Tasmania, le nouveau Pond, est un album apocalyptique, angoissé, sur le réchauffement climatique. De passage à Paris, le musicien-chanteur Nick Allbrook, 31 ans, nous a parlé de dieu, du trauma australien vis-à-vis du colonialisme forcé, du climat, de paternité et de sa recherche de vérité dans l’amour qu’il partage avec sa copine.

 

Ton nouvel album a quelque chose de post-apocalyptique, comme The Weather, le précèdent, et le dernier Deerhunter qui pose cette question : Why has not everything already disappeared ? (Pourquoi tout n’a-t-il pas déjà disparu ?). As-tu la réponse ?

Je n’ai pas écouté l’album de Deerhunter, j’ai simplement entendu une chanson, et je n’ai pas non plus la réponse à cette question que se pose Bradford Cox. Le chaos suit son chemin naturel, peut-être parce que nous n’avons pas encore disparu, et en même temps, peut-être qu’il reste ce qu’il faut de bonté humaine pour empêcher le monde tel qu’on le connaît de disparaître trop vite. Ça s’appelle la résilience, qui freine notre capacité à tout détruire. Mais ce ne sont que des suppositions. C’est une grande question pour l’humanité ça !

Tu dis que l’humanité excelle dans l’art de tout détruire. Qu’est-ce qui a merdé à ton avis ?

Je suppose que c’est une question qui nous taraude tous depuis longtemps, comme celle du bien et du mal. C’est un vieux problème philosophique et théologique. C’est aussi difficile que de répondre à la question de l’existence de Dieu. Puisqu’il sait tout, voit tout et fait le bien, pourquoi nous permet-il de faire toutes ces choses horribles. Je n’en sais rien. La perversion de l’humanité est vraiment difficile à expliquer. Peut-être que ça a quelque chose à voir avec le fait qu’on ne bouge plus autant qu’avant… Depuis que les êtres humains ont cessé d’être des espèces en perpétuel déplacement, nous avons dû trouver d’autres débouchés, parce que nous ne sommes pas constamment mis au défi par la migration. Les animaux migratoires n’ont pas de problèmes les uns avec les autres, parce qu’ils ont suffisamment de difficultés à se déplacer d’un endroit à un autre. Nous, nous sommes restés au même endroit et Dieu nous met au défi les uns les autres de la même manière. Je ne sais pas où nous avons merdé. Le problème, c’est peut-être que nous voulons toujours plus.

Ce constat, tu l’avais déjà fait en introduction de The Weather puisque 30 000 Megatons annonçait le Jour du jugement dernier. Dans le premier titre de ton nouvel album Tasmania, tu voies tes amis et ta famille pieds et poings liés. Comment ces deux albums se répondent-ils ?

Ils traitent des mêmes sujets.  De la culpabilité australienne vis-à-vis de notre passé colonial, de la violence avec laquelle on a acquis nos privilèges, et en même temps, du fait qu’on soit incroyablement attaché à cet endroit. Tout cela crée de la confusion, quand vous commencez à vous poser des questions sur qui vous êtes, votre identité, etc. Et ces deux albums sont aussi traversés par la question du climat. Je suis sûr que beaucoup de gens vont penser : « Regarde-moi ces punks, alarmistes, de gauche ». Mais je m’en fous, c’est effrayant ! Les gens ont peur, et c’est quelque chose que l’on ne peut pas nier. La différence, c’est que les problèmes dont je parle sur Tasmania sont plus tangibles. Le luxe d’être de gauche et de pointer du doigt ceux qui se rendent coupable de mauvaises choses, ce n’est plus pertinent. Je ne me sens plus du tout à l’aise avec ce discours. Au lieu de crier contre la droite, je recherche des solutions réelles, des résolutions personnelles. J’essaie juste de me dire “Oh mon dieu, j’apprécie l’océan et ma famille”.

Deux ans se sont écoulés depuis la sortie de The Weather. Que s’est-il passé ?

C’était bien. Je suis beaucoup resté en Angleterre chez ma copine. Je suis très casanier quand je ne suis pas en tournée (sourire). Quand vous êtes profondément amoureux, vous avez encore plus peur, vraiment. Ce n’est pas de la colère, c’est de la tristesse, de la terreur, vous voulez protéger l’autre – cet album est plus protecteur, moins agressif. Je suis à la recherche du vrai, j’essaie de bien vivre en prenant le temps de faire du yoga, de la course à pied et de la méditation, pour avoir l’illusion que tout va bien (rires).

C’est drôle que tu parles de ta petite amie, parce que l’album est traversé par l’envie de fonder une famille et l’angoisse de ne pas réussir à la protéger. Prévoies-tu d’avoir des enfants dans ce contexte ?

Oui, j’adorerais. Ce n’est pas simplement la perspective de construire une famille, c’est d’avoir une vraie famille. Ça devient de plus en plus important au fur et à mesure qu’on prend de l’âge. C’est comme si nos aspirations et nos ambitions personnelles devenaient moins importantes que des choses simples comme la famille et… l’eau. On devient protecteurs et tristes pour eux, et on commence à se poser cette question difficile : est-ce qu’il faut se battre ou juste en profiter ? Je n’ai pas la réponse, encore une fois, mais cette question m’obsède ces temps-ci.

T’es-tu débarrassé de tes mauvaises habitudes et as-tu changé ta façon de consommer ?

Ça dépend ce que tu appelles « mauvaises habitudes ». Je ne mange plus de viande ni de produits laitiers, par exemple. Mais je fume toujours de l’herbe et je bois quand je suis nerveux – j’ai une bière juste là (sourire). Mais j’arrive de mieux en mieux à maîtriser ma passivité-agressivité – héritage australien ! – grâce à ma copine. Vous ne pouvez pas vivre 24 heures par jour avec quelqu’un, continuer de vous comporter comme une merde avec vos amis et faire comme si de rien n’était le lendemain. J’essaie aussi de ne plus céder à l’auto-apitoiement. Vous vous lamentez, vous savez comment faire pour aller mieux, mais vous ne le faites pas, vous sombrez lentement dans la dépression, vous vous répétez “je le mérite”, alors que vous devriez aller courir, nager, travailler mais vous n’y allez pas parce que vous êtes une pauvre merde ! Je suis devenu meilleur pour me prendre par le col et de me dire “Allez mon pote, tu peux mettre fin à tout ça si tu le décides”. Plutôt que de laisser les choses s’envenimer, aujourd’hui, je les affronte. Avant, j’étais un véritable pleurnichard !

Tu as fait un voyage en Tasmanie pour éveiller cette conscience…

Pas récemment, non. Ce n’est pas tellement l’endroit en lui-même, ni le fait d’y être allé, c’est l’idée qu’on s’en fait, comme s’il s’agissait du dernier refuge avant la fin du monde ! C’est devenu un cliché en Australie de dire “I might go and shack up in Tasmania before the ozone goes” (Je pourrais aller faire une cabane en Tasmanie avant que la couche d’ozone ne disparaisse”, la traduction des paroles de la chanson-titre Tasmania, ndlr). C’est un mantra pour beaucoup d’Australiens… Des amis ont même acheté une maison en Tasmanie. Il y a quelques années, je cherchais aussi à y habiter, mais je n’avais pas l’argent. Heureusement ! Je me serais ruiné de toute façon (rires). Il ne s’agit pas seulement d’échapper au climat, c’est échapper au bruit assourdissant du monde, à cette pression suffocante et aux réseaux sociaux, merde !

Maintenant, tu vies à Londres et c’est aussi très bruyant…

Oui et en même temps c’est très inspirant. L’amour y est et c’est la seule chose qui soit mieux que le soleil et l’océan !

Plutôt que de sombrer dans l’auto-apitoiement, tu célèbres le nihilisme et la frivolité. Ne penses-tu pas que notre génération et notre société en général a perdu de vue l’essentiel, l’amour ?

Non… Ca ne se peut pas ! Je ne pense pas qu’on puisse perdre cela de vue, pas toi ?

Je ne sais pas. On manque cruellement de contact humain, surtout avec la foi sans borne dans les nouvelles technologies…

Oui, c’est un réel problème ! Mais je crois que les gens ont encore envie de croire en l’amour et de tomber amoureux. Les rapports humains sont digitalisés, numériques, mais ça n’est qu’un petit aspect de la réalité qui dispose d’un spectre infini. La technologie nique l’aptitude des gens à se connecter, mais ça ne tue pas leur besoin d’amour. Il est plus difficile à trouver mais il ne faut pas abandonner… Ca devrait enrayer l’épidémie d’anxiété dont je te parlais tout à l’heure.

Croies-tu qu’il y aura un futur ?

Oui, je le crois.

Penses-tu qu’on en fera partie ?

Pour un moment (rires). Et puis le futur continuera sans nous, ce qui est triste. Triste mais vrai.

Propos recueillis par Alexandra Dumont
Photographies par Pooneh Ghana

POND – Tasmania (Marathon Artists)
01/03/2019

Un autre long format ?