© Lolie Fouquet

Son nouvel album au titre ésotérique, "Glass of Blood", sorti en avril dernier, est flanqué d’une police sanglante type films d’horreur des années 70. Derrière ces atours kitsch mais profondément personnels, l’artiste Lisa Li-Lund se met (involontairement) à nu.

La chanteuse franco-suédoise Lisa Li-Lund, repérée dans la galaxie anti-folk aux côtés de ses frères Herman Düne, ne se laisse pas approcher facilement. Elle limite ses rencontres IRL (In Real Life) et refuse les visio-conférences – qui ont pourtant la cote à l’ère du COVID-19. Son équipe nous propose, plutôt, de convenir d’un rendez-vous téléphonique.

Si l’artiste ne ressent pas l’appréhension au moment de monter sur scène, la femme se retrouverait paralysée si nous devions prendre un café. Elle préfère tenir à distance son.sa interlocuteur.trice par pudeur ou pour se protéger. Pourtant, au bout du fil, la femme, justement, n’a jamais été aussi proche de nous. « Glass of Blood est un condensé de ce que je suis, de ce que je vis, de ce que je regarde, de ce que je lis », nous confie Lisa Li-Lund rapidement.

Elle réagit à l’imagerie mystique de la pochette de son nouvel album et cette vision fantomatique d’elle-même, debout au pied d’une pyramide, le dos droit, ses mains qui enserrent fermement une dague – attributs qu’elle conserve dans le clip de son premier single Janet, entre ésotérisme et heroic fantasy. Elle y incarne à la fois une sorcière et une guerrière médiévale en armure. « Tout le côté série Z, cliché, peut faire sourire mais ce sont mes références, dit-elle. Les cérémonies au clair de Lune dans des cercles de feu, l’armure, la dague en pierre de Lune qui me sert à couper les liens toxiques… appartiennent à ma vie spirituelle et à mon quotidien. »

Glass of Blood ne la raconte pas seulement symboliquement. Lisa Li-Lund y livre l’itinéraire d’une femme meurtrie à la première personne du singulier, enregistré au pluriel, en chevaleresque compagnie : sous l’égide du fidèle Guillaume Léglise, avec Chloé, Etienne Jaumet, Kim, Gaspar Claus, Romain Turzi, Cosmic Neman (Herman Düne, Zombie Zombie), Ben McConnell. « Je les appelle volontiers mes chevaliers parce qu’ils s’étaient donnés pour but de faire un album magnifique, se réjouit-elle. Nous avons vécu une véritable épopée poétique ensemble. J’ai encore du mal à y croire. Il y a eu plein de défis de nature physique à relever, des moments de vie importants, que ce soit pour moi ou mes musiciens. »

Lisa Li-Lund était enceinte et a donné naissance à son premier enfant, un fils, pendant la confection de cet album en studio. « J’ai tourné autour de ma propre question, résume-t-elle. Beaucoup toute seule, puis en équipe, dans la bienveillance et l’affection de mes chevaliers. C’est la mise en mélodie d’un moment de ma vie et de ce que j’ai dans le cœur. »

Je ne pouvais pas être au cœur d’un disque sans évoquer mon complexe d’abandon.

Lisa Li-Lund

Sa poésie de l’intime est directe, accessible, brute. « Beaucoup de gens se demandent ce qui se cache derrière toutes ces images que j’utilise, alors que j’ai l’impression d’écrire comme je parle et comme je pense, s’étonne-t-elle. Ça vient de ma culture musicale. J’écoute beaucoup de folk. »

Entre les lignes (ou pas) de ses nouvelles chansons, Lisa fait l’expérience de la douleur, physique et psychologique. Il est souvent question d’une jambe cassée et d’un entourage boiteux, en particulier dans ces quelques vers déchirants extraits de Planet, qui résument à eux seuls la détresse dont elle a fait l’expérience : « When walking through my leg got weak and my friends didn’t follow. There was this little ghost in his little boat telling me « look out, you’re alone now » » (Je marchais et à mesure que ma jambe me lâchait, mes amis n’ont pas suivi. Il y avait ce petit fantôme dans son petit bateau qui me disait : fais attention, tu es seule maintenant).

« C’est le moment le moins pudique de l’album, rougit-elle. En écrivant ces mots, j’avais les dents qui grinçaient mais j’ai quand même décidé de conserver ce passage, parce que je ne pouvais pas être au cœur d’un disque sans évoquer mon complexe d’abandon. Avec l’âge, ça se dépeuple, ça se dépersonnalise autour de nous. C’est désagréable, et tu le ressens physiquement (cf. Muscle Memory of Missing You, ndlr). Une personne choisit de ne plus faire partie de ta vie et c’est la fin de tous les mondes. Certains diront que ça leur permet de faire le tri de leurs amis, mais c’est juste une façon de s’arranger avec une réalité qui nous brise le cœur. Si on avait pu choisir, on aurait juste gardé tout le monde. »

Lisa Li-Lund fait le compte de ses mésaventures amicales et sentimentales, qui continuent de la hanter. « Je vis avec mes fantômes, dit-elle. Je ne sais pas me débarrasser des gens que j’ai aimés. Je n’en ai même pas envie. Qu’ils soient pourris ou non, je les aime toujours pareil. » Cette adepte des bijas mantras refuse de qualifier cet album d’hymne à la résilience. Intention karmique !

« Je renais dans une nouvelle vie en étant emprunte des précédentes, sans jamais rien laisser derrière moi », explique-t-elle. Elle avoue néanmoins avoir été tenté par la vengeance dans cet aveu accablant, extrait de Screaming Beast : « It’s strange cause I don’t wanna harm you but I guess you’ve been too far too long » (C’est drôle parce que je ne veux pas te faire de mal mais je suppose que tu as été trop loin trop longtemps).

Dans cette chanson et ailleurs (Terminator), elle file la métaphore cannibale. Elle a sur les mains le sang de celui.celle qui l’a fait souffrir, qui l’a rendue faible, qui s’est servi.e d’elle, qui n’a fait qu’une bouchée d’elle tellement elle était devenue tendre. Le sang coule de la pochette aux textes des morceaux. « Je suis pourtant végan depuis que je suis toute petite, sourit-elle. Pour moi, le sang, c’est l’essence même de la vie. Il représente davantage la vie que la mort. » 

Ses seules velléités de vengeance se trouvent dans ces moments poétiques fantasmés. « La vengeance, c’est très beau à lire, à parler, mais c’est tellement laid à pratiquer, songe-t-elle, craignant d’alourdir, si elle y cédait, sa dette karmique. J’aime bien m’imaginer en vengeresse, mais ça n’est jamais mis en pratique. C’est une énergie que je ne veux pas dans ma vie. »

« I didn’t know one could entirely burn and still smile deep and slow » (Je ne savais pas que l’on pouvait brûler entièrement et sourire encore profondément et lentement), chante-telle dans l’outro de Shadows. Lisa Li-Lund est reconnaissante du pouvoir salvateur de la musique, et de cet album en particulier – qui l’a réconcilié avec ses démons. Glass of Blood est né d’une période sans musique, pendant laquelle celle qui a toujours chanté depuis son plus jeune âge, en famille, avec ses frères Herman Düne ou comme choriste dans une cinquantaine de formations, avait perdu sa voix et toute envie de composer. « J’écoutais des bruits blancs en permanence, la pluie, le tonnerre, des grésillements électriques, et j’en faisais des boucles pour me faire du bien, me rassurer », se souvient-elle. Des fréquences qu’elle a cherché à reproduire sur ce nouvel album, avec une application quasi-épileptique.

Je disais à mes musiciens d’aller chercher dans des choses douloureuses mais belles.

Lisa Li-Lund

Lisa Li-Lund a travaillé avec autant de musiciens que d’arrangements rêvés. Elle s’explique : « Je suis très liée aux sons de basse, à la boîte à rythme, au synthé analogique, aux tonalités graves du violoncelle, et chaque musicien a été choisi en fonction du son qu’il joue et de sa patte pour que ça colle au plus près de mes émotions. Je ne voulais pas une guitare électrique qui sonnait comme ci ou comme ça, je voulais la guitare électrique de Romain Turzi. J’entendais le violoncelle de Gaspard Claus. Chaque musicien est lui-même un instrument dans ce disque. »

« I started so many songs to write how it makes me feel but there’s no beat that drops low enough to amount to the pain in our hearts » (J’ai commencé tellement de chansons pour écrire ce que je ressens mais il n’y a pas de battement qui descende assez bas pour retranscrire exactement la douleur de nos cœurs), écrit-elle dans le titre cathartique Your Words Our World, sur la disparition d’un être cher, qui a précédé de deux ans ce nouvel album et créé l’impulsion.

Le son, la recherche autour du son, étaient alors parfaitement conscientisés. « Je disais à mes musiciens d’aller chercher dans des choses douloureuses mais belles : le bateau fantôme dans les cordes du violoncelle, leurs propres larmes dans les miennes. Je voulais qu’on sente que c’était très physique leur façon de jouer de leur instrument. » L’alchimie était telle que les fréquences basses-medium du violoncelle de Gaspard Claus lui donnaient des contractions. « Cet album pourrait être le premier ou le dernier, conclut-elle. J’y ai mis tellement de moi et de la musique qu’il y a dans ma tête. »

En concert le 19 août au festival La Route du Rock de Cancale et le 10 septembre à La Boule Noire de Paris (avec Nicolas Michaux et Turner Cody)

Un autre long format ?