Forever Pavot (L'Idiophone) bannière
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© Julien Bourgeois

Émile Sornin, alias Forever Pavot, nous revient avec sa belle musique filmique d’inspiration seventies, sauf que cette fois-ci, il en a fait un grand disque de pop chantée – d’autres diraient chansons, mais chut, le mot lui donne des boutons.

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Tu as nommé ce troisième album L’Idiophone. Ce qui est, selon le Robert, «un instrument de musique à percussion qui produit le son par lui-même, sans caisse de résonance». Mais je suis sûr que tu n’as pas seulement choisi ce nom pour ce premier degré.

Je trouve que c’est un très beau mot. En plus, «idio» et «phone», on peut croire que c’est «l’instrument des idiots». Ça et le sens du mot, ça fait écho à la manière dont j’ai toujours fait de la musique : un peu comme un débutant, un idiot, qui tape sur les trucs… J’ai un rapport très percussif aux instruments.

Cette famille d’instruments est mise à l’honneur sur ce disque.

Oui, le triangle, la cloche, les clochettes, le célesta… Des instruments pas tellement présents dans la pop music, qui sont habituellement là pour faire de l’ornementation pure, pour ajouter du lyrisme ou de l’onirisme, mais que j’ai tendance à mettre en avant. C’est un peu une ode à ces idiophones.

D’où te vient ce goût ?

Ce sont des bruits de métaux, des fréquences très aiguës, qui font travailler un inconscient collectif, qui évoquent des bruitages, donc des scènes, donc des événements, et c’est ça qui me plaît énormément, parce que je construis mes disques un peu comme des films : chaque morceau est une saynète. Ça fait aussi écho à des artistes importants pour moi qui les utilisaient beaucoup : je pense à François de Roubaix ou Jean-Claude Vannier. Ces idiophones donnent un côté cinématographique à ma musique. Et, étonnamment, j’ai découvert un truc récemment. Je me rends vraiment compte que ma culture rap a plus d’importance que ce que je croyais dans Forever Pavot. Je l’ai déjà beaucoup raconté : quand je faisais du hip-hop, j’ai samplé et c’est ce qui m’a fait écouter ces disques et ces musiques de films. Mais, à côté de ça, un album m’est revenu à l’esprit récemment, en interview : c’est Mauvais Œil (2000), de Lunatic, le premier groupe de Booba, avec Ali. Je le réécoute en ce moment et, vraiment, je me dis qu’il y a tout Forever Pavot dedans. Il y a plein de morceaux très dark, mais c’est aussi super groovy, avec des idiophones, des cloches tubulaires, des orgues dans la réverb, de la mélancolie, de la terreur, du dramatique… Ce disque a été hyper important dans ma construction personnelle. C’est un peu le cliché du petit blanc qui s’encanaille en écoutant du rap quand il était ado, mais le morceau Le son qui met la pression m’a beaucoup marqué et son piano, c’est presque ce que j’ai fait dans Au Diable.

Dans Mauvais Oeil, de Booba et Ali, il y a tout Forever Pavot

Émile Sornin

Idiophone vient de la même racine étymologique qu’idiosyncratique, avec «idio», qui veut dire «soi-même». Est-ce qu’en mettant cela en avant, tu ne réclames pas aussi d’être reconnu dans ta singularité en disant en quelque sorte : «Voilà, ceci est Forever Pavot». Sachant que, par le passé, tu as multiplié les clins d’œil à, justement, de Roubaix, Morricone, Sarde, Cosma…

J’espère oui, et j’espérais déjà le faire avec La Pantoufle ! C’est vrai que c’est un reproche qu’on a pu me faire. Pas tellement des reproches d’ailleurs, plutôt des remarques du genre : «Hé, François de Roubaix, J.-C. Vannier… Moi aussi je connais !». Parfois à raison, sur des morceaux un peu trop référencés… L’originalité que j’essaie d’apporter à ça, ma singularité, c’est que j’en fait de la chanson – ce mot terrible (rires). De Roubaix et Morricone n’écrivaient pas de chansons ! Évidemment, Gainsbourg faisait beaucoup ça : de la musique cinématographique sur laquelle il parlait-chantait… Et cette musique n’a jamais été jouée live comme je le fais… Voilà, j’essaie de me défendre comme ça. Au début, peut-être que je travaillais avec un besoin de références, mais pour L’Idiophone, c’est une manière de dire : «C’est ça Forever Pavot».

Forever Pavot (L'Idiophone) 2
© Julien Bourgeois

C’est quoi le problème avec le mot «chanson» ?

C’est un réflexe un peu puéril d’ado. Je me soigne. Mais j’étais un gros hater. Je viens du métal, du punk hardcore, et, pour nous, «chanson française», «variété», ce sont des gros mots ! Le mec qui te raconte sa journée, son café, ses petits problèmes… Je ne peux pas. J’ai peur de devenir un Benjamin Biolay… Une espèce de crooner premier degré… J’ai peur de tomber là-dedans dès que je me mets à chanter. Ça me terrifie… Et, simplement, je n’ai pas de filiation avec la chanson, ce serait vraiment mentir de dire que je connais, que j’aime bien. Je n’ai jamais écouté Barbara, Piaf… Gainsbourg si, évidemment – mais il faut que j’arrête de le dire parce que (rires) –, Brigitte Fontaine, Albert Marcœur aussi et j’aime beaucoup Dick Annegarn. Après, des mecs comme Bertrand Belin, Burgalat, Mathieu Boogaerts sont très intéressants… Et il y a les copains d’Aquaserge, ou Julien Gasc. Autrement, je ne me sens pas proche de cette «famille», ni très à l’aise avec le format de la «chanson».

C’est pour ne pas tomber dans la chanson de «variétoche» que tu te protèges derrière le second degré et une forme de poésie surréaliste ?

Ce n’est pas «pour» ça que je le fais, c’est vraiment ce que je suis. Si la musique est cryptée, surréaliste, dada, humoristique, tout ce que tu veux, c’est parce que c’est moi. Et oui, c’est sans doute un peu pour dire : «Je ne fais pas de la chanson, je fais des blagues, des bêtises, je me cache derrière plein de trucs, parce qu’en fait je ne suis pas chanteur, je suis plutôt un compositeur qui raconte des histoires».

De Roubaix et Morricone n’écrivaient pas de chansons ! Évidemment, Gainsbourg faisait beaucoup ça : de la musique cinématographique sur laquelle il parlait-chantait… Et cette musique n’a jamais été jouée live comme je le fais

Émile Sornin

C’est paradoxal puisque, malgré cette timidité, ton chant est plus en avant dans le mix, tu le maîtrises mieux… C’est ton entourage qui t’a poussé dans cette direction ?

Ce qui est sûr, c’est que Samy [Osta, qui a mixé et réalisé le disque, ndlr] m’a dit : «Ça suffit de mettre du space echo sur ta voix et de parler dans ta barbe là, c’est l’album où l’on va t’entendre». Maxime [Daoud, ndlr] et lui m’ont dit que j’avais quelque chose à raconter, que c’était bien. Ça m’a donné confiance. Mais au fond, c’est vrai, il faut que je l’assume : je suis un chanteur, j’ai pris des cours de chant, c’est un disque de chansons.

Quelle matière t’a inspiré pour écrire ces chansons ? 

Encore plus que dans La Pantoufle, j’avais envie d’un album-concept, avec une histoire qui se déroule. Donc j’ai puisé dans mes références cinématographiques plus que dans les trucs perso, même si certaines chansons abordent de manière bien cryptée certains thèmes. Celui de l’addiction, par exemple, qui vient de mon vécu, de choses qui m’entourent. C’est un sujet qui me fascine, et j’ai mélangé ça à des saynètes : La Mer à boire et Décalco traitent clairement de l’addiction. Et c’est joué par des personnages qui sont parfois moi, d’autres fois non, plutôt des persos empruntés… Mais il y a aussi un morceau débile : je pense aux Informations, qui n’a rien à voir avec le reste du disque.

C’est facile, pour toi, d’écrire les paroles ?

Ça dépend. L’Idiophone du moyen-âge, ça s’est fait très facilement ; d’autres non. Mais dans l’ensemble, c’est un sacré boulot et ça n’est pas le plus agréable. De toute façon, je fais tout dans la douleur. Même le début de la composition, c’est toujours un peu douloureux… Une fois que j’ai trouvé la piste, que j’ai une grille qui marche, ce que j’aime le plus au monde c’est trouver des arrangements, rajouter des pistes… C’est un bonheur pour moi. Ensuite arrive une autre douleur. C’est : «Ok, maintenant, qu’est-ce qu’on raconte ?». Pour La Mer à boire, j’ai écrit le piano et le chant en même temps. Autrement, c’est généralement la musique puis le texte. Celui-ci était un peu plus pénible que mes précédents albums, car c’était plus long… Ça a pris des plombes, notamment à cause du Covid. Même à La Frette [studio d’enregistrement à La Frette-sur-Seine, ndlr], on était quatre à décider, c’était très différent de ma manière de faire dans le studio avant. Mais j’ai mis mon ego de côté et le résultat est cool.

On te découvre aussi orchestrateur ambitieux. Ça t’est venu de l’opportunité liée aux bandes originales que tu as écrites récemment ?

Oui, complètement. Avant je n’osais pas, mais maintenant que j’ai commencé avec Hélier Cisterne [De nos frères blessés, 2022, ndlr] et que j’ai continué avec Monia Chokri [Babysitter, en 2022, et son prochain long-métrage, en cours, ndlr] qui voulaient tous les deux du Forever Pavot, ça m’a donné confiance. Notamment parce que dans mon cas, c’est particulier : je ne sais pas écrire la musique. Je fais tout avec des samples et des instruments virtuels, et ensuite je donne ces partitions MIDI à un copiste qui réécrit ça. Mais de manière générale, je ne sais pas du tout ce que je fais : tu me parles de majeur, mineur, septième, je n’ai aucune idée de ce que c’est ! Je fais tout à l’oreille. C’est parfois très handicapant, quand je travaille avec d’autres personnes notamment, mais ça me donne aussi une couleur un peu spéciale. Je ne cultive que ma sensibilité et mon oreille, je n’intellectualise rien de ce que je fais. J’ai développé mes harmonies en me demandant ce que j’aimais, des trucs un peu chelou, mélancoliques, dark, dramatiques, et, à partir de là, j’ai développé mon propre langage… À tel point que je suis incapable de jouer des morceaux écrits par d’autres, je ne sais jouer que mes morceaux, mes accords. Quand je joue Petit Papa Noël à mon fils sur notre piano, je fais des accords Pavot…

Ton projet est intéressant, notamment par son rapport à la nostalgie musicale. Il l’est un peu – par l’instrumentation, les couleurs, l’harmonie – tout en faisant un pas de côté.

Je sais pas trop si je revendique ce truc-là. Ce n’est pas vraiment de la nostalgie, c’est avant tout une musique que j’ai énormément écoutée et que j’écoute toujours ! Le vrai truc, c’est que j’aime ces musiques, que je trouve ces textures hyper belles. Si je suis sincère, je dois reconnaître que j’aime un peu ce côté élitiste de mettre des instruments que personne n’utilise… Après, je repense souvent à cette phrase prêtée à John Lennon, «Le rock français, c’est comme le vin anglais»… Ça me rend un peu ouf, quand on sait ce qu’on a pu faire en France dans les années 1970. Donc il y a un peu cette ambition, en toute humilité, de dire : «Regardez ce qu’on a pu faire avant». Je trouve dommage que ces harmonies, ces mélodies, ces orchestrations soient moins présentes aujourd’hui.

Dans la production, la réalisation, il y a aussi, quand même, un quelque chose de très moderne, dans le non-respect des formats, dans l’ironie, et dans la qualité studio hi-fi.
Oui, j’essaie de moderniser ça avec le côté chanson et le mélange hi-fi/lo-fi… Sur le disque Rest de Charlotte Gainsbourg, auquel j’ai beaucoup collaboré, SebastiAn [qui l’a produit, ndlr] m’a poussé dans cette direction-là, en mélangeant des instruments compressés à la Ed Banger à mes harmonies seventies et mes idiophones…  Les gens qui font juste de la musique à l’ancienne, ça me fait chier. Les revival garage, sixties, je trouve ça un peu triste. Je l’ai été, mais, encore une fois, j’essaie de me soigner. C’est important de ne pas oublier, évidemment, mais il faut avancer. C’est d‘ailleurs pour ça que Forever Pavot a sa place chez Born Bad, qui se bat pour rappeler qu’on a fait de belles choses en France tout en en proposant des nouvelles.

Notre chronique de L’Idiophone est à lire ici.

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