça devenait rapidement un album, c’était dynamique. Mais à un moment donné, on a voulu prendre du temps pour réfléchir à la musique. Chacun s’est recentré sur son instrument et on s’est posé des questions. Qu’est-ce qu’un groupe ? Qu’a-t-on envie de raconter et de chanter ? Comment veut-on présenter ce projet ? Tiger Meets Lion représente trois ans de travail intense. Nous avons réalisé que ce n’était pas si simple de se remettre en cause. On a eu envie d’accélérer les tempos, de s’aventurer dans la pop psychédélique, mais il nous a fallu du temps pour mettre en place les idées qu’on avait en termes d’arrangements et de chant. Il a fallu se mettre à niveau et beaucoup bosser, un travail quasiment quotidien dans un local avec des mémos d’iPhone pour mettre en place les nouveaux morceaux qui s’apparentaient à des puzzles.
Billy Jet Pilot : Nous avons sorti les deux premiers albums hyper vite et nous sommes passés rapidement des cafés-concerts à Lyon (la ville où la majorité des membres habitait alors) au festival Les Vieilles Charrues. Nous n’étions peut-être pas tout à fait prêts même si je pense que nous avons donné d’excellents concerts. Notre musique était plutôt folk mais on avait déjà envie de faire danser les gens, de les toucher de façon physique et immédiate. Et on est très contents d’avoir enfin réussi à le faire lors de nos derniers shows. C’est un plaisir de musicien, un concert doit être fun et Tiger Meets Lion est né de cette volonté.
HH : La question de la carrière, c’est la première fois qu’on se la pose. Après l’agitation initiale, les différentes dates et les différents projets commencent à dessiner un vrai parcours. Il est plutôt original, comme un vol d’oiseaux ou de moustiques. Il y a beaucoup d’aventures parallèles et de rencontres mais nous avons quand même réussi à tisser un fil rouge avec Coming Soon sans dénaturer le groupe. À un moment, on a imaginé changer de nom, mais très vite, on s’est dit que c’était bien cette histoire-là qu’on voulait continuer d’écrire.
Leo Bear Creek : Notre amitié s’est forgée autour des premiers concerts de Coming Soon, on tient encore aujourd’hui grâce à ces instants passés ensemble.
HH : Ce sont des moments auxquels tu n’es pas du tout préparé sur le plan émotionnel. Ils frappent d’autant plus qu’il existe une amplitude folle entre les pics de joie et les coups de blues. Ça a crée des liens incroyables entre nous, il y a tellement de souvenirs liés à cette époque qui subsistent.

PRINTEMPS
HH : L’aventure Dark Spring est survenue presque par magie. J’ai vu un spectacle théâtral de Bruno Geslin qui s’appelait Mes Jambes, Si Vous Saviez, Quelle Fumée, autour du photographe Pierre Molinier. Je l’ai trouvé magnifique. À l’époque, on commençait déjà à évoluer avec notamment l’envie de rajouter des éléments instrumentaux dans notre musique. Et il y avait dans cette mise en scène de Bruno Geslin quelque chose de très beau, assez sombre mais avec des percées de lumière. On s’est dit égoïstement qu’on s’y verrait bien. On a proposé à Bruno de venir à nos concerts, il a aimé et on a commencé à créer Dark Spring ensemble. Pendant les deux ans de travail, on a débuté parallèlement l’écriture de notre album. Durant les représentations de Dark Spring, nous nous trouvions en fond de scène pour accompagner une actrice, le déroulement d’un texte et d’une histoire – nous devions être conscients de ses mouvements. Nous avons alors ressenti une certaine frustration, l’envie de bouger et de danser. Et dans l’ombre de Dark Spring, du printemps, est né le début de l’été. (Sourire.) Jusqu’à Tiger Meets Lion, on se disait que la BO de Dark Spring (2012) était sûrement notre meilleur album. J’en suis très content. On l’a faite en toute liberté, sans aucune pression économique, on y a mêlé des paroles en français, des chansons, des choses instrumentales.
BJP : Le mot “printemps” signifie beaucoup pour Coming Soon. Pendant trois ans, on a passé chaque journée dans une cave en connaissant des moments d’euphorie parce qu’on avait trouvé des trucs d’enfer et des moments de dépression parce qu’en fait c’était nul. (Rires.) Un long tunnel traversé à cinq, s’adorant, se détestant, voulant aller voir ailleurs, changer de nom… Aujourd’hui, on a notre propre label (Kidderminster), les questions qu’on se posait ont trouvé des réponses, l’album sort : c’est le printemps de Coming Soon, une éclosion, une renaissance.

PARALLÈLES
HH : Ce qui est original dans notre histoire, c’est que les projets parallèles existaient avant la maison mère. Au départ, on était cinq à composer et Coming Soon était l’endroit où l’on arrangeait et rendait présentables ces morceaux éparpillés. Les deux premiers albums ont été faits dans cette dynamique-là, chacun arrivait avec un titre à peu près construit et on le développait ensemble du mieux possible. Comme on était tous prolifiques, les projets continuaient en parallèle mais tout restait lié. Petit à petit, l’identité de Coming Soon s’est affinée et les projets annexes ont suivi le même chemin en se radicalisant chacun de leur côté. Ils sont maintenant plus typés : le duo french pop The Pirouettes (ndlr. formé de Leo Bear Creek et Vickie Chérie), du R&B en français avec ArKaDin (ndlr. Howard Hughes avec Alexander Van Pelt et Ben Lupus) et de l’électronique avec Mount Analogue (ndlr. Alexander Van Pelt et Ben Lupus). Ces trois alias ont des points communs avec Coming Soon tout en ayant un son différent. On se trouve maintenant à un moment charnière, on a créé notre label et on peut faire connaître ces histoires parallèles. Ça devient encore plus important et cohérent.
BJP : Les frontières sont poreuses et nourrissantes. Je pense à The Pirouettes pour les mélodies par exemple. Leo est notre batteur et beaucoup des mélodies de Tiger Meets Lion viennent de lui, ça nous a donné envie de travailler davantage cet aspect-là. Par ailleurs, le savoir-faire électronique développé par Mount Analogue nous a permis d’apprivoiser les machines et les synthés.

R&B
HH : La reprise de Diamonds de Rihanna, c’est le dernier titre qu’on a abordé après nos compositions. On a toujours aimé faire des reprises, sur disque comme sur scène, mais dans des répertoires habituellement plus proches du nôtre. On donnait une indication claire sur une influence comme Bob Dylan ou Lou Reed. Sur le nouvel album, on s’est dit qu’il fallait aller voir ailleurs. On avait écouté beaucoup de R&B et du hip hop – Rihanna, Beyoncé, Drake ou le LP de Kanye West et Jay Z (ndlr. Watch The Throne, 2011) qui est pour nous une référence majeure de ces dix dernières années. On a tenté la reprise de Rihanna en se demandant ce que donnerait cette chanson electropop produite en studio si elle était interprétée par un groupe. Surtout, nous aimons le texte, beau et évocateur, pas si éloigné des musiques qu’on aime et qu’on écoute. Un défi qui a finalement débloqué plein de trucs.
LBC : Sur scène, on reprend aussi Losing My Way de Justin Timberlake, une autre influence en termes de composition, notamment pour les mélodies. Le R&B a donc été vraiment important, ce n’est pas une blague.
HH : Prends un groupe comme Phoenix. L’album qui a sans doute changé leur vie, c’est Thriller (1982) de Michael Jackson. Pour nous, c’est FutureSex/LoveSounds (2006) de Justin Timberlake qui a servi de guide. C’est une cave aux merveilles pleine de trouvailles mélodiques et rythmiques. La voix est sublime, c’est une œuvre extrêmement habitée. Ça représentait quelque chose de nouveau pour nous quand nous l’écoutions avant une répétition – un nouveau territoire. Le R&B est une belle musique parce qu’elle est tournée vers le futur. Avec un titre comme Vermilion Sands inspiré par la science-fiction de J. G. Ballard, on se tourne vers l’avenir. Je ne dis pas qu’on faisait auparavant une musique tournée vers le passé, mais on ne se posait pas la question. Le R&B a pu nous nourrir à ce niveau-là car c’est une musique de recherche, mais aussi très populaire, qui renferme des niveaux de lecture contradictoires, riche dans sa production. Nous sommes restés en marge de ce style pendant quelques années parce que nous étions centrés sur un genre précis qu’est l’indie rock. Certains membres écoutaient déjà du R&B mais nous n’avions pas su rendre notre musique perméable à cela.
BJP : C’est aussi une simple question d’instrumentistes. Si ton modèle s’appelle Pavement, c’est plus facile de s’en inspirer – ce qui n’enlève rien à Pavement, qui est un groupe fabuleux. Mais techniquement, pour s’ouvrir à ces nouvelles perspectives, on avait besoin d’être au point.

SCOTT COLBURN
HH : La question de la production était centrale sur Tiger Meets Lion. On a fait Dark Spring tout seuls, ce qui nous a amenés à nous poser beaucoup de questions liées à la production. On a donc commencé timidement à devenir producteurs, mais on savait que pour Tiger Meets Lion, avec notre ambition de mélanger les textures, de travailler sur les claviers, les boîtes à rythmes, la guitare, il nous fallait un interlocuteur expérimenté. On a fait une liste de noms et celui qui a répondu tout de suite sans parler d’argent, c’est Scott. Avant de nous écrire, il a écouté quasiment toute notre discographie et a particulièrement apprécié Dark Spring – un bon signe. Il a produit des disques magnifiques pour Prince Rama ou Animal Collective, il a fait les prises de Neon Bible (2007) d’Arcade Fire. C’est quelqu’un d’ouvert qui connaît toute l’histoire de la musique, il a masterisé des disques de blues pointus, des rééditions de Charley Patton, mais aussi travaillé avec des musiciens expérimentaux. Il sait enregistrer et surtout transformer un live en album. Nous avons accompli seuls la moitié du chemin puis Scott nous a guidés à partir de nos idées d’arrangements qui étaient déjà précises.

DUO
HH : Nous sommes un groupe exclusivement masculin mais on avait envie d’une voix féminine. Pour l’extrait Radio Broke, on a tout de suite pensé à Cassie Berman qu’on avait rencontrée avec Silver Jews en 2006 à Paris. Nous sommes devenus copains avec eux, s’écrivant et s’envoyant de la musique. David Berman est un habitué – je crois que tous les songwriters que nous avons rencontrés lui ont à un moment ou à un autre envoyé des morceaux, et il leur a répondu, à tous. Il lit les textes, fait des commentaires, très gentiment, sans donner aucune leçon. Il a toujours été ouvert, il est conscient du statut un peu exceptionnel d’écrivain de chansons. Cassie a quant à elle quelque chose de solaire. Ils forment un beau couple – lui est torturé, intense, assez solitaire, et elle, c’est l’inverse, elle est joyeuse et drôle. On a eu envie d’une voix américaine et de cette énergie, de cette présence lumineuse. Elle a enregistré en studio avec l’aide du batteur et le clavier de Silver Jews. David Berman a écouté la chanson et l’a trouvée super. C’était magique. Elle a su garder une énergie live, ça a été facile pour Scott d’assembler le tout et de donner l’impression qu’on joue ensemble – ce qui n’a pas été le cas pour des raisons de budget.
BJP : Elle a une voix et une diction qui évoquent Nashville et le sud des États-Unis mais sans être ringarde. En l’occurrence, elle a essayé de chanter de manière très pop en pensant à Blondie, elle s’est amusée.

IDENTITÉ
HH : C’est difficile de définir l’identité de Coming Soon parce que ça passe déjà par l’identité de chacun. Et on est tous différents. Certains ont des personnalités affirmées, des avis sûrs. Moi j’ai l’impression d’être perméable. J’admire beaucoup Peter Sellers, qui disait être dénué de personnalité et ne devenir quelqu’un qu’au contact des autres. Il racontait que Bienvenue Mister Chance (1979) était son film le plus autobiographique parce qu’il questionne l’identité. En groupe, on retrouve cette dualité, on est à la fois sûrs de la direction dans laquelle on va tout en restant ouverts à la possibilité de se transformer. Ne serait-ce que comme point de départ d’une chanson : essayer d’abord d’être Beyoncé, Jay Z ou Justin Timberlake, et petit à petit, revenir doucement, de manière sinueuse, grâce à l’énergie de la collectivité, vers ce qui fait notre identité. Mais je pense qu’on va continuer à répondre à cette question toute notre vie. Avec Tiger Meets Lion, on définit un nouveau port d’attache, un nouveau lieu à partir duquel on peut repartir, repenser la musique du passé. C’est une question qui nous travaille beaucoup.
LBC : J’ai récemment réécouté coup sur coup notre premier album (ndlr. New Grids, 2008) et le nouveau. Je trouve qu’il y a un fil conducteur. Malgré nous, on a notre propre son, notre identité. C’est lié au fait qu’on n’imite pas très bien. On aimerait devenir Justin Timberlake ou Rihanna, mais on n’y arrive pas. Il y a cette patte qui s’impose malgré nous.

FIL ROUGE
HH : On a rencontré Étienne Daho très tôt dans notre parcours. Il a cette immense curiosité, il sait ce qui est nouveau, ce qu’il faut écouter. On était en lice pour le Prix Constantin 2008, il était dans le jury et aimait notre album. On l’a rencontré et ça a tout de suite débouché sur une collaboration pour son EP Pleased To Meet You (2010) avec une reprise de notre chanson Private Tortures. On ne se rendait pas bien compte, mais justement, c’était génial de rencontrer quelqu’un et de découvrir sa manière de travailler sans le prendre pour un monument. On dialogue beaucoup avec lui. On lui a envoyé nos maquettes, il nous a dit ce qu’il en pensait. Il suit The Pirouettes aussi.
BJP : On lui pose beaucoup de questions sur les structures, il est génial pour ça. Ses réponses nous font avancer. Et il a cette capacité à toujours se remettre en cause, à ne pas s’installer. C’est une chouette rencontre. Il nous a appris une belle manière de travailler et de se comporter.

CINÉMA
HH : Avant de me lancer dans la musique, je voulais réaliser des films ou écrire sur le cinéma, ce que j’ai arrêté de faire, mais c’est devenu un vrai appui. Des films sont liés à chacun de nos albums. Pour le premier, on découvrait le cinéma de Wes Anderson, on regardait aussi beaucoup La Nuit Du Chasseur (1955). Nous nous sommes tournés vers les films de genre et le cinéma bis en même temps qu’on écrivait Tiger Meets Lion. On a découvert des longs-métrages japonais ou chinois des années 70, des films psychédéliques qui mélangent des éléments traditionnels et des codes établis (les films de sabre par exemple) avec des moments de pure folie visuelle. Ces films prouvent que tout est possible, que tout peut s’intégrer dans un projet, dans un cadre, pour finalement lui donner une identité et une cohérence fortes.
BJP : Quand on passe notre temps à composer, c’est plus facile de dialoguer avec des films qu’avec des sons. On a aussi travaillé sur des ciné-concerts pour l’école Boulle, faire la musique d’un film muet permet d’aller dans des directions différentes. Ça a beaucoup nourri la composition. On rêve de composer une BOF.

RADIO-CROCHET
HH : On l’a fait avec ArKaDin (Ben, Alex et moi) parce qu’on aimait bien le projet, que c’est France Inter et Didier Varrod (ndlr. le concours de voix et de composition lancé par la radio publique s’appelle On A Les Moyens De Vous Faire Chanter). La proposition semble originale. J’aimais bien l’idée de mettre en confrontation des auteurs-compositeurs et pas seulement des chanteurs. Pour nous, vu que nous sommes très occupés en ce moment, c’était surtout l’occasion de se donner des deadlines. On avait deux chansons d’ArKaDin qu’on a proposées et qui nous ont valu d’être retenus. Pour chaque manche, on compose deux nouvelles chansons. J’espère qu’on va arriver le plus loin possible, ne serait-ce que pour ça : à la fin on aura un album.
LBC : The Pirouettes s’est présenté aussi. On a passé la première étape de sélection mais on n’a pas été pris après les auditions aux Trois Baudets. C’est quand même la classe, sur cinq mille participants, deux de nos projets ont été retenus. C’est déjà une victoire, on a fait la fête quand on l’a appris.


Un autre long format ?