Le retour d’Avi Buffalo dépasse tous les espoirs placés dans le groupe en 2010 à la faveur d’un premier album miraculeux, collection de chansons déjà anciennes, publiées alors que leur auteur n’avait pourtant que dix-neuf ans. Ni traversée du désert ni panne d’écriture ou quoi que ce soit d’approchant, Avigdor Zahner-Isenberg a simplement mis à profit ces quatre années pour vivre pleinement sa vie de musicien, entre Long Beach et Los Angeles. Sans pression, avec passion, comme l’explique le (toujours) jeune homme. [Interview Vincent Théval].

Il s’est écoulé quatre ans depuis le premier LP d’Avi Buffalo. As-tu douté pendant cette période ?
Avi Zahner-Isenberg : Pas du tout. J’ai toujours été tranquille par rapport à ça, en me disant que je pouvais tout aussi bien ne jamais revenir ou faire un nouveau disque et voir ce que ça donne. En fait, j’ai mis trois ans pour écrire un paquet de chansons et une année pour agencer un nouvel album. Énormément de choses ont changé dans ma vie entre-temps. J’ai rencontré beaucoup de personnes, vécu différentes aventures, voyagé, déménagé à Los Angeles. Rien de si extraordinaire, des événements classiques dans une vie. Là, je suis revenu à Long Beach où je travaille avec pas mal de musiciens. C’est une période transitoire pendant laquelle je bouge beaucoup, une vie nomade plutôt marrante où je n’ai avec moi que quelques instruments, des vêtements et des livres.

Comment a évolué Avi Buffalo en tant que groupe ?
Ça a toujours été un projet solo auquel s’agrègent différents musiciens. Les actuels batteur et bassiste sont de vieilles connaissances que j’ai invitées à rejoindre le line-up. Quant au claviériste, il était percussionniste avant mais j’aimais bien son jeu aux claviers. Voilà pour Avi Buffalo sur scène. Pour ce qui est de l’écriture et de l’enregistrement, je fais l’essentiel tout seul. Il y a d’autres musiciens en studio en fonction de ce que requiert la chanson.

Quand on a discuté ensemble en 2010, tu n’étais pas très content du disque que tu étais sur le point de publier.
Je n’étais pas satisfait de la façon dont sonnaient les guitares. C’était du beau travail mais trop propre et trop homogène. C’est quelque chose que je voulais absolument éviter sur le nouvel album At Best Cuckold. Avant même mon premier LP, j’enregistrais beaucoup tout seul en veillant particulièrement au son, à l’espace. Pour At Best Cuckold, il fallait combiner un son hi-fi avec quelque chose de personnel qui me plaise vraiment et me donne envie de l’écouter moi-même. Et c’est finalement le cas. J’aimais les chansons du premier disque, mais beaucoup étaient des versions réenregistrées de vieux morceaux. Aujourd’hui, je publie des compositions totalement neuves. C’est une sensation agréable. J’ai embauché des ingénieurs du son vraiment bons pour l’enregistrement et le mixage. On a fait l’essentiel de l’enregistrement en studio, mais après, j’ai pris énormément de temps pour faire les overdubs chez moi.

Comment as-tu choisi les personnes avec qui tu as enregistré l’album ?
J’étais familier du travail de John Vanderslice et de son studio à San Francisco, Tiny Telephone, où on a enregistré les bases de toutes les chansons. J’aime ce qu’il fait et son approche des choses. J’apprécie aussi les disques sur lesquels a travaillé Jay Pellicci, l’un des ingénieurs du son qui travaille dans ce studio, comme ceux de Deerhoof ou The Dodos. Avec de tels goûts, je savais que Jay était la bonne personne pour enregistrer mes titres. Et puis à la toute fin du processus, de façon un peu inattendue, j’ai pris contact avec le producteur Nicolas Vernhes, qui est basé à Brooklyn, pour qu’il mixe les bandes sur lesquelles j’avais travaillé chez moi pendant près d’un an. Là aussi, son expérience plaidait en sa faveur. Après avoir choisi les morceaux, je me suis rendu à New York où nous avons mixé l’affaire en six jours. Ça s’est révélé une collaboration assez incroyable avec des échanges nourris et passionnants. Il y a eu un bon équilibre entre certains éléments longuement mûris et discutés et d’autres achevés de façon impulsive et rapide.

PARKING
Tu m’avais aussi confié ton envie d’expérimenter beaucoup. Es-tu allé loin dans cette direction ?
Oui, avec pas mal de projets parallèles. J’ai aussi produit et été ingénieur du son sur des disques d’amis, ou encore guitariste de session pour d’autres. Et puis j’ai en quelque sorte repris des études d’art en traînant beaucoup avec des copains qui étaient encore à la fac. C’est important de continuer à expérimenter et explorer. Précisément parce que les chansons d’Avi Buffalo sont d’un format classique, je veux pouvoir faire des choses complètement différentes qui vont me redonner de l’inspiration et de l’énergie. Expérimenter d’un côté me rend plus affûté pour toucher à la simplicité de l’autre. C’est un mouvement de balancier.

En 2011, tu as publié Phantom Trannies sur Internet, un étrange album solo. Peux-tu nous parler de ce projet ?
Ah, c’est cool que tu l’aies écouté et que tu t’en souviennes ! Le titre de ce disque provient d’une de mes peintures où j’avais représenté un fantôme aux côtés de transsexuels. C’était juste une collection de certains de mes enregistrements plus expérimentaux, des improvisations en accord ouvert, des collages sonores. Certaines de ces tentatives de l’époque (il y avait aussi le projet Michael’s House) ont fini par devenir des chansons d’Avi Buffalo. C’est le cas de Won’t Be Around No More, qui est sur At Best Cuckold et que j’avais publiée comme ça en 2011 simplement parce que c’était la seule façon de procéder. Je n’avais pas assez de matière pour livrer un nouveau long-format d’Avi Buffalo à Sub Pop, mais d’un autre côté, il me fallait avancer avec des esquisses plongées dans un contexte différent. C’était très cool à faire, dans le van de tournée garé sur le parking de chez mes parents. J’y dormais et enregistrais en permanence – beaucoup de bruits, des sons de guitares, des tâtonnements, juste pour comprendre comment tout cela pouvait prendre forme et devenir pertinent. Ce qui est génial, c’est que récemment, on m’a demandé de faire la bande-son d’une vidéo d’art. C’est quelqu’un qui était assistant sur le tournage du clip de So What qui me l’a demandé par courriel il y a quelques jours. J’étais à la bourre, à la veille de mon départ pour l’Europe, et je n’avais absolument pas le temps d’enregistrer quoi que ce soit. En revanche, j’avais sous la main toutes ces vieilles expérimentations, Phantom Trannies, Michael’s House et bien d’autres encore. Je lui ai donc envoyé un tas d’ébauches qui vont s’inscrire pour la première fois dans un contexte précis, dans son film. À lui de piocher ce qu’il veut, comme il le veut. J’ai hâte de voir ce qu’il va en faire.

As-tu composé beaucoup plus de titres que les dix qui figurent sur l’album ?
Oh oui, j’en ai beaucoup plus. Ça m’a pris du temps d’écrire toutes ces chansons, ça venait par vagues. Sur les dix finales, il y en a une qui date d’il y a cinq ans et deux ou trois qui ont été écrites seulement quelques mois avant de finir le disque. Les autres sont entre les deux. J’ai continué à écrire sans relâche. Sur un lot de compositions, il y en a que tu veux mettre sur l’album, d’autres dont tu sens qu’elles ont besoin d’être peaufinées, et certaines qui ne sont pas vraiment ce que tu as fait de mieux. Du coup, j’aime bien en avoir beaucoup pour avoir le luxe de choisir.

Tu apparais seul en photo sur la pochette d’At Best Cuckold. Est-ce une déclaration d’intention ?
C’est quelque chose que j’avais en tête depuis longtemps, oui. Ça aurait été cool de faire une peinture, mais c’était déjà le cas pour le premier LP et je voulais changer. Le choix d’une photo s’est donc imposé. J’ai pensé d’abord à un paysage, mais comme le disque parle de ma vie, ça me semblait bien d’avoir un visage associé aux émotions et aux textes. Je préférais renforcer le sentiment d’avoir affaire à une œuvre personnelle. Cette photographie symbolise la réalité pour un disque qui évoque ce que c’est que d’être rattrapé par la réalité.

Tu peins toujours ?
Oui, énormément. En ce moment, j’utilise beaucoup Line Camera, une application sur mon téléphone qui permet notamment de faire des collages. Sinon, je travaille à l’acrylique, parfois au pastel. Je n’ai pas encore exposé, mais c’est quelque chose que j’ai en tête. J’ai commencé à imprimer ce que j’ai fait sur mon téléphone parce que ça rend mieux en grand format. Avant de m’adresser à des galeries, je veux être sûr d’avoir quelque chose de fort, un concept. Ce qui est excitant avec les galeries d’art, c’est que les gens y exposent des séries, des projets complets qui sont comme des expériences pour le visiteur. J’ai commencé à travailler sur une série de photographies dont on n’aperçoit que des bribes, des portions complétées par des esquisses, des coups de crayon. On distingue vaguement la forme générale du cliché mais pas les détails, comme dans la vie en somme. Les visuels sont en noir et blanc, et semblent à la fois similaires et différents. Parfois tu distingues des individus, parfois le dessin est très vague ou dissocié de la photographie. J’aimerais exposer cette série parce qu’elle est cohérente. Dans le domaine des arts visuels comme dans celui de la musique, j’accomplis des choses si différentes les unes des autres qu’elles sont parfois difficiles à assembler. C’est tout le défi.

Un autre long format ?