Il faut avoir la chance d’assister aux balances de Geoffroy Laporte, one-man band plus connu sous le nom de Jessica93. En moins de vingt minutes, l’affaire est réglée : une basse, une guitare, une robuste boîte à rythmes et quelques pédales d’effets (dont l’une récalcitrante qu’il met au pas en la savatant sans pitié). Une simplicité de fait liée au choix de tout faire seul. “C’est particulier parce qu’au début, tu te fais dessus, mais j’ai tellement joué que la pilule est passée aujourd’hui”, décrit Geoffroy, dont les agissements donnent l’impression d’une force monolithique qui balaie tout sur son passage. “Je n’ai pas vraiment écouté de groupes qui utilisent des boîtes à rythmes à part peut-être Big Black et les Bérus que j’adore – je me suis toujours demandé comment ils avaient pu avoir un son aussi massif avec un objet aussi minuscule. Moi j’ai retravaillé tous les sons de mon engin pour obtenir notamment une caisse claire super fat.



Si la puissance percussive perdure et impressionne, c’est bien le démêlage à la serpe d’un écheveau de vieilles passions qui touche en plein cœur à l’écoute de son premier LP Who Cares, paru en juin dernier et dont le troisième pressage se voit couronné d’une distribution nationale. Difficile ici de ne pas penser à Red Lorry Yellow Lorry ou au The Cure malade et surdrogué de Pornography (1982), un LP dont il reprend d’ailleurs le morceau éponyme, histoire de ne pas trop noyer le poisson. “J’ai été le premier surpris en constatant que ça sonnait aussi eighties. Je suis un gamin des années 90, alors la décennie 80, c’est plus de l’ordre du subconscient, un truc que j’ai intégré sans m’en rendre compte et que je peux recracher parce que ça me rappelle mon enfance. On me prête parfois des influences qui sont à côté de la plaque. J’ai davantage été bercé par l’indie rock américain des nineties que par la cold-wave, même si j’ai écouté à mort Trisomie 21 ou des trucs comme ça. Pornography est l’un des disques qui m’a le plus marqué, les batteries sont toujours les mêmes et il y a cette linéarité que je suis obligé d’exprimer parce que j’ai une boîte à rythmes.” Même si on peut le rapprocher de groupes comme Frustration, KG ou ses camarades de label JC Satàn, Jessica93 (parce qu’il vient de Seine-Saint-Denis) évolue dans un monde à part.

Ainsi, pour en revenir encore aux années 80, il a le culot de citer rien moins que Gainsbourg : “Il a toujours joué avec le son des périodes qu’il traversait. Quand tu écoutes Love On The Beat, c’est les années 80 : un gros son de batterie, des cuivres, la crasse de vieille cave, la coke bon marché, des expériences sexuelles douteuses, cette espèce de lumière blafarde.” Pas le moindre des paradoxes pour ce musicien trentenaire qui tourne sans relâche et dont un nouvel album sera enregistré au printemps. On ne remerciera jamais assez Geoffroy Laporte d’avoir mis à l’amende le rock dit gothique, de l’avoir foutu à poil au fond de la cour, le débarrassant de tout ce putain de pathos grotesque. En l’épurant de ce décorum grandiloquent et finalement merdique qui a bien pourri notre adolescence, Jessica93 n’en garde que la substantifique moelle, le rapprochant ainsi d’un blues de petits blancs – sa reprise du standard St James Infirmary Blues dans la version du mythique Abner Jay (autre one-man band) parle d’elle-même – et donc de l’âme du rock’n’roll.


Un autre long format ?