Ariel Pink – pom pom

“Everytime I pick up the pen/I get interesting results”, chantait Ariel Marcus Rosenberg sur House Arrest (2002) dans un espiègle mélange de dérision et de conscience de son propre talent. De l’univers exigu de sa chambre aux studios rutilants de Los Angeles, quinze années d’enregistrement ont permis au Californien de réinventer son art à chaque album pour composer une discographie excitante et sans déchet. Avec pom pom, il est une nouvelle fois difficile d’échapper à l’opposition sempiternelle entre les enregistrements solitaires et lo-fi et les productions en groupe et en studio entreprises par le génie chez 4AD depuis Before Today (2010) et Mature Themes (2012). S’il est évident que chacun trouve ses préférences dans cette copieuse discographie, il est aussi certain que le weirdo le plus cool de la planète ne s’est jamais payé la gueule du monde en ce qui concerne la qualité de son écriture. Le lubrique pom pom mettra pour une fois tout le monde d’accord tant il ressemble à la synthèse la plus parfaite des deux facettes d’Ariel Pink’s Haunted Graffiti. Mélange magistral de lisibilité musicale, de fantaisie, de collages, d’humour, de jeux de rôles et d’influences, ce quinzième LP (approximativement) ressemble à un disque entièrement dédié à l’enregistrement alors que ses compositions récentes étaient quelque peu entravées par les références aux seventies et la volonté de transposition live.

C’est donc un Ariel Pink revisitant l’âge d’or de la pop 80’s, débridé et avec la libido gonflée à bloc que l’on découvre sur pom pom, dont le titre désigne en patois jamaïcain le sexe féminin. Ariel Pink serait-il au pays des merveilles amoureuses et sexuelles ? Même si les intentions ne sont pas toujours évidentes dans cette prose libertine et biscornue, la thématique est très claire. Ariel Rosenberg s’imagine successivement dans le rôle du pervers, du voyeur, du délaissé, du blasé, de l’amant et du cocu. Dès l’ouverture Plastic Raincoats In The Pig Parade (coécrite par le légendaire Kim Fowley), on sent que ça va bander dur, aimer tendrement, et que le voyage sera drôle, généreux et (souvent) joyeux. Mais plus loin, en croisant sur la route Four Shadows et Not Enough Violence, deux excellents extraits que l’on croirait écrits (et même chantés) par John Maus, la balade devient légèrement plus orageuse. Heureusement, les nuages se retirent vite pour laisser la place à des chansons plus paisibles : le single sucré Put Your Number In My Phone conte un amour sensuel et sans suite alors que One Summer Night fait flotter un parfum doux-amer. L’hilarante et tubesque Black Ballerina met en scène un petit Ariel intimidé par la virilité de Don Bolles (le batteur de The Germs) et les formes d’une plantureuse strip-teaseuse. Tandis qu’il a les mains baladeuses, il se fait gronder par la Vénus du club. Sur la forme aussi, c’est un grand bordel organisé.

On trouve du Devo (Jell-O), du Captain Beefheart (Sexual Athletics), quelques saillies Motown (planquées dans l’émouvante conclusion Dayzed Inn Daydreams), un boogie rock libidineux (Nude Beach A Go-Go), des soli de guitare hard rock FM (la scène de ménage Negativ Ed) et une bonne dose de glam rock. À ce petit jeu, Dinosaur Carebears remporte la palme du fou rire en alternant une partie orientale, du Bauhaus, des collages de musique cartoon et un hommage appuyé à la soul froide d’ESG. Avec son style inimitable, son humour et sa fantaisie pop entièrement libérés, Ariel Rosenberg vient de nous livrer son Sgt. Pink’s Lonely Hearts Club Band. Et Dieu que ça fait du bien d’écouter un musicien prendre un tel plaisir à laisser libre cours à son imagination, à jouer sur les codes en se fichant pas mal du bon goût. Ses récents propos à l’égard de Madonna, qu’il a rembarrée dans la presse alors qu’il devait soi-disant participer à l’écriture de son nouvel album (“Les gens veulent davantage de substance dans leur McDo, davantage de sucre ou quelque chose dans le genre”), tendent à le prouver : Ariel Rosenberg reste un éternel outsider infiltré depuis quatre ans dans l’industrie de la pop dite indie, avec la ferme intention de la dévoyer et de la travestir. Décidément excentrique, toujours sous influences, mais jamais aliéné, cet Ariel Pink !



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