Photo Patrice Mancino

De passage à Poitiers fin octobre, Mendelson faisait vivre pour la première fois sur scène les chansons de son explicite "Le dernier album". À cette occasion, Pascal Bouaziz nous a partagé le souvenir des débuts et le pourquoi de la fin.

Vingt-cinq ans après la naissance de Mendelson, Pascal Bouaziz, tête pensante de l’un des projets les plus aboutis de la chanson française, décide de s’affranchir d’une formation qui s’était peut-être un peu trop autocentrée sur sa petite personne… devenant un poids plutôt qu’une échappatoire.  Après sept albums magistraux, Mendelson a entamé en octobre sa dernière tournée à la suite de la sortie du dernier album (que notre rédaction a porté à la dixième place de son Top 100 de l’année). Présent à Poitiers, au Confort Moderne, pour la première date de cette dernière tournée, Magic ne pouvait manquer d’être là pour célébrer comme il se doit, la belle sortie de ce groupe qui nous aura tellement remués et fait penser. Ce soir-là, 1983 (Barbara), La force quotidienne du mal, Ville nouvelle, Héritage, Algérie auront eu une saveur particulière. Pascal Bouaziz m’invite à discuter avec l’ensemble du groupe dont un certain Jack Palance, ingé son, comme pour célébrer cette histoire collective, boucler la boucle. Au final, seul Pascal Bouaziz sera intervenu, les autres membres, buvant ses paroles dans une ambiance presque monacale, apaisée.

Cette fin, on ne l’attendait pas vraiment. J’ai cru à une blague au départ… Elle date de quand cette envie de conclure l’histoire de Mendelson ? 

D’après la rumeur publique, ça n’est pas la première fois que je dis que c’est le dernier… Mais là, pour ne pas revenir sur ma parole, on l’a marqué dessus : “Le dernier album”. Comme ça, on ne pourra pas en faire un autre. De tout façon, je n’arrivais plus à écrire des textes pour Mendelson, je ne sais pas bien pourquoi. Le jukebox me semblait déjà plein et je n’arrivais plus à en ajouter de nouvelles. À partir du moment où je me suis dit ça, j’ai réussi à écrire les chansons qui sont sur Le dernier album qui raconte la fin de l’aventure, quelques histoires et le début du groupe pour faire la boucle. Ce n’est pas une blague, même si ça peut sembler bizarre. C’est comme la chanson de Brel qui invite tout le monde à son enterrement. C’est une blague mais quand tu écoutes la chanson, tu te dis que ça n’est pas tout à fait une blague…

Dans le disque, tu laisses poindre un espoir avec un “peut-être” laissant espérer une hypothétique suite…

Non, enfin… Ce que j’aime bien dans la première chanson, c’est le mec qui meurt. Et comme tous les vieux qui meurent, ils pensent que c’était mieux avant et que le monde meurt avec eux. C’est le syndrome Alain Finkielkraut : dès que ta fin arrive tu as l’impression que tout va à vau-l’eau, que les valeurs se perdent, que la France est morte, que tout meurt avec toi. C’était ça aussi l’idée de dire que c’est notre dernier disque et de toute façon, après, il n’y aura plus de disques, plus personne pour chanter et pour écouter les disques. Et je pense malgré tout que c’est quand même un peu vrai…parce qu’on a tous une part d’Alain Finkielkraut à l’intérieur de nous même. Et puis je n’aime pas les choses qui meurent sans tambour ni trompette. Je voulais que ce soit moi qui en parle et pas un dictionnaire du rock à la con ou un truc en ligne. Et puis “peut-être”, c’est peut-être le plus beau mot de la langue française, et j’aime bien le mettre partout. En ce qui me concerne, moi, Mendelson ne chantera plus. Jamais, évidemment. Peut-être que si il y a des millions en jeu, on pourrait envisager une tournée aux États-Unis, parce qu’on n’a jamais joué là-bas…

Très tôt il y a eu chez Mendelson une sorte de frustration d’être passé à côté d’une autre histoire… Vous avez bénéficié d’un succès critique unanime et avec la musique que vous faites, vous ne pouviez pas non plus remplir les stades. Pourtant, Mendelson, excuse-moi de te le dire, c’est culte, dans le sens où vous avez bouleversé pas mal de choses pendant ces vingt-cinq ans…

On a eu deux pages dans Libé hier. C’est pas pour ça qu’on saute de joie. C’est certain qu’avec notre musique c’est difficile. En même temps, il y a plein d’autres groupes qui y sont arrivés en faisant une musique difficile d’approche. Tout dépend aussi de qui raconte l’histoire. Mendelson, ça ne parle pas à grand monde. C’est un fait. J’aurais aimé que ce que tu dises sur le groupe soit juste un peu plus partagé et qu’il y ait un peu plus de monde à nos concerts. On a peut-être été culte mais où était notre public ? Quand je rencontre des personnes qui ont été touchées par notre musique, je me dis qu’on n’a pas tout raté. Mais on a raté pas mal de trucs quand même…Tu verras ce soir : 25 personnes – faux, on était au moins 60. On a fait 800 kilomètres l’autre fois, Paris-Vauvert, pour jouer dans l’auditorium d’un collège. Il y avait 22 personnes… Quand tu repars le lendemain matin et que tu arrives à Paris, que tu as touché 80 euros pour 1600 km de camion, tu ne peux pas dire : “putain, je suis fier… Mendelson quoi…”. Ça a été quand même une belle galère. Je suis très heureux si des gens ont été touchés par ce qu’on a fait. J’en parle dans le disque. Mais pour moi, ils ne sont pas beaucoup plus que 25… Trois à Brest, quatre à Lille, toi à Angoulême. Je peux tous te les citer… 

Photo Patrice Mancino

Bovary c’était Flaubert, Mendelson c’était Bouaziz. Tu t’es toujours beaucoup livré mais peut-être encore plus pour ce dernier disque : des difficultés matérielles à une certaine époque, tes origines...

Oui je ne voulais pas être dans la redite. J’ai toujours raconté des choses très personnelles dans Mendelson mais les membres du groupe m’ont influencé. Dans les Smiths, Morrissey raconte des choses très personnelles, ça n’empêche que sans le groupe, on a vu ce que ça a donné après… Ce n’est pas parce qu’un parolier raconte des choses très personnelles que le groupe se retrouve au second plan. Et comme je l’ai dit, suivant les membres du groupe, je ne chante pas les mêmes chansons et j’écris autrement. Avec Olivier Féjoz, j’écrivais différemment qu’aujourd’hui. J’ai vieilli certes, mais par exemple avec Bruit Noir, je n’écrirai pas les mêmes chansons si ça n’était pas Jean-Michel Pirès. Il a une sorte de folie interne qui incite à la “bruinoirdise”.

La dernière chanson est très émouvante. Elle boucle la boucle. Tu y parles beaucoup d’Olivier Féjoz qui formait avec toi le duo originel. On a l’impression que tu lui dois beaucoup et que le temps vous a un peu éloignés aussi.

Oui, bien sûr, je dois beaucoup à Olivier mais c’est avant tout un hommage au groupe, aux labels, aux personnes qui nous trouvaient des dates. Je le dis dans la chanson : Olivier il s’en foutait. On ne peut pas imaginer à quel point il s’en foutait. Il était juste très heureux de me faire plaisir. Il ne voulait pas devenir McCartney. Je voulais dans cette chanson parler des débuts et me souvenir des détails de comment ça a commencé. C’est un mouvement d’écriture sincère mais c’est aussi un travail d’artiste : comment écrire la dernière chanson d’une histoire qui a commencé il y a vingt-cinq ans, après quatre-vingts chansons. Comment ne pas foirer la dernière et que celle-ci rende un hommage à toutes les autres et tout le parcours. D’ailleurs, dans l’album, il y a beaucoup de références aux anciennes chansons du groupe qui sont disséminées ici et là. La musique de La dernière chanson est partie d’un accord d’une ancienne chanson qui s’appelle Pinto. On fait référence à la chanson Je ne veux pas mourir. On parle de L’ardèche dans Héritage. C’est de la mise en scène qui donne l’impression que tout avait un sens depuis le début. Ce qui n’est pas le cas.

Et ton public, as-tu appris à le connaître ? As-tu essayé de savoir qui t’écoutait ?

Oui je sais. Il y a pas mal de professeurs de français et d’histoire-géo dépressifs. C’est ça notre public. C’est des gens merveilleux, très fidèles, très sensibles. Dernièrement, j’ai fait une série de dates avec Michel Cloup pour À la ligne. Ils sont là, fidèles, me suivent depuis des années. C’est hyper émouvant. Aujourd’hui, je n’ai aucune frustration. Maintenant qu’on a réussi ce dernier album que je trouve beau, j’ai l’impression que tout était justifié. Et comme je le dis dans la chanson : “je préfèrerais rater mille fois avec eux que réussir avec des cons”. Maintenant qu’on a réussi toute la fin de l’histoire, que le dernier plan est beau, que le film est cohérent, on se dit que finalement c’était génial toutes ces années pourries, de galère, avec des moments géniaux aussi, ces batailles pour sortir les albums, trouver des labels, se prendre des portes dans la gueule, recommencer, recommencer, trouver de l’argent, ne pas en avoir, mixer chez nous… Toute cette autoproduction c’est bien jolie quand tu as 20 ans, ce DIY, ce côté punk. Quand tu as 49 ans… Mais c’est génial qu’on ait bouclé la boucle. Ça se justifie. Et comme dit Jacques Brel en sortant de scène dans son peignoir : “ça justifie vingt ans d’amour”.

J’ai quand même l’impression que la presse a fait son boulot vous concernant, je me trompe ? 

Tu t’adresses à la mauvaise personne. Il faudrait demander à un juge. Moi j’ai l’impression que la presse, la radio, ne parlent pas du tout de Mendelson comme toi tu en parles. C’est difficile d’être juge et partie mais quand tu mènes une aventure comme Mendelson, tu veux être partout, être en 4 par 3 partout, tu veux que tout le monde parle de toi, écoute tes chansons, pas que les 25 personnes habituelles. Tu veux que “les filles soient nues et qu’elles se ruent sur toi”, comme dit Balavoine. Et puis tu ne fais pas ce genre d’aventure pour les happy few contrairement à ce qu’on croit…

Photo Patrice Mancino

Les dernières chansons du disque ne vont “vivre” que pour cette dernière tournée. C’est assez particulier ?

Oui mais elles vont vivre d’une manière très incandescente. C’est le dernier disque mais la tournée n’a pas de date de fin. Tant qu’il y aura de la demande, on sera là. Comme Bob Dylan. Non… De la demande y en a pas… Mais le groupe va peut-être faire sans moi avec un autre chanteur. Comme ça, ça me fera des points Sacem et je ne ferai plus les kilomètres. Ça serait vraiment génial. Bertrand Belin pourrait me remplacer, faire des covers. Moi je serai en Ariège grâce au chèque de la Sacem. Super idée !

Pascal, es-tu heureux aujourd’hui ? 

Mais oui, je suis bien heureux de toute cette aventure. Ça n’est pas parce que tu mets fin à quelque chose que c’est par aigreur. Au contraire. L’aigreur était là avant. Cette fin doit être juste du bonheur sans pression. Les gens ont du mal à comprendre. Le groupe avec tous ces albums, toutes ces chansons, était devenu un poids. Tu ne peux pas sortir un album avec une pochette rose, une fleur, une photo de la tour Eiffel, faire le guignol… Tu es contraint par cet héritage : tu ne peux pas changer la couleur des murs. C’est un seul livre. J’ai écrit le dernier chapitre parce que l’héritage devenait trop lourd. Aujourd’hui on doit un troisième album au public gigantesque de Bruit Noir qui nous attend et qui hurle d’impatience.

Un autre long format ?