Disparu des radars pendant douze ans, l’Alsacien Rémy Bux a enfin réactivé l’entité KG, projet solo de cet activiste notoire qui sévit aussi dans Sun Plexus, Ich Bin ou Einkaufen. Il s’impose à nouveau aujourd’hui avec Passage Secret, nouvel album paru en début d’année. Un disque exigeant et pourtant évident où la minutie des bruits le dispute à une pop sublime, chantée pour une fois en allemand. Explications avec l’intéressé à Strasbourg. [Article Étienne Greib].

En marge des retours tonitruants et des reformations prévisibles qui semblent revêtir un caractère quasiment obligatoire, l’arrivée surprise d’un nouvel album de KG en janvier dernier nous a procuré un plaisir indicible. À plus forte raison lorsqu’il s’agit d’un disque tellement imposant qu’on n’aimerait pas qu’il reste comme une détonation isolée dans un paysage hexagonal fragmenté, et dont la conception s’étale – consciemment ou non – sur plus d’une décennie. “J’enregistrais des bouts de morceaux sans vraiment finaliser les choses”, résume Rémy Bux, attablé dans un café strasbourgeois. “Je les accumulais dans un coin. Parfois, je les réécoutais en fouillant dans mon disque dur quand je m’ennuyais le soir. Lorsque le label Herzfeld a monté ce site avec les projets parallèles de ses différents membres (www.hrzfld.com/lmnts), j’ai imaginé réunir ces fragments en sachant bien qu’ils n’allaient pas dans une direction artistique unique. Au final, l’ensemble se tenait plutôt bien, alors je leur ai carrément proposé une collection de chansons. De fil en aiguille, Herzfeld m’a proposé de sortir un véritable album. Il y a ensuite eu tout un boulot de remixage, puis il a fallu achever d’autres éléments encore en chantier, me pousser un tout petit peu au cul histoire d’en finir vraiment. Même si l’affaire démarre avec des bouts de ficelles, il en ressort une sorte de cohésion, pas forcément consciente, mais pas complètement insensée non plus. Par rapport à l’ordre des treize titres de Passage Secret, il était important de conserver un effet de surprise malgré le côté hasardeux dans l’assemblage. Heureusement, ça fonctionne, mais ça aurait aussi bien pu foirer.”

Originaire de Sausheim (village français de la banlieue de Mulhouse), Rémy Bux est l’un des piliers du label strasbourgeois Herzfeld, officiant généralement au mastering de tous les albums. Mais la connexion remonte à bien plus loin, lorsque Renaud Sachet, cofondateur d’Herzfeld avec lequel il avait joué dans Boys In The Radiator, fonde d’abord la maison de disques Antimatière dans la seconde moitié des années 90. KG y publiera notamment le 25 cm Baraka (1997), qui contient le fameux morceau À L’Enterrement De Kraftwerk, suivi de The Tatami Cissy (1999), et d’un album de Sun Plexus (Mais D’Où Viennent Tous Ces Chinois ?, 1999), légendaire cellule bruitiste formée en compagnie de Sébastien Borgo (alias Ogrob). Mais encore avant cela, le tout premier 45 tours de KG sort en 1993 sur la microstructure Lo-Fi Recordings fondée par Morvan Boury (alors pigiste à magic mushroom) et Fred Paquet, ce dernier étant aujourd’hui patron de la boutique parisienne Pop Culture (il tient également la corde pour éditer p rochainement Passage Secret en vinyle sur Malditos Records). D’autres singles suivront sur d’autres structures (Orgasm, Tinseltones), scellant une légende qui dépasse aujourd’hui nos frontières puisque Captured Tracks, le prestigieux label new-yorkais, fera paraître cette année dans sa fameuse collection Shoegaze Archives une sorte d’intégrale augmentée. “Ce qui est amusant par rapport à cette diversité des styles de morceaux que j’ai pu faire – dont certains s’apparentent plus à des blagues – et une sortie officielle, c’est qu’il y a une volonté, qui n’est pas nécessairement pertinente d’ailleurs, d’unité esthétique. Il y a donc d’un côté ces 45 tours avec les guitares les plus distordues possibles, et de l’autre, pas mal de choses que je n’assume pas ou plus. Il en va de même pour les disques plus électroniques que j’ai enregistrés par la suite, j’avais mon cahier des charges et je ne mettais pas de guitares. Quel que soit le style abordé, j’ai toujours tenu à garder un filtre esthétique fort. L’histoire avec Captured Tracks est assez étrange. J’ai reçu un mail de Mike Sniper qui m’a balancé de but en blanc qu’il voulait ressortir tout KG sur son label. D’abord je me suis dit que j’allais le snober, après tout qu’est-ce que j’en ai à foutre de ces compositions d’il y a vingt ans ? En y réfléchissant, je me suis dit qu’un maximum de gens pourrait enfin y avoir accès. J’ai donc dû me replonger dedans. Finalement, je lui ai envoyé les 45 tours et quelques vieilles démos que je me suis amusé à numériser.”

DISQUE DUR
En tant qu’ingénieur du son, son métier dans le civil depuis des années, Rémy porte un regard pertinent sur l’évolution des moyens de production. “Je regrette le 4-pistes à cassettes et le 8-pistes à bandes parce qu’il y avait une forme d’urgence, tu jetais ton morceau et tu ne pouvais pas y revenir deux cents fois. Ça te force à avoir une autre approche, et même un certain cachet au niveau du son. Le problème avec les possibilités infinies du numérique, c’est que tu te retrouves très vite à faire de l’informatique, plus vraiment de la musique. Ton disque dur contient 600 réverbs, 300 chorus, tu vas perdre ta journée à chercher UN son et à l’arrivée tu n’auras rien fait. C’est une discipline mentale qui demande du temps pour ne pas se laisser éblouir par toutes ces options. C’est bien d’arriver à se recentrer au bout d’un moment, à se dire qu’on n’a plus de temps à perdre. J’ai quand même tendance à coller toujours au même schéma, à la fois une facilité d’accès avec les nouveaux moyens et ce côté bricolage par rapport à ce que tu as sous la main. Tu es toujours influencé par ton environnement le plus proche comme un vieux synthé analogique qui traîne par exemple. Dans les productions mainstream actuelles, on n’entend parfois qu’une production monstrueuse. En écoutant minutieusement une chanson de Beyoncé, tu te rends compte que des mecs se torturent pour faire bouger les sons dans tous les sens avec des micropériodes qui sont complètement dingues. Mais ça ne me touche pas, je n’essaie pas de rentrer dans ce cas de figure même si j’ai parfois la même volonté de travailler le moindre détail pour qu’il n’y ait pas un coup de cymbale qui soit là pour rien.”

Un sens du détail qui va jusque dans le choix de la langue puisque Passage Secret, malgré son intitulé francophone, est chanté exclusivement en allemand. “Géographiquement, il existe une facilité, une présence et une richesse dont on aurait tort de se passer, mais au-delà de ça, c’est de toute façon le résultat d’un rejet de l’anglais. Ça m’ennuie d’autant plus de donner des concerts en réinterprétant des vieux morceaux en anglais d’ailleurs. Plus le temps avance, plus j’ai du recul. Je l’ai fait à mes débuts pour ressembler à mes idoles sauf que je vis en France et que je le ferai toujours dix fois moins bien que n’importe quel groupe ou artiste anglo-saxon. Au bout d’un certain temps, on se rend compte de la mainmise et de l’esclavagisme absolu que l’anglais exerce sur un style musical précis. Assez peu de personnes se disent finalement qu’elles ont une autre culture, d’autres mots, d’autres sens. J’aurais pu aussi écrire en français, mais j’avais envie de creuser ce sillon, comme je pourrais m’y essayer en russe. Ça reste un exercice de style, comme de retourner le miroir.” Il s’agit peut-être aussi d’un attachement plus ou moins inconditionnel à certains groupes que Rémy Bux écoutait dans sa jeunesse.

“Ça remonte à la seconde moitié des années 80 avec Einstürzende Neubauten ou Sprung Aus Den Wolken, la vraie musique industrielle, pas le truc technoïde qu’on a dû subir ensuite. Je me souviens qu’au lycée, il y avait un type qui connaissait tous ces groupes hallucinants dont je n’avais jamais entendu parler. C’était vraiment extrême par rapport à ce que j’avais l’habitude d’écouter, comme Metal Urbain par exemple. Dès lors, j’ai commencé à m’intéresser à des disques très précis qu’on ne trouvait que dans des magasins spécialisés ou par correspondance. J’ai donc dérivé vers Sonic Youth, qui n’était pas encore très connu à l’époque. C’était une recherche de choses expérimentales, véritablement à la marge, trouver des trucs qui font mal aux oreilles et que ton entourage va trouver horrible. Je suis par ailleurs fan de Morrissey en solo. Ses qualités mélodiques, le personnage et son univers, c’est un tout qui me parle. Beaucoup plus que Nine Inch Nails ou des conneries pareilles qui sonnent tellement le faux, le plastique, l’absence totale de sensibilité. J’ai aussi apprécié The Jesus & Mary Chain grâce à la radio Couleur 3, des chansons pop dégueulassées par des guitares saturées, du larsen. Si tu enlèves la saleté, c’est hyper soft sans être gnangnan, ça reste de la pop, mais violée.”

Une description qui colle aussi à ses disques malgré une f(r)acture plus électronique pour les deux albums – The Greatest Hits (2001) et Adieu À L’Électronique (2002) – parus sur le défunt label Gooom (découvreur de Cyann & Ben, Anne Laplantine et surtout M83). “Sur les vingt dernières années, j’ai survolé la techno en étant de temps à autre touché par un morceau, mais globalement, c’est un mouvement qui m’a toujours ennuyé par sa monotonie ou parce que je n’ai pas pris les bonnes drogues au bon moment. Sans l’absorption massive de drogues chimiques et en l’écoutant avec une oreille de musicien, c’est quand même un genre très formaté. Tous les titres électroniques que j’ai pu faire sont presque de la pop avec des sons électroniques. C’était une façade electro avec laquelle je m’amusais bien, mais c’était incomplet. Je ne voyais pas l’intérêt ou l’intelligence de mélanger les deux de manière abrupte, je ne voyais pas comment tenir une cohérence là-dedans.” Cohérence et intelligence désormais retrouvées sur Passage Secret, un album dont on n’a pas fini de découvrir les richesses, et qui agit toujours sur le cortex, deux mois après sa sortie, comme une véritable drogue dure.

Un autre long format ?