Arcade Fire – Reflektor

L’important, c’est le chemin parcouru. Celui depuis les débuts d’Arcade Fire il y a dix ans, mais surtout celui qui a plus récemment conduit le groupe de Montréal à Haïti, de la Louisiane à la Jamaïque, jusqu’à New York. Un sacré parcours, qui charge chaque note de Reflektor d’une intensité particulière. C’est d’abord de cette manière qu’Arcade Fire confirme sa place à part dans le paysage rock contemporain, en restant opiniâtre et curieux, en suivant une voie très personnelle mais ouverte aux voix des autres. Dans une interview à Rolling Stone, Win Butler décrit très bien l’onde de choc provoquée par la découverte récente d’Haïti, dont est originaire la famille de Régine Chassagne : ça a été le début d’un changement radical dans ma façon de concevoir le monde. J’y ai vu un groupe qui a changé ma façon de percevoir la musique, m’a ouvert à un vaste champ d’influences, à une culture à laquelle je n’avais jamais été exposé.” Ce sont des rythmes, des thèmes, des impressions en lien avec la capitale Port-au-Prince qui envahissent les treize titres de Reflektor, aussi nourris des conseils de Chris Blackwell, rencontré lors des sessions en Jamaïque, et des intuitions de James Murphy, aux bons soins duquel les bandes ont été laissées en dernière instance. Un geste qui en dit long, Arcade Fire ayant confiance en ses chansons, suffisamment pour s’en détacher. C’est à la fois la force de ce quatrième album – une puissance de feu baroque et bouillonnante – et sa faiblesse : on s’y projette moins que dans The Suburbs (2010), qui bouleversait quand Reflektor exalte.

C’est déjà beaucoup pour un disque. L’exaltation est physique et dansante pour l’essentiel des titres même si la nature de la danse change de l’un à l’autre. Transe, abandon, communion, défouloir, dans la joie ou l’angoisse… Déchaînement de rythmiques, percussions, claviers, cuivres ou cordes assassinent toute forme de résistance sur le morceau éponyme et sur Afterlife, une chanson livrée avec des réminiscences de New Order. La très belle We Exist éclaire bien les révolutions ici à l’œuvre. La ligne de basse funky, les synthétiseurs et les guitares laissent d’abord envisager une écriture classique où affleure régulièrement une mélodie accrocheuse avant un retour à des motifs répétitifs déroulés en crescendo. L’enchaînement avec Flashbulb Eyes enfonce le clou d’un étrange tropicalisme, transition vers l’un des sommets de l’œuvre, Here Comes The Night Time, une composition partiellement construite sur les codes de la musique dance et sur le souvenir des tombées de nuit à Port-au-Prince (“Quand le soleil se couche, c’est quelque chose de très intense parce que la plupart des quartiers n’ont pas l’électricité et tout le monde court littéralement pour être chez soi avant la nuit”). You Already Know et Joan Of Arc sont deux morceaux immenses qui auraient pu figurer sur Neon Bible (2007). Le second CD est plus nébuleux, d’une beauté crépusculaire, It’s Never Over (Hey Orpheus) semblant démantibulée et la belle Porno, désabusée. Supersymmetry prolonge l’errance dans les brumes… Les longueurs de l’album font partie du cheminement.


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