Josephine Foster, 2020 (© Matthew Schneider)
Josephine Foster, 2020 (© Matthew Schneider)

L'Américaine Josephine Foster a publié l'an passé, avec "No Harm Done", ce qui est probablement son meilleur album. Vingt ans après son premier disque, entretien avec l'une des lumières de la pop folk de notre siècle.

C’est une voix d’un autre âge. Un chant lyrique grandi au pied des Rocheuses, dans les paysages à couper le souffle du Colorado, puis longtemps frottée aux vents puissants de l’Andalousie, où Josephine Foster vécut un temps. Un chant apatride, un hymne au vagabondage, qui du moindre berceau de nature sait faire son foyer. Les huit chansons de No Harm Done – treizième album de Josephine Foster en vingt ans – sinueuses telles des fleuves, lumineuses tel le soleil qui s’y reflèterait en une poudre scintillante, ont paru le 7 août dernier.

Josephine Foster nous le confie : jamais elle ne fut plus douce que lors de cette poignée de chansons là. « No harm will come / if there’s no harm done » (aucun mal ne se produira / si aucun mal n’est fait), déclare-t-elle dans Wheel of fortune. Déclarations de paix, injonctions à la tendresse, tentatives de renouer avec le cours naturel de nos vies, ces huit chansons sont autant de baumes pour cicatriser un monde meurtri et perdu. De ce monde, elles souhaitent chanter la beauté des hasards, les plaisirs simples comme la voute céleste. Chansons de réconciliation, entre le monde et les hommes mais aussi entre Josephine Foster et elle-même, elles constituent un grand disque – le plus grand ? – de l’artiste.

Dès la chanson Freemason Drag qui ouvre votre album No Harm Done, vous racontez un monde, et un rapport au monde, qui semble ancré dans la beauté éternelle de temps passés – ou du moins de temps intemporels. Vous célébrez, dans le deuxième titre Wheel of fortune, la lenteur et le vagabondage… Quel regard portez vous sur le monde d’aujourd’hui ?

Je continue, une fois encore, de me connecter au soleil, notre étoile – cela me paraît un bon ancrage. Freemason Drag parle de cela1 ! La terre est un cadeau, notre maison commune, entièrement liée à l’étoile géante. J’ai bien conscience du caractère éphémère de notre civilisation humaine. Épouser une perspective lointaine, cosmique, m’aide à demeurer saine d’esprit. Et oui, la lenteur de cette année est un cadeau doux-amer. Qui sait quelles sont les leçons qui nous sont enseignées au niveau microscopique ? Peut-être que, comme aux enfants, on nous demande de rester dans nos chambres. Bien des créations sont nées de l’entrave et de la durée. Mais au-delà de cela, je ressens une profonde gratitude, pour ce temps qui permet une réflexion plus approfondie, d’observer ce qui nous entoure, de distinguer ce qui nous est vital, ce qui est véritablement important.

Épouser une perspective lointaine, cosmique, m’aide à demeurer saine d’esprit.

Josephine Foster

Vous chantez l’amour, la nature et le rêve qui, dans vos chansons, se révèlent forces guérisseuses de l’univers… Est-ce là que se niche votre optimisme en des jours meilleurs ? Le monde est vivable, si l’on suit son amour, si l’on sait trouver une harmonie avec la nature et si l’on sait écouter ses rêves ?

Oui, cela me semble une bonne équation, même si c’est complexe d’être en harmonie si on ne nous a pas élevés dans cet esprit. Aux États-Unis, beaucoup de la sagesse populaire a été perdue au fil des générations, il y a un manque de sens commun et d’entraide, aussi est-il difficile de se sentir optimiste. Énergétiquement, nous avons tendance à avoir une grande influence, souvent pour le pire. Nous allons devoir opérer de meilleurs choix, chacun de nous, et faire des sacrifices, chacun de nous, pour retrouver un équilibre avec ce qui constitue notre origine : notre mère nature. Nos dirigeants vont devoir tant faire et chacun de nous devra y prendre part, en faisant profil bas, en prise avec le paradoxe de ce moment difficile.

Le son du disque est très beau. Quand on regarde de près les instruments convoqués, on remarque que ce sont tous des instruments à corde ! Harpe, guitares, pedal steel guitar, basse, piano, autoharpe… Ce choix, notamment d’écarter les percussions et les instruments à vent, était-il prémédité ?

Merci ! Je ne souhaitais pas de percussions pour ce disque, je désirais apaiser et être apaisée. Les instruments à cordes sont ceux dont je joue et c’est aussi le cas de Matthew (Schneider), qui est un joueur de guitare et de pedal steel si talentueux… Il n’y avait besoin de rien d’autre, j’ai ressenti que c’était bien comme ça.

A quand remonte la composition des huit chansons de No Harm Done ?

Plusieurs étaient des fragments inachevés, que j’ai ressuscités à Nashville, les assemblant à partir de la poussière. Ça a été une expérience enrichissante ; parfois les chansons inabouties ne trouvent pas leur chemin, mais le temps et les circonstances ont joué en leur faveur, et elles m’ont surprise. J’ai écrit Wheel of fortune lors de la première vague du confinement, mes mots y sont très simples et parlent du destin ainsi que de cette évidence salutaire : ce qui nous est le plus précieux est souvent à portée de main. Conjugal bliss est une chanson que j’ai écrite il y a des années pour un amour. Aujourd’hui encore, elle incarne à mes yeux le véritable amour romantique, celui qui nourrit les corps et guérit les âmes. Old saw est une sorte de prière qui se déroule comme un mantra ; cette chanson a prit vie de manière très libre, sans répétition et je suis ravie des chemins narratifs qu’elle emprunte pour se déployer.

Wheel of Fortune parle du destin ainsi que de cette évidence salutaire : ce qui nous est le plus précieux est souvent à portée de main.

Josephine Foster

Comment s’est déroulé leur enregistrement ?

Nous avons enregistré dans le studio Bomb Shelter à nouveau avec Andrija Tokic ; j’ai fait depuis des années une série d’albums en sa compagnie. Ses procédés d’enregistrement analogique me correspondent parfaitement et il est un maître à mes yeux. C’est agréable de pouvoir faire ainsi totalement confiance à quelqu’un, quand il s’agit du son. L’enregistrement sur bandes pose de nombreuses limites : on réalise peu de prises, on intègre souvent ce qui pourrait sembler des erreurs mais qui apparaissent a posteriori comme les traces de notre humanité et de nos rencontres fortuites avec le divin. Il faut renoncer à de certaines idées, passer à autre chose et aller de l’avant. Ce disque est en grande partie un document « live », avec le rajout de quelques « overdubs », réalisé en l’espace d’une semaine…

Pouvez-vous parler de la pochette du disque ? C’est une photo que vous avez prise vous-même n’est ce pas ? Il y a aussi cette photo de vous qui accompagne la promotion de votre album, vous êtes photographiée par Matthew Schneider en pleine nature. Les deux photos ont-elles été prises au même endroit ?

J’ai pris cette photo quand je vivais dans la sierra de Séville, en Espagne. Des bergers, qui vivaient dans le voisinage, avaient un troupeau où naissaient chaque jour des agneaux. La joie de vivre absolue qu’ils manifestaient était formidable, la confiance et la curiosité qu’ils avaient pour toutes choses m’ont fait regretter d’avoir un jour mangé ces créatures. Entre eux et moi, j’ai ressenti qu’il n’y avait aucune séparation, aucune différence dans notre manière d’habiter ces paysages.

Une année après notre enregistrement à Nashville, Matthew m’a rejointe sur la route vers le Colorado, où nous vivons ensemble en ce moment même, et m’a photographiée près de la belle rivière Poudre, tout près d’où je suis née, aux pieds des Montagnes Rocheuses.

J’écoute votre musique depuis longtemps et je trouve que No Harm Done est le plus beau de tous vos albums. Quel regard portez-vous sur ce disque ? En quoi occupe-t-il une place particulière dans votre cœur ?

Cela me rend heureuse de savoir que vous appréciez autant cet album. Pour moi, mon dernier disque est toujours mon préféré ! J’ai le sentiment que cette période, et notre époque de manière générale, m’incitent à m’apaiser – il n’y a pas d’autre choix. C’est probablement mon disque le plus doux. J’ai toujours été versée dans une musique très dynamique, d’un abord assez âpre, qui exige beaucoup de l’auditeur. Il me plaît, pour l’heure, de baisser la garde et de déconstruire ce que j’ai pu faire ou ce que je pensais être auparavant.

1 « I’ve come to worship the Sun / Mother Earth, shall we give birth? »

Un autre long format ?