Farewell To All We Know
Matt Elliott
Ici d'Ailleurs

Matt Elliott extirpe la beauté des ténèbres qui nous cernent

Pour son dixième album, Matt Elliott nous offre un disque intimiste et plus effeuillé que jamais, écorché et aussi, parfois, ouvert et optimiste.


Un coup de cœur du numéro 220


L’une des scènes de cinéma les plus fortes qu’il a été possible de contempler est la finale de Melancholia, de Lars Von Trier (2011). Assis en tailleur sur le gazon, Claire (Charlotte Gainsbourg), son jeune fils Léo (Cameron Spurr) et Justine (Kirsten Dunst) attendent la fin du monde, d’une seconde à l’autre, puisqu’il est désormais acquis que la planète Melancholia va s’écraser sur la Terre et la désintégrer. Au milieu des vents qui servent de dernier râle à l’espèce humaine, Claire sera l’esclave de ses nerfs et son émotivité jusqu’à la seconde fatale. Léo est plus sensible à la digne sérénité de sa tante Justine. Bien sûr, Justine souffre. Elle est soustraite à ses émotions depuis trop longtemps. Mais son splendide détachement, la contemplation passive dont elle gratifie l’instant est sa façon à elle de se hisser au niveau de la tragédie qui rôde. Cette sinistre volupté, cette fabuleuse dignité, ce souffle vital véritable irriguent Farewell to All We Know («Adieu à toutes nos certitudes»), le dixième album solo de Matt Elliott. Le Bristolien fondateur de Third Eye Foundation n’attend plus rien des sept milliards d’âme qui l’entourent, encore moins de ceux qui les dirigent (vers le mur). Mais il est homme assez sûr de son art pour fendre le chaos de l’époque avec ses armes : la musique, les mots, la beauté, l’épure, ce goût d’éternité qui traverse les quarante-quatre minutes de l’album. Depuis The Mess We Made (2003), Matt Elliott s’inscrit dans la noble et rare lignée de ces artistes dont chaque album, chaque chanson, chaque demi-seconde est une offrande durable à ce qu’il faut appeler une œuvre – Wake the Dead, l’album du retour de Third Eye Foundation avait, presque fatalement, fait l’objet d’un coup de cœur dans ces colonnes mêmes en 2018. Farewell to All We Know aura quoi qu’il arrive une place à part dans cette œuvre. Tournant, phare, pièce à part, aboutissement : l’histoire tranchera. Mais le présent doit rendre justice à cette aventure sonore ténébreuse mais magistrale. Tout Matt Elliott y est, ce lyrisme sourd de mâle écorché, ces influences hispanophones et slaves. Sa façon de prendre de l’ampleur consiste paradoxalement à baisser le son, enlever des couches, laisser derrière lui les orages vertigineux proches de la transe dont il pouvait naguère sanctionner ses couplets, notamment sur scène avec le trio Vacarme. Matt Elliott rentre ici ses indignations dans des arpèges et picking de guitare exécutés comme au ralenti, un piano joué du bout des doigts, une voix profonde pareille à celle de Leonard Cohen, que soulignent le violoncelle si puissant de Gaspar Claus et la contrebasse souple de Jeff Hallam. Le cœur de Can’t Find Undo fait partiellement exception à cette orientation. Hasard ou pas, le son sismique qui émerge au milieu de la chanson serait la bande originale rêvée de la scène de Melancholia sus-citée. Matt Elliott prétend, dans l’entretien qu’il nous a accordé, qu’il n’attend plus rien de l’avenir et de ceux qui ont plus de pouvoir que les autres pour faire dévier son cours vers les lumières. Avant de citer un ou deux noms, quand même, comme l’aveu d’une lueur d’espoir. A-t-il oublié que Farewell to All We Know s’achève sur son morceau le plus ouvert et optimiste, clamant comme un mantra que le pire est derrière nous (The Worst is over) ? Ce qui est derrière nous à cet instant précis, c’est l’écoute d’un disque miraculeux de grâce sur les crépuscules qui nous cernent.

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