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© Shervin Lainez

Pendant près de vingt-cinq ans, les Français de Phoenix ont façonné un son unique, à la fois sophistiqué et efficace, mais toujours en quête d’une certaine perfection mélodique. Discographie commentée, alors que paraît le septième album du groupe, "Alpha Zulu".

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La musique de Phoenix s’explique d’abord par cette amitié indéfectible entre Thomas Mars, Deck D’Arcy, Christian Mazzalai et Laurent Brancowitz. Si on les sépare, les Versaillais ne sont pas grand-chose. Ensemble, ils forment peut-être le meilleur groupe de pop française. Le plus adoré par les Américains. L’un des rares encore capables d’effectuer une tournée mondiale. Cette synergie entre les membres est totale… mais mystérieuse. «C’est très dur à expliquer car on ne connaît pas d’alternative, nous racontait Christian Mazzalai pendant leur série de concerts à La Gaîté Lyrique en 2018. Depuis qu’on est enfants, on joue ensemble. On n’a jamais voulu faire de projets parallèles. On a joué une fois derrière Air mais on était ensemble. Pour nous, c’est inexplicable mais assez naturel. Au début, avec “Branco” [son frère, ndlr], à la guitare, on apprenait un accord tous les deux mois… en faisant pause sur des vidéos et en regardant les doigts des guitaristes.» «On était des autodidactes très laborieux, confirmait Laurent Brancowitz. On a une technique personnelle assez faible… mais personnelle.» Personnelle voire unique. Car, album après album, les Versaillais ont su se réinventer, marquer durablement la pop moderne, créer leur propre temporalité dans laquelle résonnent des mélodies universelles, immédiates et intenses entre pop donc, rock et électro. Phoenix s’est patiemment inventé un son, sans succomber à la facilité ou à la recherche du succès. Mais toujours en plaçant la notion de plaisir au centre de tout. Récit de quatre amis à la carrière impeccable.

Phoenix - United

United (2000)

Pour ou contre Phoenix ? À la sortie du pas si bien nommé United, le groupe divise. Il faut dire qu’en 2000, on est encore un peu dans les années 1990. Celles qui, du grunge au trip-hop, firent la part belle aux artistes très sérieux, pour ne pas dire tourmentés (Radiohead). Alors, quand quatre Versaillais fringants débarquent avec les mots hédonisme, cool, et bande-son de l’été à la bouche (voir le Magic de juin 2000, qui hisse – déjà ! – le groupe en couv’), ça détonne forcément. Car ce qu’unit United, c’est toutes les musiques d’une Amérique fantasmée. Celles qui, de la country à la soul en passant par la pop californienne, ont (on le devine) tant fait rêver Thomas Mars, Deck d’Arcy, Laurent Brancowitz et Christian Mazzalai depuis leur enfance. Pas question de faire le tri entre le bon et le mauvais goût, entre la Motown et Van Halen, entre des guitares souples comme le soft rock des années 1970 et des solos de sax comme on pensait que le comité international de la bien-pensance indie l’avait interdit depuis longtemps. United, c’est la fraîcheur incomparable propre aux premières œuvres (Too Young, comme ils le disent – et le chantent et le jouent – si bien), mais exécutée de main de maître par un groupe filou comme les vieux briscards de la pop. Qui n’hésite pas, donc, à embaucher une armada de requins de studio (à la pedal steel, aux cuivres, à la batterie…) pour magnifier ses compositions. Le rêve américain, on vous dit.

Matthieu Chauveau

Phoenix - Alphabetical

Alphabetical (2004)

Après le coup de maître (et de pied dans la fourmilière pop) United, le groupe précise la grammaire qui est la sienne dans Alphabetical. Car au fond, à force de brasser toutes les influences possibles, sait-on vraiment qui est Phoenix ? Décidément taquins, les quatre blancs-becs répondent : black music. Exercice de style à première vue (le groupe est alors obsédé par D’Angelo), ce deuxième album est aussi et surtout celui de l’affirmation d’un songwriting. Plus question désormais de noyer le poisson dans l’eau avec de longues plages instrumentales et easy listening vectrices de plaisirs coupables (la méthode United) mais place à dix vraies chansons avec couplets, refrain et pont (la méthode Alphabetical). Sur Everything Is Everything, (You Can’t Blame It on) Anybody et Holdin’ On Together, la machine à tubes Motown (ou Epic, le label de Michael Jackson) tourne à plein régime, mais pimpé façon R’n’B des années 2000. Péché mignon, Victim of the Crime ose même le recyclage du riff sur ressort légendaire du Still D.R.E. de Dr. Dre. Mais, comme chez Prince (autre référence décidément très éloignée du Versailles des quatre Phoenix), ce sont les ballades qu’on préfère dans Alphabetical. Surtout quand les chœurs moelleux font des «ouh» et des «ah» pour soutenir le chant de lover exagérément désabusé de Thomas Mars – une furieuse envie d’allumer les briquets sur If It’s Not with You, Love for Granted et Alphabetical. Et la fameuse crédibilité indé alors ? Ce n’est ni le lieu ni l’heure.

M.C.

Phoenix - It's Never Been Like That

It’s Never Been Like That (2006)

Berlin, 2006. C’est ici et à ce moment que Phoenix renaît de ses cendres, rock comme United l’était par intermittence, mais cette fois au premier degré. À force de pistes brouillées, on avait oublié l’essentiel. Le groupe est tout de même constitué de deux guitaristes, un bassiste et un chanteur initialement batteur, pas la moins bonne des formations pour donner dans la musique binaire. Parfois comparé à Prefab Sprout ou Steely Dan, il a par ailleurs toujours honni ces références (à tort), leur préférant les plus instinctifs Stooges ou Dylan. Dans la rugosité d’un studio bétonné de l’ex-RDA, les musiciens enregistrent leur troisième album avec une méthode d’ordinaire réservée aux premiers : vite, en prises live. Mais le naturel revient au galop et si urgence il y a dans les dix titres (la marque Phoenix, sur tous leurs disques), c’est toujours au service de compositions que l’on devine longuement peaufinées en pesant le pour et le contre d’un pont ici, d’un riff de guitare ou d’un break de batterie là. La batterie, parlons-en puisque le groupe fait pour la première fois appel à l’extraordinaire Thomas Hedlund, depuis de toutes les tournées, et qui participe à faire de Phoenix l’incroyable bête de scène qu’il est devenu. Et cela tombe bien parce que It’s Never Been Like That regorge de tubes à reprendre en chœur. Pour peu qu’on arrive à suivre Thomas Mars, désormais bavard comme un Dylan – mais avec du groove –, à la limite du bégaiement (“Long long long long long long… gone!”) sur le merveilleux Sometimes in the Fall.

M.C.

Phoenix - Wolfgang Amadeus Phoenix

Wolfgang Amadeus Phoenix (2009)

Si It’s Never Been Like That était né dans une volonté d’urgence, les Phoenix tergiversent en réfléchissant à leur nouvel album. Les Versaillais cherchent un son sophistiqué, en rupture avec leur passé. Ils viennent de monter leur label et sentent comme un vent de liberté entre leurs instruments. Mais le groupe tâtonne. Les Français, de retour à Paris après l’escapade berlinoise, louent une péniche avant de se retrouver dans le studio de Philippe Zdar. Le producteur (déjà crédité sur United) va devenir, à force de conseils avisés, le guide d’une formation en passe d’écrire un monument de la pop. Wolfgang Amadeus Phoenix, un nom qui claque, génial, qui affiche des ambitions énormes pour ces quatre gentils garçons pourtant loin de l’ego des plus grosses superstars. Un nom qui offre également un cadre aux musiciens, un cap à atteindre dans cette envie de tout casser. Et quelle réussite ! En dix titres, Phoenix écrit dix tubes, du premier single 1901 aux indépassables Lisztomania, Rome, Lasso, Girlfriend. Ni totalement rock, ni totalement pop, ni totalement électro mais totalement musical et capable de réunir une mêlée de mélomanes autour d’hymnes qui touchent au cœur et fleurent bon le printemps (il est sorti en mai). Les États-Unis leur offrent un passage au mythique Saturday Night Live, un Grammy Award, et un show complet au Madison Square Garden. La France ne les boude plus. Thomas Mars, Deck D’Arcy, Christophe Mazzalai et Laurent Brancowitz n’arrivaient pas à trouver leur place. Les voici à la table des plus grands.

Luc Magoutier

Phoenix - Bankrupt!

Bankrupt! (2013)

Phoenix plonge dans la gloire. Une première pour eux. Les voilà adulés et respectés. Mais le succès de Wolfgang Amadeus Phoenix n’altère pas leur envie de créer. Enregistré entre Paris et New York, Bankrupt! ressemble, aux premiers abords, à une redite : des pop songs intenses, une longue plage électronique qui donne son nom au disque, un titre choc et surtout une nouvelle fois Zdar aux manettes. Mais il règne une sorte de méfiance dans ces (comme toujours !) dix titres. Un refus de se laisser aller, de succomber à la facilité. Mieux, Phoenix réalise un sacré défi : écrire des morceaux, au moins aussi bons que leurs glorieux aînés. S’il n’a évidemment pas l’effervescence de son prédécesseur, ce cinquième album des Versaillais évite la faillite annoncée. Chic, expérimental, tourné vers les eighties, le disque sonne aussi cheap que sophistiqué. Comme une réponse à Wolfgang. Rétro mais surtout futuriste ici, Phoenix appuie sur ses propres forces et signe une multitude de titres imparables, même si parfois labyrinthiques : du foudroyant Entertainment au raffiné Bourgeois, en passant par des titres ultracools comme le si bien nommé… Trying to Be Cool, les Versaillais affinent leur savoir-faire et manœuvrent habilement entre les époques. Bankrupt! est peut-être le plus sous-côté des albums des Français. Pourtant, il indique une sérénité totale au sein du groupe. Rien ne peut bousculer leur unité, leur soif de sons.

L.M.

Phoenix - Ti Amo

Ti Amo (2017)

Les lieux ont toujours été fondamentaux dans l’histoire de Phoenix. Chaque endroit où le groupe a posé ses valises a influencé l’élaboration de leurs nouvelles chansons. En 2014, les Versaillais emménagent à La Gaîté Lyrique, à Paris. Pour ces musiciens qui adorent s’enfermer pendant des semaines, des mois voire des années avant de sortir du studio, les voici entourés de jeunes artistes en résidence. Curieux, ils squattent les répétitions des formations qui jouent le soir même, s’invitent même aux concerts. Bref, ils observent, s’enrichissent. Pour mieux écrire le futur de la pop ? Pas tout à fait. Phoenix regarde plutôt vers l’Italie. Plus particulièrement l’Italie des années 1970, période Lucio Battisti. Leur musique traduit une époque, des souvenirs d’enfance, une ambiance légèrement anachronique. La «Botte» est un fantasme pour régénérer Phoenix, leur permettre de se réinventer, sans se contredire. L’espace et le temps se confondent dans ces perles pop à la signature si marquée, aux accents de plus en plus synthétiques. Variation sur le kitsch, Ti Amo continue les expérimentations des Français en s’adossant à une synthpop solaire, en mettant en scène un lâcher prise évident comme si la bande, autour d’un Thomas Mars charmeur avec ses lyrics en français et en italien, se savait sûre de sa force, de son évidente propension à créer des mélodies malicieuses, audacieuses et directement mémorisables (J-Boy, Fior di Latte, Telefono). C’est l’album d’un groupe capable de tout, à la (french) touche de plus en plus ciselée et reconnaissable entre mille.

L.M.

Notre chronique d’Alpha Zulu est à lire ici.

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