Avec son quatrième album, "Lotto", They Are Gutting A Body Of Water livre sans doute le projet le plus dérangé et dérangeant du shoegaze contemporain. Et c'est génial.
Je sais que ça va en étonner plus d’un – aussi excellent que soit Some Like It Hot, l’album de bar italia qui sort aussi ce 17 octobre, il ne sera pas mon album de l’année incontesté. Il sera peut-être même deuxième, je ne sais pas encore. C’est déjà franchement excellent, mais il se sera probablement fait détrôner. Pas par n’importe qui. Ni par n’importe quoi. Par l’album le plus perturbant et le plus perturbé que j’ai pu écouter en cette sainte année 2025. Je raconte en effet souvent que le shoegaze américain actuel, avec Wednesday, Feeble Little Horse, Full Body 2, Untitled (Halo) ou encore shower curtain, est la scène musicale actuelle que je considère comme la plus intéressante, et que They Are Gutting a Body of Water – TAGABOW, à partir de maintenant dans cette chronique, pour des raisons évidentes – en est un excellent chef de file.
Mais bordel de merde. LOTTO, qui marque la signature de TAGABOW sur ATO Records, dépasse toutes mes espérances. C’est Requiem for a Dream, Trainspotting et toutes ces œuvres imbibées de drogues dures, mais jouées sur une Fender Jaguar tellement burinée par les coups de poing de Douglas Dulgarian qu’elle en devient méconnaissable. C’est un shoegaze qui vous donne l’impression que vous allez pouvoir planer, mais qui vous attrape par les jambes avant de vous les engluer dans une grosse chape de béton – à défaut de vous expédier directement dans les sept cercles de l’enfer. Dès l’ouverture transpirante, The Chase, TAGABOW nous fait tomber à la renverse, mais gentiment, ils nous refilent quelques pilules de fentanyl pour faire passer la douleur. Le fentanyl, tout comme le crack, est d’ailleurs un personnage secondaire de LOTTO – présent autant dans les scènes de vie que Dulgarian observe depuis sa fenêtre à Philadelphie que dans sa propre quête désespérée de dopamine – “Mouth wet at the Disney bread / Crack dream on the floor”, dans Trainers.
Est-ce cette ombre-là, celle de la drogue qui fait baisser l’espérance de vie des Américains année après année – en 2025, le self made man, c’est celui qui peut se faire sa propre dope avec ce qu’il a chez lui –, qui rend LOTTO si malsain ? Ou bien le reflet d’un pays qui sombre, seconde après seconde, dans une caricature grotesque entre South Park, The Handmaid’s Tale et Idiocracy ? – “What’s wrong with crackheads owning guns if they’re good people”, question existentielle posée dans The Chase. Entre ses riffs froids comme une aiguille à peine sortie d’un écrin pas toujours stérile, ce mur de son dont on voit chaque tâches de moisissure et morceau de plâtre qui tombe, cette batterie frappée comme si chaque fût était un agent de l’ICE perdu dans une manif’ antifa, ses expérimentations sonores dignes d’une BO de Nintendo 64 en guise de refuge et d’interlude, ces paroles qui mériteraient leur propre Pierre de Rosette pour comprendre leurs subtilités et ce chant qui oscille entre rêve fiévreux, crise de panique et vidéo conspi sur YouTube, le shoegaze de TAGABOW n’a rien d’un revival. C’est au contraire une nouvelle donne. Je pourrais lister mes morceaux préférés, mais ce serait peine perdue : the chase, sour diesel, trainers, chrises head… Ah oui, je suis en train de réciter la tracklist, en fait. Et peut-être que c’est ça, finalement, le signe d’un très grand disque. Le combat avec bar italia pour décrocher ma première place de 2025 s’annonce féroce. Et j’ai rarement été aussi heureux de mon indécision chronique.