S’il en est un qui n’a pas chômé en 2013, c’est bien – comme d’habitude – le chanteur et leader de Thee Oh Sees. Après quinze années passées dans un quasi-anonymat, l’air du temps et tous ses efforts ont enfin consacré ce prolifique touche-à-tout. Et cela notamment grâce aux déclarations d’admiration inlassablement répétées par l’ami dans le vent Ty Segall, qui l’a qualifié tour à tour de “mentor”, de “frère” et de “Dieu sur terre”. Cette année, outre une nouvelle tournée titanesque, on a pu voir John Dwyer, mi-homme mi-taureau, dans le clip rocambolesque et marquant de la chanson Minotaur. Mais il a surtout publié un disque qui a fait (pour une fois) la quasi-unanimité (Floating Coffin) ainsi qu’un EP magistral (Moon Sick) où notre héros tatoué s’offre une sublime escapade rétro digne de The Kinks (l’extrait Candy Clock), sans oublier la réédition de ses premiers projets Coachwhips et Pink And Brown. John Dwyer a également trouvé le temps de faire paraître une dizaine d’albums sur Castle Face, son propre label, avec au menu des réjouissances les efforts de White Fence, Warm Soda, The Mallard et une compilation de reprises du Velvet Underground. C’est dire si notre minotaure, bien loin de l’ermite qu’on imagine, mène une vie trépidante ! La considérable importance qu’a acquise Thee Oh Sees au fil du temps se manifeste également aujourd’hui dans le champ lexical et stylistique de la musique à guitares. Alors que les vocables “indé” et “lo-fi” occupaient l’espace du rock américain de façon permanente au cours de ces dernières années, le San Franciscain et sa tribu de fidèles sont à l’origine du récent retour en grâce du terme “garage” dans les bacs des disquaires et les colonnes de la presse musicale.

Ainsi, derrière la nouvelle génération de groupes d’ici ou d’ailleurs qui revendiquent – pas toujours à raison – cette glorieuse étiquette se cache presque systématiquement l’influence de notre chantre du rock sentant bon la crasse et l’huile de moteur. Et puisqu’on parle d’une huile sale, de monstres poilus et d’autres images peu alléchantes, il faut bien préciser que Thee Oh Sees sait aussi se parer d’atours des plus glamours. Ce détail n’a pas échappé au créateur de mode Hedi Slimane, qui a confié à Thee Oh Sees le soin de réenregistrer le titre Tidal Wave – déjà utilisé pour la synchro d’une scène de massacre de la série Breaking Bad – afin d’illustrer musicalement la collection automnale de la maison Saint Laurent (le résultat s’appelle Tidal Wave ‘13, soit vingt-trois minutes de riffs et de larsens secs et sexy). En dehors de cet exemple de strass qui démontre encore que le rock’n’roll contemporain sert inévitablement à vendre des fringues, l’un des plus surprenants mérites de cette créature désormais mythologique – et dans la force de l’âge – est de conserver avec pertinence une fougue toute adolescente que bon nombre de jeunes formations trop bien éduquées ne sauraient que lui envier. Il suffit de voir la bête sur scène pour en juger. En sus d’une quinzaine d’albums édités sous les noms de Thee Oh Sees ou les ancêtres The OhSees et OCS, John Dwyer a édifié une discographie cohérente et reconnaissable entre mille où chaque LP diffère subtilement du précédent. Même si le souhait de reposer la machine Thee Oh Sees a été émis par Jojo en décembre dernier, selon toute vraisemblance, il publiera en 2014 un énième album, un millième EP et une pelletée de disques flambant neufs sur son label… S’il est parfois ardu de garder le fil avec cet insatiable spécimen, il mène néanmoins des rituels qui ne lassent jamais.

[Scène de l’épisode 10 de la saison 4 de Breaking Bad, ne regardez pas si vous n’êtes pas au jus !]

Un autre long format ?