Maxime Jammet et Benoît Crevits, nos régionaux de l'étape, ont tenu un journal de bord à la première personne, des Francofolies de La Rochelle.
Les Francofolies, le festival inventĂ© par feu Jean-Louis Foulquier en 1985 a rarement aussi bien portĂ© son nom qu’en 2022. Entre les darkeries agnostiques de Gargantua, la furia fĂ©ministe et disco, le rap-game qui s’emballe entre Booba et Vald, le crooner clownesque Maxwell Farrington qu’on a suivi durant des heures en pouffant, la rĂ©vĂ©lation Lonny, les punchlines qui claquent du roi du synthĂ©tisme romantique et enfin Florent Marchet qu’on a Ă©coutĂ© religieusement avant qu’il nous raconte son adolescence sous la pleine lune, nos deux rĂ©gionaux de l’Ă©tape, Maxime Jammet et Benoit Crevits, ne se sont pas annuyĂ©s une seule seconde dans ce qu’ils considèrent comme la ville la plus belle de France, lors de l’Ă©dition 2022 qui s’est achevĂ©e le 17 juillet, preuve que la musique chantĂ©e en français a encore de beaux jours devant elle.
13 juillet 2022
Premier jour des Francofolies
Grosse teuf’ techno et haleine de chacal
Il fait beau, il fait chaud, et alors que La Grande Scène accueille la pire soirĂ©e du festival avec entre autres Calogero et GaĂ©tan Roussel qui transpirent dans le vide, on file de l’autre cĂ´tĂ© de la citĂ© Ă la S.M.A.C de la Sirène oĂą se prĂ©pare tranquillement la nuit la plus festive des Francofolies de La Rochelle, grand rassemblement en hommage Ă la musique chantĂ©e en français. Alors que l’apĂ©ro bat son plein sur la terrasse extĂ©rieure, entre bières bas de gamme et Jupiter 0% qualitative, on dĂ©cide de traverser le fameux pont de l’Ă®le de RĂ© pour admirer les dernières lueurs du jour.
La grosse teuf Ă©lectronique commence enfin Ă 22h30 avec le bien nommĂ© French 79 qui ne joue pas vraiment du post-punk de 1979 mais bien une sorte de techno de jeu-vidĂ©o qui pourrait lui valoir un procès pour plagiat contre Ratatat. Seul contre tous, il se bat lui-mĂŞme contre ses machines qui produisent un beat enfantin tel un bĂ©bĂ© qui taperait sur ses genoux en rythme, une boucle rythmique obsĂ©dante qui ravit les adulescents prĂ©sents dans la salle. S’il avoue la larme Ă l’Ĺ“il «ne pas avoir jouĂ© ça depuis si longtemps!», il ferme rapidement sa bouche et se concentre sur son travail avec un superbe finish Ă base d’arpĂ©giateurs de niveau musique classique traversĂ©s par une mĂ©lodie fantasmatique.
Place ensuite Ă NTO aka Anthony Favier qui a eu la rĂ©vĂ©lation divine lors d’un voyage fantastique au cĂ©lèbre Sziget Ă dix-huit piges avant d’Ă©cumer les clubs de Montpellier. Après avoir rembarrĂ© une jeune mĂ©decin qui nous demandait de la drogue, comme quoi tout est possible lors d’une fiesta Ă©lectro, Favier envoie du lourd avec une techno glaciale et minimale irriguĂ©e par des notes lunaires et des mĂ©lodies romantiques. Alors que la pièce obscure se transforme en salle de fitness Ă mesure que les beats traversent les corps, quelques cyborgs apparaissent sous la lumière criarde de stroboscopes futuristes, lunettes de Star Trek bien vissĂ©es sur le nez. D’abord isolĂ© lui-aussi au milieu de ses machines, il est finalement rejoint par un ĂŞtre humain qui sue Ă tapoter sur un vrai piano pendant qu’il laisse son synthĂ©tiseur jouer tout seul tel une voiture sans conducteur : c’est aussi ça le futur, avec très bientĂ´t des concerts uniquement pilotĂ©s par des machines sans aucune particule vivante sur scène, guidĂ©s par un robot façon Star Wars crachant des mĂ©lodies vocodĂ©es.
Mais avant cela, un duo Ă cheval entre moyen-âge et modernitĂ© numĂ©rique Ă la peau humaine bien rĂ©elle va faire son apparition. RencontrĂ©s face aux vaguelettes oĂą il espĂ©raient «voir surgir le dĂ©mon d’un moment Ă un autre», J4N D4RK et son comparse GOD3FROY ont traĂ®nĂ© durant des heures avec des lunettes noires pour nuit blanche, attendant leur heure dans la nuit infinie tels des loup-garous sous la pleine lune, entre apĂ©ro Redbull et Coca ZĂ©ro dans les loges pour tenter de digĂ©rer de (grosses) quantitĂ©s d’huĂ®tres rochelaises ingurgitĂ©es dans le «bâtiment Spotify» : «Je pue de la gueule lĂ c’est vĂ©nèr, une vĂ©ritable haleine de chacal ! ». C’est donc avec les dents bourrĂ©es de dentifrice que les deux lascars dĂ©boulent Ă deux-heures quinze du matin pour clĂ´turer cette teuf techno avec de la noirceur, de la violence et des paroles pour choquer la mĂ©nagère.
GrimĂ©e en Dracula, la doublette formĂ©e autour du livre de Rabelais et «de ses idĂ©es sur le chaos nimbĂ©es d’un fort humanisme » qui a signĂ© un pacte avec le diable un vendredi 13 de l’annĂ©e 2015 lors de la soirĂ©e techno-sataniste «666 Techno» dans un bar gothique de «la ville la plus chiante du pays» aka OrlĂ©ans libère un medley de ses sept premières annĂ©es, entre rave ultra violente «qui tâche, façon BĂ©ni BĂ©nassi mĂ©tallique» composĂ©e avec le fameux «Korg electribe EMX 1», chansons d’amour qui irriguent toute leur discographie et cette fusion gĂ©niale d’Indochine sous amphĂ©tamines parue dernièrement.
Bien dĂ©cidĂ©e à «casser la ville», la paire de Gargantua qui dĂ©teste les free-parties dans les bois et entend bordĂ©liser les arcanes souterraines (ou pas) de l’espace urbain avec de la musique accessible Ă tous «comme le livre de Rabelais lu aux pauvres» demande Ă l’assistance pĂ©trifiĂ©e par leur agressivitĂ© sombre de lever le doigt en l’air pour faire une dĂ©dicace Ă Dieu, «ce gadgo qui fait qu’on est lĂ aux Francofolies, au bord de l’eau, mais qui me rend furax’ quand il prĂ©tend avoir LA solution ».
Nouveaux rois de l’Ă©lectro-teubĂ©e mais toujours adeptes de sorcellerie, ils sortent de leur chapeau magique une Ă©norme boule de feu blanche sortie d’un film de science-fiction qui Ă©claire subitement un public mi transi-mi hĂ©bĂ©tĂ© pour les puceaux. Tout aussi fans de blasphème que d’humour, les deux potos qui prĂ©tendent brĂ»ler les Ă©glises «pour dĂ©conner» et ironisent sur le fait de «ne pas vraiment faire d’humour mais quelque chose qui peut pousser Ă rire» excitent enfin l’entièretĂ© des jambes prĂ©sentes face Ă eux avec leurs deux ultimes hits Youtube dont «Immoral et IllĂ©gal» oĂą la violence froide laisse dĂ©finitivement place Ă de la pop de stade avec l’électro-autistique et festive dont ils avaient toujours rĂŞvĂ©. DĂ©sapĂ© jusqu’Ă l’os, le maĂ®tre de cette cĂ©rĂ©monie funèbre J4N D4RK qui laisse fièrement admirer ses quelques kilos de bière en trop jette ensuite de la poudre aux saveurs irrĂ©elles dans les yeux de ses sujets, histoire de les convertir pour de bon Ă sa religion libertaire et agnostique. – M. J.
14 juillet 2022
Deuxième jour des Francofolies
Les femmes prennent (presque) le pouvoir sur la pop mainstream
Avant de prendre notre dose annuelle de pop de stade, direction la scène gratuite des «Francos» oĂą se succèdent groupes indie-rock, nouvelles pĂ©pites en français dans le texte et second couteaux du rap-game face au public le moins prĂ©parĂ© du festival : personne n’a fait pĂ©ter son “PEL” pour ĂŞtre ici, donc personne ne sait rĂ©ellement qui il Ă©coute. Un challenge de taille relevĂ© avec brio par Ichon, floweur d’origine camerounaise nĂ© dans la banlieue rouge de Montreuil pile-poil onze ans avant les attentats du 11 septembre 2001, et ça n’est pas tout Ă fait un hasard.
Puncheur des mots Ă la trajectoire fascinante, Yann-Wilfred Bella Ola a d’abord sorti deux disques de gangsta-rap oĂą il contait d’une voix sanguinaire sa vie aux frontières de la mort entre sexe libre, drogue, violence de rue, teuf’ noire et tentatives de suicide. PassĂ© du noir au noir et blanc et enfin (presque) Ă la paix intĂ©rieure en 2021 avec un album de daron plus proche de la chanson que du «pera», celui qui s’oriente dĂ©sormais clairement vers la pop apparaĂ®t en grande forme sous la canicule, ultra dĂ©tendu, comme dĂ©foncĂ© au bonheur et – peut-ĂŞtre un peu – au hashish.
PossĂ©dĂ© par une sorte de cloud-rap instrumental qui tranche violemment avec le minimalisme flemmard de certains de ses pairs, il dĂ©clame un «faĂ®tes votre truc par amour et pas pour la tune» avant de faire jaillir du fond de ses cordes vocales un hurlement tonitruant dirigĂ© contre l’argent «qui tue les gens» et de plonger la tĂŞte la première dans la foule pour catharciser ce mal «qui rend fou» et prendre sa dose d’amour charnel. Ancien bandit devenu gourou peace-and-love, il est toujours aussi angoissĂ© et n’en finit plus de hurler, une folie presque punk chez ce mec qui dĂ©teste l’ennui et cale mĂŞme une petite rĂ©fĂ©rence Ă Angèle. Après un Ă©nième pĂ©tage de plomb, ce show-man extraverti fait mĂŞme danser les familles et les gosses agglutinĂ©s dans ce jardin d’enfant avec son tube Spotify avant de rĂ©pĂ©ter pour la dixième fois d’affilĂ©e son mantra existentiel favori «faĂ®tes votre truc jusqu’Ă la mort !» tout en se claquant violemment le cĹ“ur.
L’heure pour nous de filer Ă la scène «Jean-Louis Foulquier» – du nom du crĂ©ateur du raout – oĂą deux cĂ©lèbres nymphes nous attendent pour mettre (presque) tout le monde d’accord avec une victoire par K-O sur la pop-mainstream suite aux Ă©gosillements pitoyables de leurs compères masculins la veille. Place d’abord Ă la lady hĂ©roĂŻne Juliette Armanet qui a fait pĂ©ter la veste Ă paillettes et alterne brillamment petites bombes discos et ballades romantico-dĂ©chirantes au piano. Performeuse dans l’âme Ă l’Ă©nergie inĂ©puisable, elle irradie la mainstage de son unique prĂ©sence, qu’il s’agisse de danse furieuse ou de solitude derrière un grand piano, un instant potentiellement ultra chiant, qu’elle convertit en moment d’extase pur.
RĂ©glĂ©e de manière constante sur le mode «fofolle», elle explose plusieurs fois de suite d’un rire sardonique tout en recoiffant sa tignasse en surjouant la publicitĂ© “L’OrĂ©al”, et alors que la meuf est Ă l’aise comme dans son salon, elle dĂ©cide tout simplement de draguer violemment un spectateur, lequel se pisse gentiment dessus, et on se dit qu’au mieux cette grande aventurière des sentiments vient de se faire larguer dans les loges, ou qu’au pire elle est juste en train de tromper son mec devant des milliers de fans. Un moment (gĂŞnant) choisi par le vĂ©nĂ©rable Adrien Soleiman pour faire une apparition furtive au saxophone.
Pas vraiment Ă©reintĂ©e par sa propre furia, cette enfante cramĂ©e de Mylène Farmer et France Gall continue de “brĂ»ler le feu” avec ses tubes A La Folie et Le Dernier Jour Du Disco repris en mode karaokĂ© gĂ©ant par ses sujets masculins, et si les lueurs rougeoyantes du coucher de soleil finissent de plonger l’Ă©norme parking habituellement rempli de SUV sans âme dans une ambiance de rencard amoureux, des flammes fictives et inutiles apparaissent subitement autour de Juliette qui n’avait de toute Ă©vidence nul besoin de technologie ou de pyrotechnie pour cramer cette piste qui se souviendra longtemps de son passage volcanique.
A peine le temps de redescendre, on croise une collègue d’un “gros mĂ©dia belge” qui trouve que Angèle n’est “clairement pas leur meilleure reprĂ©sentante” avant de nous filer quelques bons Ă©lĂ©ments d’analyse: “Je l’ai vu au tout dĂ©but dans des petits bars de Bruxelles en 2016 et c’était super, juste elle derrière un piano, ça mettait plus en valeur sa voix. Je me souviens aussi d’un concert dĂ©ment Ă l’Ancienne Belgique – ou l’AB pour les intimes – mais depuis j’ai lâchĂ© l’affaire”. Pas du tout d’accord avec sa première assertion, et interloquĂ© par la deuxième – qui va, on l’espère, au delĂ du “je la connaissais avant tout le monde et je la conchie depuis qu’elle est cĂ©lèbre” qui ferait Ă©tat d’un niveau d’analyse de collĂ©gien –, on fonce sans rĂ©flĂ©chir vers la Grande Scène car si notre amie belge rĂŞve d’underground, o va courir après les sensations (fortes) mainstream.
Et si notre petit coeur de fan’ assumĂ© chavire rapidement devant la beautĂ© fatale de la vingtenaire belge sapĂ©e avec un magnifique complet “Cochonou” aux couleurs du Tour de France, et plus sĂ©rieusement face Ă sa voix pure et parfaite qui sort de son petit corps d’éternelle teenager, on se dit aussi assez rapidement que quelque chose cloche. Un premier Ă©lĂ©ment d’analyse jaillit de la fosse aux lions: face Ă un public qui ne connaĂ®t que ses trois tubes radiophoniques, il y a de quoi paniquer, elle a besoin de se sentir aimĂ©e pour donner son plein potentiel. Mais après avoir lourdement cogitĂ©, on se dit que le mal est plus profond: Angèle est peut-ĂŞtre l’une des plus adroites autrices-compositrices et productrices de pop-mainstream Ă l’heure actuelle – et c’est dĂ©jĂ Ă©norme – mais elle n’est peut-ĂŞtre tout simplement pas une “showgirl” capable d’enflammer des stades.
Pour compenser ce gros point faible, ses collaborateurs ont ainsi imaginĂ© toute une chorĂ©graphie presque trop millimĂ©trĂ©e avec des dizaines de danseurs professionnels, une partition gestuelle qu’on l’imagine rĂ©pĂ©ter encore, et encore, et encore, mais l’écueil de cette solution au problème est un rĂ©sultat terriblement mĂ©canique et un peu (beaucoup) sans âme. Et l’on repense alors Ă ces fameux “concerts gĂ©niaux dans les bars” Ă©voquĂ©s par cette journaliste belge, ces fameux “bars vides” qu’elle Ă©voque ironiquement dans ses textes, sauf qu’à dĂ©faut d’être remplis, elle pouvait y exprimer un potentiel, assise sur une chaise, derrière un modeste piano. Il lui reste du boulot pour Ă©vacuer sa peur de la foule, des scènes trop grosses et tout simplement du vide doublĂ©e de cette sensation (horrible) de ne pas ĂŞtre Ă la hauteur face Ă un public qui – en plus – ne l’aime pas vraiment. – M. J.
15 juillet 2022
Troisième jour des Francofolies
Du sang et des blagues
Alors que la plupart des Rochelais sont dans leur piscine ou dans l’eau de mer pour contrer la canicule, on retrouve le duo franco-australien Maxwell Farrington et le Superhomard pour une rencontre au sommet dans le restaurant des artistes. «Max» et Christophe ont torchĂ© une sacrĂ© pĂ©pite en 2021 en unissant leur force, et pour cause. Si le premier – qui dĂ©teste la chaleur, s’asperge avec son brumisateur et nous balance gentiment de la vapeur d’eau plein la tĂŞte – cherchait un arrangeur pour magnifier sa voix de crooner, le second qui «ne veut plus chanter» Ă©tait en quĂŞte d’un timbre singulier pour Ă©gayer ses compositions et ses arrangements.
Le coup de foudre a lieu au «Mama Festival» en 2019 : «Je venais de virer mon groupe de scène, je l’ai entendu chanter Close To you de Burt Bacharach durant ses balances et je me suis dit “putain mais c’est le mec que je cherche depuis tout ce temps !”». Les complices Ă©crivent le disque Ă haute vitesse en 2020, en dĂ©pit du confinement, entre Ă©changes Ă distance et crĂ©ation chez l’un ou chez l’autre dès la levĂ©e des restrictions. Les idĂ©es pleuvent de tous les cĂ´tĂ©s, et alors que Christophe ajoute d’abord frĂ©nĂ©tiquement sur ses instrumentaux les voix enregistrĂ©es sur cellulaire envoyĂ©es par Maxwell, ils trouvent ensuite la formule : «Pour Lights And Season il m’a envoyĂ© un guitare-voix dont il a le secret et m’a demandĂ© de faire un arrangement Ă la Scott Walker, ça a cartonnĂ©, on a suivi ce process pour les autres morceaux ». Ils se rĂ©unissent «IRL» pour terminer le boulot, trois jours Ă Saint-Brieuc chez Max pour capter toutes les voix, une semaine Ă Avignon chez Chris’ pour enregistrer les instrus : «tout est allĂ© très vite, mon frère a refait les batteries derrière et on gardĂ© la prise voix au tĂ©lĂ©phone de North Pole tellement elle Ă©tait parfaite ! ». Des voix que Max invente Ă la vitesse du son en mode Ă©criture automatique : «Je fredonne la mĂ©lodie et j’Ă©cris le texte en mĂŞme temps, LALALALA, c’est le flux de conscience, ma main bouge toute seule avec la mĂ©lodie ! ».
Si ce premier disque Ă©crit Ă deux est magnifique, fusion parfaite de langueur cinĂ©matique extatique portĂ©e par des arrangements divins et par cette voix racĂ©e de crooner solitaire, ils prĂ©voient dĂ©jĂ un cadet et un Ă©norme projet avec le conservatoire de Saint-Brieuc pour «transformer les titres minimalistes des Beatles avec des arrangements classiques et baroques ». Après m’avoir avouĂ© son amour pour Angèle et Clara Luciani en «OFF», Maxwell qui est un clown ambulant «à la descente lĂ©gendaire» me paye une Jupiter 0% au bar VIP avant de dĂ©cocher sa première connerie de la soirĂ©e : «Tu sais pourquoi les golfeurs ont deux paires de chaussettes ? C’est au cas oĂą ils feraient un trou en un ! »
Alors que North Pole passe comme par magie dans les enceintes du bar, je pars au club de nautisme qui accueille gracieusement le festival sur son territoire depuis 1985, pendant qu’ils filent Ă leurs balances : «On se retrouve encerclĂ© par des hordes de gens durant cinq jours, c’est assez dingue en fait ! Une partie de l’Ă©quipe d’Angèle a fait un tour en catamaran, mais elle avait trop peur de se casser quelque chose. Aucun artiste n’a osĂ© ! ». Après un running sous la canicule, on retrouve le duo franco-australien dans le jardin gratuit pour une heure d’instrumentaux rĂŞveurs et de stand-up. Tout comme il l’avait fait avec un micro d’Iphone pourri, Max ne triche pas et magnĂ©tise l’assistance avec son crooning de compĂ©tition, improvise une danse bĂ©ate et balance sa première boutade insensĂ©e: «Une vache demande Ă une autre vache : «tu connais la vache folle ? », et elle rĂ©pond : «non, je suis un canard ! ».
Incapable de rĂ©agir – on peut les comprendre – le public moisi du parc gratuit se montre incapable d’Ă©couter – on ne les comprend plus – oscillant entre «blablabla» insupportable et applaudissements de chansons qu’ils n’ont absolument pas Ă©coutĂ©. Conscient du problème, Farrington s’applaudit lui-mĂŞme de son show dĂ©ment avant d’envoyer une nouvelle connerie absurde, histoire de bien enfoncer des spectateurs pas au niveau : «On dirait qu’on est en Ă©tĂ©, vous trouvez pas ? ». Pris entre leur mĂ©pris du bon goĂ»t et leur incomprĂ©hension de l’incomprĂ©hensible, ils ne font mĂŞme pas attention Ă l’incroyable clavier de Christophe qui produit quasi tous les sons lui-mĂŞme : synthĂ©, clavecin, xylophone, violons, cuivres (liste non exhaustive). Si une gamine chantant les paroles me rassure (un peu) sur l’Ă©tat des oreilles de notre sociĂ©tĂ©, une mouette passe dans le ciel, signant la fin du carnage pour le groupe qui, malgrĂ© sa performance ultra-solide, vient peut-ĂŞtre de vivre la plus naze des quarante-cinq dates de sa tournĂ©e maouss.
Un autre carnage se prĂ©pare, de l’autre cĂ´tĂ© de la ville. Après le passage de Vald sur la Grande Scène, le rappeur blanc SCH issu de quartiers populaires mais sans histoires de Marseille, avant de grandir pĂ©père Ă Aubagne, prend possession de la mainstage. Alors qu’un fan ensanglantĂ© quitte la fosse Ă notre entrĂ©e, une forte odeur de cannabis envahit aussitĂ´t nos narines, comme pour nous rappeler que les familles avec mamans de la veille ont laissĂ© la place Ă un autre public.
Suivi par des journalistes en bob, Julien Schwarzer, qui alterne flow de loveur et flow vĂ©nèr, n’est pas venu pour enfiler des perles : sapĂ© comme jamais avec une veste Ă mille balles, il lâche sa rage avec des lyrics qui ne laissent pas trop de place au doute : «Je viens du trou du cul d’en bas». Fier de son ascension sociale, Ă l’image de Jul qui vient du mĂŞme coin et du mĂŞme milieu, il est Ă©coutĂ© ce soir par un triptyque de fans composĂ© de vrais banlieusards issus de l’immigration qui attendent Booba, de vrais fans de classe populaire voire de classe moyenne qui suivent la mode et de petits Blancs de classe-moyenne supĂ©rieure «venus pour Ă©couter» ou plutĂ´t pour s’encanailler, Ă l’image d’un type en bob Ă cĂ´tĂ© de moi qui «prĂ©fère le rock» et fait le zouave en tirant sur un joint tout en frappant Ă moitiĂ© ses potes dĂ©chirĂ©s. Sans aucun autre instrument que sa propre voix, SCH est accompagnĂ© par un DJ qui envoie un gros beat bien sale qui fait lever les mains en l’air en mode «rap battle» sur son hit Spotify Le Code, shazamĂ© par une femme de mĂ©nage. Après avoir Ă©vitĂ© quelques coups de poing de spectateurs surexcitĂ©s, on dĂ©cide qu’il est temps d’aller manger un truc.
Sur la route du restaurant, on croise Maxwell qui nous invite Ă festoyer avec lui, l’occasion de respirer entre deux bains de sang avec le roi de la vanne qui «connaĂ®t très bien Nathan Roche» ou l’autre musicien et bout-en-train australien exilĂ© en France. Grand fan’ de bonne bouffe, il est cuisinier dans un petit troquet Ă Binic oĂą il a rencontrĂ© la bande de «la Nef des fous» qui a sorti son premier disque, et avoue «qu’il ne pourrait pas vivre sans cuisine» mĂŞme si il rĂŞve Ă©galement de choper rapidement le statut d’intermittent du spectacle. Tout en se servant des grande lampĂ©es de vin et de couscous marocain, ce bon vivant observĂ© avec amour par sa copine qu’il a rencontrĂ©e Ă Marseille lâche une nouvelle connerie : «Tu sais pourquoi les mĂ©talleux ne sont pas boulimiques ? Ils peuvent pas manger leurs doigts du milieu ! ».
Après avoir habitĂ© avec la lĂ©gende Roland S. Howard en Australie, il a rejoint la citĂ© phocĂ©enne «trop bordĂ©lique» avant de filer Ă Toulouse et enfin Saint-Brieuc oĂą il se sent comme un poisson dans l’eau : «Il pleut tout le temps, il fait froid, c’est calme : j’adore ! ». Tout en nous conseillant un livre fascinant sur «un mec qui a quittĂ© l’armĂ©e», il nous confie son amour pour le nouveau mec de Kim Kardashian, en l’occurrence l’humoriste Pete Davidson qui officie au Saturday Night Live, et comme ça vient du roi de la vanne, on se dit qu’il doit sĂ»rement avoir raison. Assis Ă cĂ´tĂ© de moi, le guitariste de «Max» qui dĂ©plore «ne pas encore avoir atteint le cĹ“ur des deux crĂ©ateurs du projet» raconte sa fascination pour «Daho, le seul mec qui a rĂ©ussi Ă concilier exigence esthĂ©tique et succès populaire» et pour les «bastons du rap-game» plutĂ´t que leur musique qui est affligeante, de quoi annoncer la suite.
Mais avant la baston, on Ă©change quelques mots avec Sean Bouchard, patron de Talitres, toujours aussi passionnĂ© : «Je reçois quatre ou cinq dĂ©mos par jour et j’adore ça ! Le dĂ©frichage, c’est ce que je prĂ©fère ». Il annonce ensuite Ă Max et Christophe un «projet Ă©norme» avec le MusĂ©e des Arts DĂ©coratifs de Bordeaux oĂą il s’agirait de jouer au beau milieu des peintures, ce qui fait bien marrer Farrington : «ahah mais non, je suis trop nul ! ». Avant de laisser tout ce petit monde partir – Maxwell filait dans la nuit aux Vieilles Charrues – on conseille Ă Christophe de monter un autre grand projet avec un vĂ©ritable orchestre de cuivres et de cordes pour accompagner leur musique subtilement arrangĂ©e : «Ça serait gĂ©nial, j’en rĂŞverais, Ă la Philarmonie ! Mais la pop n’a jamais soulevĂ© les foules dans ce pays.. ».
Pas le temps de digĂ©rer, on tombe sur un pote de Booba qui est chaud pour nous inviter dans sa garde rapprochĂ©e après le concert – journalistiquement, ce serait porteur un truc pareil. Malheureusement, les Ă©vĂ©nements vont en dĂ©cider autrement : alors que deux membres du clan Vald et du clan Booba s’Ă©chauffent au milieu d’un attroupement, on tente d’accĂ©der Ă la tribune VIP pour ĂŞtre parfaitement placĂ© et observer le concert. Mission impossible. ArrĂŞtĂ© brutalement par un vigile en mal d’inspiration qui laisse rentrer des invitĂ©s bourrĂ©s mais pas un reporter en plein boulot, on doit battre en retraite, mais ça n’est rien comparĂ© Ă ce qui va suivre.

En cinq minutes Ă peine, des centaines de CRS bloquent tous les accès au site et Ă la Grande Scène, les professionnels et les invitĂ©s se retrouvent alors sĂ©questrĂ©s dans l’espace VIP, sans aucune information. Alors que l’annonce fatidique tombe sur les Ă©crans : «le concert de Booba est reporté», un vent de panique commence Ă inonder le festival, Ă commencer par notre espace soit-disant protĂ©gĂ© : observĂ© par les CRS comme de potentiels fauteurs de trouble, notre groupe composĂ© de photographes, de reporters et d’invitĂ©s nage entre incomprĂ©hension et crainte d’ĂŞtre sĂ©questrĂ© un bon moment.
Pendant que des bruits de couloir sur une «baston entre Vald et Booba» se rĂ©pandent comme une traĂ®nĂ©e de poudre, certaines sont au bord de la crise d’angoisse, alors que d’autres encore sortent de la fosse en larmes, choquĂ©es par la violence de certains fans dans le public. Malheureusement pour les fans du rap-game habituĂ©s Ă se dĂ©lecter des bastons entres les artistes bien calĂ©s dans leur canapĂ©, il ne s’est en fait absolument rien passĂ© entre les deux. Face aux provocations de Booba depuis plusieurs mois sur les rĂ©seaux sociaux, qui lui disait «tu vas voir le 15 juillet aux Francofolies, tu vas prendre une gifle aux O.G.M», et tout Ă fait conscient du fait que la lĂ©gende de Sèvres serait très entourĂ©e – il faisait une Carte Blanche – Vald a rameutĂ© une (très) grande partie de ses potes – une quarantaine de personnes – pour se protĂ©ger en cas de bagarre gĂ©nĂ©rale, des potes qu’il a d’ailleurs fièrement affichĂ©s sur scène pour donner une impression de force. Ça fait partie du «rap jeu».
Mais comme dans toutes les disputes, il faut ĂŞtre deux pour en venir aux mains, et si aucune vĂ©ritable empoignade n’est Ă dĂ©plorer entre les deux, Vald a commis une (grosse) erreur en restant aux abords de la scène avec son armada, et s’il prĂ©tend «qu’ils Ă©taient juste en train de bouffer des huĂ®tres», la version du «comitĂ© d’accueil» avancĂ©e par un journaliste du Parisien et Booba lui-mĂŞme n’est malheureusement pas loin de la vĂ©ritĂ©, car il aurait très bien pu – et dĂ» – traĂ®ner avec ses potes dans l’espace VIP plutĂ´t que de rester dans les loges accolĂ©es Ă la scène. Les soixante-dix CRS ont donc Ă©tĂ© appelĂ©s par «B deux O» en personne – en concertation avec l’organisation – pour dresser un cordon de sĂ©curitĂ© autour d’eux, Ă©vacuer le derrière de la scène et Ă©viter toute violence, et si Vald s’est bien foutu de sa gueule Ă ce sujet alors qu’il Ă©tait Ă l’origine de cette garde rapprochĂ©e, on peut aussi se demander pourquoi Booba n’est pas venu tout simplement saluer Vald avec deux gardes du corps – et pas soixante-dix – pour lui demander gentiment d’arrĂŞter ses enfantillages et de le laisser monter sur scène pour rĂ©gler les choses sur la piste, micro en main. La rĂ©ponse est Ă©videmment que les deux ne peuvent pas se voir en peinture, et que le risque de dĂ©bordement Ă©tait potentiellement Ă©norme.
Booba reprĂ©sente les anciens. Vald la nouvelle gĂ©nĂ©ration. Ils sont surtout au cĹ“ur d’une fracture sociale bien plus grande entre les rappeurs issus de «quartiers sensibles» – tels que Booba, NTM en son temps, Rohff, Sefyu ou plus rĂ©cemment MHD, fiers d’avoir «transformĂ© la merde en or» – alors que les rappeurs blancs issus de la classe-moyenne tels que Orelsan, Nekfeu et bien sĂ»r Vald ont eu un parcours prĂ©sentĂ© comme plus «facile». Si en vĂ©ritĂ© rien n’est facile pour personne, les cicatrices du racisme et du rejet restent visibles, productrices de tension et de violence.
– M. J.
16 juillet 2022
Quatrième jour des Francofolies
Deux salles deux ambiances
Orelsan « nique le game » et Lonny embrase
Pas le temps de nous remettre de nos Ă©motions, on file en vĂ©lo du cĂ´tĂ© de La Sirène oĂą Franck Hueso aka Carpenter Brut nous attend pour dĂ©baller ses punchlines. Autodidacte solitaire, celui qui «se sent plus libre comme ça» mais n’aurait pas assumĂ© d’ĂŞtre tout seul sur scène a lâchĂ© plusieurs disques qualitatifs dont Leather Teeth en 2018 qui porte haut les couleurs de la musique synthĂ©tique avec une fusion magistrale de violence glaciale, industrielle, noire et romantique qui retourne le cerveau. ComposĂ©e dans une «grande chambre retapĂ©e en studio qui vire au rouge ou au violet en fonction des ambiances très marquĂ©es eighties » oĂą il peut «se gratter les couilles et roter Ă l’envie », cette masterclass est suivie en 2022 par une autre pĂ©pite, Leather Terror, oĂą s’accouplent superbement les synthĂ©tiseurs cosmiques et les obsessions mĂ©tal de celui qui porte un t-shirt «Cannibal Corpse» et carbure Ă la violence depuis trente-cinq ans. Adepte des ambiances de film futuriste et post-apocalyptique Ă la «Sin City», il adore autant faire tourner une boucle de synthĂ©s durant des plombes que balancer des gros refrains qui claquent Ă la Gun’s’n’roses : «J’Ă©coute du Depeche Mode et des trucs plus confidentiels, je vois pas pourquoi je m’empĂŞcherais de faire cohabiter les deux ».
Amoureux du rapprochement underground-mainstream, il carbure aussi aux solos qui dĂ©goulinent et aux grosses descentes harmoniques de nature grandiloquente : «C’Ă©tait la teuf permanente dans les annĂ©es 80, ça baisait dans tous les coins. Je kiffe la B-O de Star Wars et inventer des grosses partoches Ă©piques façon Mozart ou Wagner ! ». Grand aventurier du son mais plutĂ´t sage dans la vie, Franck – qui ironise sur le fait de «prendre moins de risque en composant qu’en sautant d’un parachute » – prĂ©pare dĂ©jĂ la suite : un disque punk-hardcore voire punk-Ă©lectro façon Prodigy tout en piochant cette-fois-ci dans les annĂ©es 70 et le progressivisme-cosmique qu’il pourrait en partie Ă©crire «dans un train, avec son laptop sur les genoux ». Enfin cĂ´tĂ© feat fĂ©minin, après avoir invitĂ© la belle Vanessa, il ne s’interdit rien : «Lady Gaga ça sonnerait plutĂ´t bien, on s’en fout de la cĂ©lĂ©britĂ© ». Avant de le laisser avec des apprentis-journalistes, il nous sort la punchline qui annonce la suite de la journĂ©e : «Le hip-hop de maintenant il est trop joyeux. J’ai besoin de violence, un truc urbain plus je t’encule ».
Retour dans le jardin d’enfant pour quelques morceaux de bravoure avec Antoine Wielemans, leader du groupe d’indie-pop culte Girls In Hawaii qui a dĂ©cidĂ© de prendre la poudre d’escampette en 2021 en Ă©crivant un premier disque entièrement chantĂ© en français dans la petite bourgade de Normandie de Vattetot. Belge francophone qui chantait en anglais jusqu’ici, il introduit une chanson en blaguant sur son pedalboard, en wallon-flamand dans le texte: «Il faut que je range le brol (bordel, NDR) lĂ -dedans ». AccompagnĂ© par un trio pour l’occasion, celui qui arbore fièrement sa «Danelectro» lâche dans l’atmosphère brĂ»lante une double nappe de synthĂ©tiseurs qui explose violemment avec l’arrivĂ©e d’une troisième nappe de guitare Ă©cho-reverbĂ©rĂ©e traversĂ©e par une mĂ©lodie instrumentale d’une grande limpiditĂ©, de quoi faire dĂ©couvrir le concept de la musique spatiale Ă un parterre de nĂ©ophytes. – M. J.
Arrive le concert de Lonny, LE CONCERT qu’on ne voulait surtout pas rater. Problème… Le festival nous a accrédité pour la Grande Scène alors qu’en général les artistes émergeants ou un peu moins bankable se produisent au Théâtre de la Coursive. Après quelques pourparlers, on finit par rentrer dans le théâtre. La salle dite “Bleue” est pleine. On y reconnait pas très loin Hervé Vilard qui sera quasi présent à tous les concerts lors de ce week-end de festival. Derrière moi, Florent Marchet attend, avec visiblement autant d’impatience que moi, l’arrivée du nouveau trésor national, Lonny.

Les trois musiciens entrent en scène. Très resserrĂ©s, ils jouent Ă quelques centimètres de distance comme pour se rĂ©chauffer avec que dehors la canicule sĂ©vit. Je reconnais, le talentueux Alexandre Bourrit, le cheveu hirsute, les Ă©paules aussi larges que celles des joueurs du stade rochelais, vu il y a quelques annĂ©es avec Baptiste W. Hamon, Alma Forrer et PhilĂ©mon Cimon puis croisĂ© Ă quelques lieux d’ici avec Miossec et Michelle Blades. Dès les premières notes, bonne nouvelle, Lonny a largement adaptĂ© les morceaux de l’album Ex-voto pour la scène… L’ensemble est plus Ă©lectrique et plus dĂ©pouillĂ©. On est tout de suite happĂ© par la justesse du chant de Louise Lhermitte. L’envoutant Comme la fin du monde et Eteins la mer Ă la dissonance parfaite avec la basse percutante tenue par Marie, sont une parfaite introduction de ce concert tant attendu… Lonny aura patientĂ© trois ans avant de pouvoir se produire aux Francos. Elle sort du dispositif du Chantier des Francos qui n’a pas Ă©tĂ© qu’une partie de plaisir, coincĂ©e entre des artistes de musiques urbaines loin de son univers folk et des confinements successifs. Tout est en parfait Ă©quilibre. On perçoit rapidement les capacitĂ©s vocales impressionnantes de la jeune parisienne mais jamais elle ne tombe dans l’Ă©cueil d’ĂŞtre trop dĂ©monstrative ou dans la surexposition. L’autre qualitĂ© de Lonny est sa diction, son phrasĂ© impeccable, son chant bienveillant, presque prophĂ©tique. Un concert presque parfait quoique très court. Une tournĂ©e est annoncĂ©e ! On a hâte. – B. C.
Après une prestation inédite de Lujipeka qui a besoin de chauffeurs de salle pour éviter que le public des Francos ne s’endorme, on décide de suivre le début du concert de Romeo Elvis un peu en touriste. Rien de vraiment transcendant. Du bruit, un peu de fureur, des intermèdes presque comiques. Un pseudo facteur arrive sur la scène pour distribuer des cadeaux… Jets de t-shirt et de CD avant un mythique, “Achetez mon album, putain.” On préfère aller boire une bière… On a remarqué illico la différence avec la veille, c’est un peu (beaucoup) “deux salles, deux ambiances”, venant illustrer le concept bourdieusien de milieux sociaux accolés à des pratiques culturelles précises et notre propre théorie issue de la sociologie et de l’observation participante selon laquelle il existerait énormément de micros-sociétés à l’intérieur même de la société.
AurĂ©lien Cotentin aka Orelsan arrive tel un Dieu vivant nanti de sa «mifa» Ă ses cĂ´tĂ©s. MalgrĂ© la rĂ©pĂ©tition des dates abrutissante de celui qui enchaĂ®ne une tournĂ©e printanière dĂ©mentielle avec une tournĂ©e estivale dĂ©mentielle et une tournĂ©e automnale dĂ©mentielle suite au carton de son Civilisation, il glisse intelligemment des «La Rochelle» en plein milieu de chacun de ses textes et s’amuse avec son micro – sans aucun auto-tune ni playback – comme au premier jour, comme si c’Ă©tait une battle entre potes et qu’il n’Ă©tait pas en train de rĂ©pĂ©ter la mĂŞme putain de chose pour la millième fois de suite.
En forme olympique, et ravi de voir que 5000 personnes connaissent ses lyrics par cĹ“ur, il fait sauter la foule en levant Ă peine le petit doigt et la pique mĂŞme d’un «vous ĂŞtes le public le plus mou de la tournĂ©e» pour rĂ©colter en Ă©change une furia Ă©lectrique et interactive assez grisante de l’intĂ©rieur sur le hit gĂ©nĂ©rationnel Simple/Basique. Pas avare en idĂ©es scĂ©niques faites de bon sens, il fait monter sur son trĂ´ne deux gosses qui pourraient ĂŞtre ses enfants – il a bientĂ´t quarante piges – pour une partie de Civilisation Fighters en mode «Tekken 3».

Il nous raconte ses dĂ©buts dans un appartement minable avant de rajouter un set-up spĂ©cial en bout de presqu’Ă®le Ă la manière de ses premiers concerts dans des bars pourris. Tour Ă tour conteur, rappeur et stand-upper, le leader de toute une gĂ©nĂ©ration française bourrĂ©e de contradictions, d’angoisses existentielles et de tiraillements intĂ©rieurs alterne titres apocalyptiques tels L’odeur de l’essence ou Du Propre et lumière divine avec Jour Meilleur et Ensemble, sans oublier le noir et blanc de Notes pour trop tard et celui de Civilisation oĂą l’on se dit qu’il ferait un excellent homme politique.
Après avoir fait retomber les adulescents en enfance sur La QuĂŞte, le professeur termine sa leçon en citant son pote Ablaye qui ne tient pas toujours la comparaison en terme d’attaque de micro, son alter-ego Gringe et surtout Skread qui se cache derrière tous les meilleurs « instrus » d’Orel’ dont celui de La Terre est Ronde qui achève le show par un Ă©nième instant de vibration partagĂ©e Ă l’odeur unique. Après la (presque) castagne de la veille et le zĂ©ro pointĂ© de RomĂ©o Elvis, celui qui règne dĂ©sormais sans partage sur le rap-game national a mis tout le monde d’accord. – M. J.
17 juillet
Cinquième jour des Francofolies
Florent, Lisa et Clara atomisent la french pop moderne
Avant une soirĂ©e qui s’annonce Ă©pique, on file au petit coin de verdure oĂą s’agite une certaine Laeti. Originaire d’un milieu populaire, Laetitia Kerfa s’est fait la main au théâtre et dans les «open mics» avant de crever l’Ă©cran dans la saison 2 de la sĂ©rie ValidĂ© oĂą elle essaie, comme dans la vraie vie, de se faire une place dans le milieu très masculin – voire macho – du rap-game. Lointaine hĂ©ritière de Diam’s, cette “meuf de ouf’” au courage infini reste ultra timide avec le public et avec son micro, elle ne maĂ®trise pas très bien son flow pourtant solide Ă cause du stress. Plus Ă l’aise en studio d’enregistrement ou derrière une camĂ©ra, celle qui fait ici sa première grosse tournĂ©e a besoin d’expĂ©rience et après avoir fait bailler les quelques touristes prĂ©sents avec une ballade dĂ©primante, elle rĂ©cupère quelques fans avec une reprise de Manu Chao et (surtout) son hit Spotify Rider Toute la Night qui fait danser les ados et mĂŞme s’exciter un trident d’asiatiques.
Direction ensuite la «salle Bleue» de la Coursive pour une performance Ă©tourdissante de Lisa Portelli venue prĂ©senter son disque L’Innocence que je n’ai volontairement pas Ă©coutĂ© pour rendre possible une vraie claque. AccompagnĂ©e par une seule âme cachĂ©e derrière un set-up magique composĂ© d’un grand piano Steinway sur lequel est posĂ© un minuscule synthĂ©tiseur, elle nous raconte un rĂŞve avec Barbara qui la snobe avant de lui susurrer Ă l’oreille que «la vie devrait toujours ĂŞtre une promenade», et de nous guider vers une sorte d’errance cosmique. PossĂ©dĂ©e par cette fusion acoustico-Ă©lectronique entre les deux instruments Ă touche noire, et hypnotisĂ©e par la boĂ®te Ă rythme qui dĂ©marre langoureusement, elle parle en dormant ou dort en parlant dans cette vaste pièce obscure tamisĂ©e de rouge oĂą l’on commence gentiment Ă rentrer en transe.
A moitiĂ© dĂ©foncĂ©e par le son, le silence et l’Ă©pure purificatrice, elle tourne les potards d’un minuscule synthĂ© sans touche et active la pĂ©dale «LoopStation» de sa Fender pour crĂ©er une double boucle obsĂ©dante, romantique et nostalgique qui fait progressivement monter la sauce Ă mesure que toutes les nappes instrumentales se percutent, formant un lĂ©ger mur de son traversĂ© par une limpide mĂ©lodie qui nous retourne le cerveau. Dans une salle Ă l’acoustique impressionnante oĂą l’entièretĂ© du public ferme (enfin) sa gueule, on est transportĂ© dans une sorte de mĂ©ditation hallucinĂ©e, portĂ© par le son et la voix si douce de Lisa qui dĂ©clame en mode somnambule «écrire, Ă©crire pour ne pas mourir». A la frontière entre la rĂ©alitĂ© et le rĂŞve, notre âme est guidĂ©e par une faible lumière bleutĂ©e qui dĂ©chire l’obscuritĂ© et transcendĂ©e par cette performance bicĂ©phale qui oscille entre dialogue cosmique de touches blanches et poĂ©sie rĂ©citĂ©e dans un Ă©tat d’Ă©veil volontairement altĂ©rĂ©. Alors qu’une rythmique kraut-rock vient enfoncer le clou, les deux ĂŞtre humains sont plus que jamais transportĂ©s dans un monde parallèle, au climax’ de la transe, portĂ©s par l’ampleur spatiale du son et par l’amour futuriste qui jaillit entre l’ĂŞtre et la machine. – M. J.
Florent Marchet, maintenant. Les bons artistes voient mieux que nous et sont capables d’extraire du quotidien les maux et les fêlures pour mieux nous les faire ressentir encore. Florent Marchet est de ceux-là … à mettre au sommet avec Delerm, Mendelson, Betsch… Hervé Vilard est encore dans la salle. Public de quadras et CSP+. Florent Marchet sera seul au piano ce soir, un Steinway & Son’s que l’accordeur aura eu bien du mal à maîtriser. Florent entre sur scène, l’air détendu, une tasse de verveine tiède dans une main et t-shirt bleu assorti à ses chaussettes. Son concert balaie la carte et le territoire des zones périphériques : Créteil, Le Berry, Dijon, Montargis, Bourges, Rio Baril… Déjà les septièmes Francofolies pour lui. Dans une salle pleine à l’acoustique parfaite, il vient défendre son dernier album, Garden Party. De justesse à En famille, les titres de Florent scrutent les non-dits, les petits traumatismes mais aussi les forces de ce groupe social qu’on appelle famille. Le concert oscille entre bonne blague, bavardage entre amis. “Vous voulez mettre l’ambiance dans un taxi ? Osez le sujet Hidalgo”. Son interprétation est toujours juste. Il aura droit à une Standing ovation. Méritée. – B. C.
En parallèle, joue Julien DorĂ©, sapĂ© en rose de la tĂŞte au pied qui nous arrose de kilomètres de papier toilettes tout aussi rose sous des projecteurs Ă©galement roses et ironise sur «la Nouvelle Star oĂą cĂ©tait Koh-Lanta en moins physique » avant de faire preuve d’une grosse dose d’auto-dĂ©rision en lâchant après avoir jouĂ© Lolita au piano : «la plus grande ovation pour la seule chanson que j’ai pas Ă©crite, merci.». EntourĂ© par des invitĂ©s partenaires abrutis et une meuf’ bourrĂ©e qui glousse en permanence, on apprĂ©cie l’Ă©nergie positive dĂ©gagĂ©e par DorĂ© qui enchaĂ®ne pour finir gros rock’n’roll nostalgique, guitare-voix minimaliste et (surtout) un gros câlin avec Clara Luciani et un gros dinosaure rose qui pourrait sĂ»rement bien s’entendre avec les gros bonhommes roses de Philippe Katerine Ă©parpillĂ©s dans tout le festival et toute la ville en l’honneur de son exposition sur le «Mignonisme».
Soit-disant fatiguĂ©e de sa tournĂ©e, dixit l’attachĂ© de presse du festival, Clara Luciani a pourtant offert un show Ă son image, explosif et terriblement endiablĂ©, Ă croire qu’Ă dĂ©faut de boire du Redbull, la musique lui donne des ailes. Entre son backing-band perchĂ© sur des petits Ă®lots surĂ©levĂ©s et la foule s’Ă©tendant Ă perte de vue face Ă elle, elle a tout simplement glissĂ© sur le devant de la scène façon Michael Jackson exĂ©cutant le cĂ©lèbre moonwalk, pendant que des stroboscopes clignotants dĂ©gueulaient leur lumière blanche fluo-criarde. Reine du bal disco-pop bien aidĂ©e par un bassiste et un batteur dĂ©foncĂ©s par le groove, elle a mĂŞme rĂ©ussi l’impensable en rĂ©veillant une assistance amorphe qui s’est progressivement hissĂ©e (presque) au niveau de son dĂ©hanchĂ© sexuel, trouvant par lĂ -mĂŞme un ensemble de choristes de cinq-milles âmes, gratos, oui Madame.

Émue presque aux larmes, celle qui prĂŞche le retour aux festivitĂ©s romantiques et respectueuses a pu conclure cette Ă©dition lĂ©gendaire avec une grosse teuf dance-pop irriguĂ©e par une sĂ©rie de tubes Ă boule Ă facette tels que Le reste, Nue et La Grenade qui finirent de cramer la «Grande Scène» avec leurs refrains tapageurs, leurs mĂ©lodies parfaites et ces punchlines de loveuse-fĂ©ministe rĂ©citĂ©es par des femmes mais aussi des hommes touchĂ©s par la grâce et la puretĂ© de ses chansons Ă l’Ă©nergie folle et Ă l’amour contagieux. Nous en fĂ®mes l’expĂ©rience, comme dans les textes les plus fous de Clara Luciani.
A la soirĂ©e de clĂ´ture rĂ©servĂ©e aux artistes, la reine du bal sera la seule absente – elle a rĂ©cemment expliquĂ© qu’elle prĂ©fĂ©rait se faire discrète pour Ă©viter les selfies. On quitte pour de bon l’enceinte, dĂ©foncĂ©s au bonheur, des mĂ©lodies et des sentiments plein la tĂŞte. – M. J.
