Allombon, un titre qui décourage toute tentative de surenchère. Et pourtant, ce ne sont pas les superlatifs qui font défaut pour encourager la tentative inespérée du parcimonieux Dorian Pimpernel. Autoportrait d’un groupe autarcique, cultivé, onirique et appliqué qui s’inscrit dans une lignée aristocratique et (un brin) symboliste d’une belle pop faite en France. [Interview Xavier Mazure – Photographies Églantine Aubry].

La première trace de Dorian Pimpernel que l’on trouve est un EP de 2007 intitulé Hollandia. Les débuts restent obscurs. Quelle est la genèse du groupe ?
Johan Girard (clavier, basse, chant) : On a commencé officiellement en 2005, l’année de la sortie de notre premier EP autoproduit. En 2007, nous avons poursuivi en sortant ce mini-album, Hollandia, sur le label japonais Rallye Records. Après avoir écouté nos titres sur MySpace, son directeur nous avait contactés pour que nous réalisions un disque. Nous avons accepté cette proposition malgré un délai très court et un budget assez ridicule. À mon sens, tout n’est pas à sauver sur Hollandia.
Hadrien Grange (batterie) : C’est la raison pour laquelle nous en avons réenregistré un extrait – Ovlar E – sur Allombon. Nous avons pu travailler dans de bien meilleures conditions.

S’ensuit une longue période de silence. Il ne s’est vraiment rien passé entre Hollandia et le single du retour Teorema sorti en 2013 ?
JG : Il y a quand même eu ma thèse de philosophie !
Jérémie Orsel (chant, guitares) : Nous avons fait des apparitions ponctuelles en fonction des sollicitations de notre entourage, mais globalement, de 2007 à 2010, ce sont des années de pause.

Je crois savoir que John Henriksson, le boss du label Tona Serenad, vous a remis le pied à l’étrier.
JG : John avait découvert la chanson The Mimeograph sur YouTube. Il souhaitait simplement la publier en l’état et la coupler avec un nouveau titre en face B. Ça nous gênait d’avoir un ancien titre et un nouveau sur le même 45 tours car notre formule avait vraiment changé entre-temps. Nous étions sept à l’époque et maintenant nous ne sommes plus que cinq. L’orientation du projet est aujourd’hui plus électronique, nous travaillons davantage sur les synthétiseurs et l’électronique de séquence.
JO : C’était d’ailleurs l’intention de départ.
JG : Oui, c’est exact. J’ai donc proposé à John de réenregistrer The Mimeograph et de faire une nouvelle face B. De fil en aiguille, on a réalisé que refaire un morceau qui était déjà assez bien en soi ne menait à rien et qu’il était vain de le republier en l’état. C’est ainsi qu’ont vu le jour Teorema et The Mechanical Eardrum sur Tona Serenad.

D’où vient ce nom, Dorian Pimpernel ?
JG : Dorian, c’est un jeu sur l’adjectif “dorien”. Le mode dorien est un mode de musique dont Platon vantait la virilité. Et Pimpernel, c’est le nom d’une jolie fleur, le mouron. On voulait aussi jouer sur le fait que Dorian Pimpernel puisse enregistrer seul chez lui.

Comment vous répartissez-vous les rôles dans Dorian Pimpernel ?
JG : Je m’occupe de l’écriture, de la composition, des claviers et un peu de la basse.
JO : Je chante et joue de la guitare.
HG : Je joue la batterie, les percussions, et nous orientons quelques choix de structures et d’arrangements avec Johan. Laurent Talon est à la basse et Benjamin Esdraffo joue également du clavier.
JO : Johan est le maître d’œuvre, il réalise à lui seul les morceaux à 80%.
HG : Et quand il fait un peu trop n’importe quoi, il faut bien le recadrer !
JO : On a un droit de regard. C’est assez ouvert, mais on a confiance dans ses choix.

Vous enregistrez vos chansons piste par piste.
HG : Notre style se prête assez peu à l’enregistrement live. Les structures sont généralement agencées par Johan en amont. Ça peut partir de quelques accords de Wurlitzer, mais il y a aussi beaucoup de morceaux qui sont faits au hasard d’une séquence, d’une programmation de synthé. Le son définitif ainsi que le tempo s’imposent dès le départ. Dans la majorité des formations enregistrant piste par piste, la structure rythmique vient en premier. Mon rôle de batteur intervient généralement vers la fin du processus. Il nous est arrivé plusieurs fois d’enregistrer la batterie après la voix.
JG : On cherche avant tout à travailler les sons, nous sommes un groupe de studio. On écrit des démos avec des voix-témoins puis on ajoute les instruments un à un en modifiant progressivement chaque piste pour arriver à la chanson finale.

C’est ce qui vous éloigne de la plupart des formations psychédéliques.
JO : Oui, elles laissent tourner l’enregistrement jusqu’à trouver une idée accrocheuse. Pour nous, ce n’est pas du tout le cas. Cette méthode de travail s’est imposée dès l’origine car Johan voulait simplement enregistrer des morceaux. À la base, ce n’était pas un projet destiné aux concerts.

Concrètement, ce travail se fait de visu ou vous vous envoyez les pistes par Internet ?
JO : Ah non, on n’est pas du tout 2.0. (Rires.)
JG : On a un petit studio d’enregistrement…
HG : Un sacré studio d’enregistrement, tu veux dire !
JO : Enfin, ça reste un home-studio.
HG : Avec du matos quand même.

La liste des claviers est impressionnante.
HG : Et elle n’est pas complète !
JO : Depuis que nous partageons le studio avec notre ami Angy Laperdrix, qui a réalisé le mix final d’Allombon, la liste s’est encore étoffée. Disons que c’est un studio électronique très complet, mais pour les instruments acoustiques, c’est une autre affaire. Pour enregistrer la batterie, on doit toujours trouver des plans dans des studios à droite ou à gauche.
JG : Mais ce n’est nullement un choix par défaut. Même si on me donnait un superbe studio, je serais perdu sans mes instruments fétiches et mes sonorités. Il y a plein d’instruments vintage peu communs chez Dorian Pimpernel, des instruments exotiques dont des groupes qui font une autre musique ne sauraient que faire.
HG : Nous sommes dans une niche musicale atypique, ni vraiment psychédélique, ni electropop. Nous sommes constamment entre la recherche électronique et des chansons acoustiques.
JG : Pour résumer, nous nous sentons plus proches du BBC Radiophonic Workshop que des Zombies.
HG : Et même plus proches de Bertrand Burgalat que de Jacco Gardner.

« CHEZ AIR ET SEBASTIEN TELLIER, IL Y A CETTE MÊME VOLONTÉ DE CLARTÉ ET DE LISIBILITÉ. MÊME SI NOS MUSIQUES SONT DIFFÉRENTES, ILS FONT PARTIE DE NOS INFLUENCES. »


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ÉCOLE DE CANTERBURY
Dans vos enregistrements se cachent un caractère très français et une lisibilité des instruments qui va à contre-courant de la mode des nouveaux musiciens nationaux en quête de sonorités garage ?
JO : Ce constat marche aussi pour les nouveaux groupes psychédéliques d’ici.
JG : Chez Air et Sébastien Tellier, il y a cette même volonté de clarté et de lisibilité. Même si nos musiques sont différentes, ils font partie de nos influences.

Même chanté en anglais, il y a une touche française sensible dans votre répertoire.
JO : Bon, je vais essayer d’améliorer mon anglais alors. (Rires.)
HB : C’est aussi vrai dans l’écriture des morceaux. En réécoutant le disque, je décèle des ressemblances avec François de Roubaix même si son approche est beaucoup plus acoustique que la nôtre.
JO : Il y a véritablement une filiation dans l’écriture avec de Roubaix, à ce détail près que ses quelques instruments électroniques sont très joués alors que nous avons un côté plus Kraftwerk.

On pense bien entendu à Stereolab et Broadcast. Quelles sont les références plus obscures de ce mille-feuille musical ?
JO : Il faut faire la distinction entre les références plus obscures et les moins évidentes.
JG : Oui, bien sûr, Broadcast est une grande inspiration, de même que Pram et Plone, mais ces références sont presque trop évidentes. J’aime beaucoup une certaine façon de revisiter des styles. Sean O’Hagan (The High Llamas) prétendait avoir accompli avec Cold And Bouncy (1997) son disque de krautrock, alors qu’objectivement, ce n’est pas du tout le cas. De la même manière, Allombon est un peu notre disque de kraut. Et l’on peut très bien citer Pampidoo comme l’une de nos inspirations. C’est un musicien de reggae électronique jamaïcain qui fait des bruits étranges avec sa voix et dont on adore surtout un morceau nommé Synthesizer Voice. Ce chanteur a un timbre qui semble “vocoderisé” alors qu’il s’agit de sa vraie voix.

Une sorte de Bruce Haack au naturel ?
JG : Oui, il y a de ça. D’ailleurs, Bruce Haack, White Noise, The United States Of America ou The Zarjaz (de la période post-électronique à la Wendy Carlos) sont aussi des influences essentielles. On s’inspire également de nombreux musiciens de krautrock. Sans vouloir faire un inventaire, c’est surtout sa frange la plus mélodique que nous aimons : Harmonia, La Düsseldorf ou Cluster. Les artistes de l’école de Canterbury sont également très importants pour notre musique. Certaines de nos sonorités se retrouvent ainsi chez Kevin Ayers ou Robert Wyatt.
JO : Ou chez des Français comme Gong.

Il y a aussi des références plus populaires, on pense parfois aux Kinks.
JO : Oui, mais c’est tellement à la base de la pop.
JG : Sur Hollandia, l’influence de The Kinks était peut-être encore plus prégnante.
HG : Le but était alors de faire voyager les Kinks dans les friches industrielles de la Ruhr.
JO : Sur Allombon, par rapport à Hollandia, on a tenté de lâcher les sixties même si c’est assez difficile de s’en extraire en termes de composition.
HG : Nous avons recherché des sonorités plus riches et un bon nombre d’anti-accords parfaits.
JO : Le jeu de Johan ressemble beaucoup à celui de Bertrand Burgalat. Chez lui, on sent une grande facilité pour faire un truc extrêmement efficace, mais il y a toujours un moment où il va placer un accord inattendu qui va rendre le morceau peut-être moins immédiat mais plus intéressant lors des écoutes suivantes.
JG : En tant que groupe de pop, on accepte forcément ce parti pris de présenter des mélodies qui restent en tête et que l’on peut chanter dans la rue ou sous la douche, mais nous cherchons aussi à avoir en arrière-plan des constructions plus complexes. On trouve également dans notre musique de nombreuses couches instrumentales, et avant d’en épuiser la richesse, on peut quand même les écouter un certain nombre de fois.

Pouvez-vous m’expliquer le concept de “moonshine pop” ?
HG : Celle-ci, tu l’as bien cherchée Johan. (Sourire.)
JG : Outre la figure de style, j’ai commencé à travailler sur les morceaux de Dorian Pimpernel à une époque où j’écoutais beaucoup de sunshine pop. J’écoutais fréquemment The Beach Boys, même si cette appellation est un peu restrictive pour les qualifier. J’étais fasciné par le projet fou de Pet Sounds, cet effort de production pop qui assemble des strates instrumentales complexes tout en conservant l’évidence mélodique. Le côté “moon” vient en réponse à la volonté de concevoir l’envers de cette musique, son côté maléfique ou le sombre versant de la chose. Il ne s’agissait pas d’en reprendre l’esthétique mais de l’adapter au contemporain en conservant cet enchevêtrement complexe de pistes et en y intégrant les sons que j’aime. Je n’ai jamais eu en tête un projet revivaliste.

Il y a aussi un côté mélancolique chez Dorian Pimpernel qui se prête bien à cette expression.
JG : Les vrais musiciens de sunshine pop comme Strawberry Alarm Clock, Harpers Bizarre ou The Lovin’ Spoonful ont un côté un peu niaiseux, entièrement dévoués à une succession d’accords majeurs. Niaiseux, mais complexes. On a essayé d’être un peu moins mignards. Et il y a d’autres points communs. Les voix du style sunshine pop sont souvent comme celle de Jérémie, haut perchées, androgynes ou nasillardes.
JO : L’intéressé hausse les épaules. (Rires.) Ce n’est pas un aspect que l’on a cherché à forcer. Comme Montage par exemple, on essaie de rester très droits, de travailler la voix de la manière la moins affectée possible. On cherche à éviter les grandes envolées.
JG : On essaie de garder une esthétique Renaissance, sans emphase.

Autant il n’était pas étonnant de vous voir apparaître sur Tona Serenad, autant il semble curieux de vous retrouver chez Born Bad Records, qui est plutôt marqué garage.
JG : Ce n’est pas si étonnant car je connais le patron du label Jean-Baptiste Guillot de longue date. Je l’avais interviewé pour un magazine (ndlr. Technikart) à l’époque de la sortie de Wizzz! (2001), sa compilation sur les oubliés français de la pop sixties, et JB avait bien aimé mon papier. Nous sommes restés en contact et il continuait d’encourager Dorian Pimpernel, affirmant même qu’il aimerait bien nous signer lorsqu’il chercherait à ouvrir son catalogue. Et ce moment est arrivé récemment.

Quels sont vos projets maintenant ?
JO : La question du live. Ça représente un travail très spécifique pour nous qui intervient en dernier lieu. Un vrai défi.

Cette obligation de se produire sur scène n’est-elle pas insupportable pour un groupe comme le vôtre ?
JO : Non, on a fini par y trouver une certaine satisfaction.
JG : Nous étions avant tout un groupe de pop de chambre mais, de fil en aiguille, le fait de devoir rejouer cette complexité sur scène nous a permis de ne nous adjoindre les services d’autres musiciens. On a même essayé pendant un temps de ramener tous nos claviers sur scène – dont un Wurlitzer de 50 kg. Les choses sont aujourd’hui en bonne voie et la formule live commence à se tenir.



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FOCUS SUR JOHN HENRIKSSON (Tona Serenad)
Le nom de John Henriksson évoquera sûrement des souvenirs aux seuls fans de Momus avec lequel le Suédois a publié l’excellent Thunderclown en 2012. Mais sa facette qui nous intéresse ici est plutôt celle qui le voit tenir le rôle de directeur de Tona Serenad, le label qu’il a fondé avec Joel Danell (Musette) et Gustav Rådström. Depuis 2009, la maison suédoise a repris le flambeau de Geographic en défendant des musiques paisibles à contre-courant des modes. C’est par le biais de cette structure qu’est paru l’an dernier le EP Teorema, qui a acté le retour de Dorian Pimpernel. John Henriksson se souvient de ses années parisiennes où il a découvert le mini-album Hollandia (2007) : “C’est un ami parisien, Tom Gagnaire (ndlr. Charlotte Sampling, Karaocake), qui m’a fait découvrir ce groupe. Je suis tombé sur la vidéo de The Mimeograph que j’ai immédiatement aimée. Les chansons de Dorian Pimpernel correspondent bien à l’esthétique de Tona Serenad. Il y a cette idée de modernité devenue l’antiquité du temps présent, comme une matière première que l’on doit se réapproprier. Mais notre volonté majeure reste de sortir des disques qui, comme ceux de Dorian Pimpernel, nous donnent des papillons dans l’estomac.” Avec Tom Gagnaire, John vient de monter une sous-division de Tona Serenad, Baisers Volés, consacrée à la réédition de trésors français oubliés. Ainsi vient de paraître L’Enfant De La Liberté (1975), une poignée de chansons d’élèves suivant la méthode de la pédagogie Freinet. En ce printemps,
Tona Serenad annonce de prochaines sorties enthousiasmantes : la bande originale du film Le Démon Des Hautes Plaines de Tom Gagnaire, signée Domotic et publiée avec l’aide de Clapping Music, ainsi que des enregistrements d’artistes suédois, dont le retour aux affaires de Joel Danell.

Un autre long format ?