Emmanuelle Parrenin, 2022
© Frédéric D. Oberland

Emmanuelle Parrenin a sorti au mois de mars dernier l’un des plus beaux disques de 2022. "Targala, la maison qui n’en est pas une" vient finir cette trilogie entamée en 1977 avec "Maison Rose" et prolongée de manière inespérée par "Maison Cube" en 2011. Il fallait bien cet échange pour peut-être mieux appréhender les angles distordus et aventureux de l’univers de la vielliste.

Emmanuelle Parrenin, vous revenez avec Targala, la maison qui n´en est pas une. Après une absence de presque trente ans, vous êtes revenue avec Maison Cube en 2011. Depuis cet album du retour, vous avez sorti trois albums, Pérélandra en 2017, Jours de Grève en 2021 avec Detlef Weinrich et enfin ce Targala sorti il y a peu. Comment expliquez-vous cette prolificité ? Y -a-t-il chez vous une envie de rattraper le temps perdu ?

Emmanuelle Parrenin : Non, je ne crois pas chercher à rattraper le temps perdu car j’ai eu une autre vie après Maison Rose, j’ai travaillé dans le domaine du soin pendant de nombreuses années par le biais de la musique mais aussi dans la composition de musique pour la danse. Je ne crois d’ailleurs pas avoir perdu mon temps. J’ai vécu un autre aspect de moi. J’ai quand même travaillé dix ans dans les hôpitaux et j’ai travaillé avec toutes les pathologies, mentales et physiologiques, essentiellement chez les enfants.

Je me souviens par exemple d’un jeune garçon de seize ans, il n’avait pas d’oreilles ni d’œil. C’était un enfant très lourdement handicapé, des cas dont on n’a même pas conscience de l’existence. Ce gamin se trouvait sur un tapis de mousse assez épais. Il y avait une professionnel par enfant. Ce jeune était à l’autre bout de la pièce et quand je commençais à jouer, il roulait, roulait et roulait et se collait contre la harpe. Je vous rappelle qu’il était aveugle. La personne qui s’en occupait me disait « Oh je suis désolée… » et elle le ramenait à l’autre bout de la pièce. A chaque fois ce gamin revenait jusque contre la harpe. J’ai fini par dire à son accompagnatrice de le laisser faire. C’est ce genre d’expériences qui m’ont nourri pendant toutes ces années. J’ai fait mes études de musicothérapie après ces dix années. J’étais là en tant qu’artiste et je ne connaissais pas les pathologies.

Je n’ai pas le sentiment d’avoir rattrapé le temps perdu mais d’avoir prolongé un parcours qui ne s’est jamais vraiment arrêté.

J’ai ensuite travaillé pendant dix ans avec les autistes. Pour moi ces deux travaux autour de la musique, d’un côté mes activités de musicothérapeute et de l’autre de musicienne – et donc artiste – sont deux éléments d’un même tout. Ils sont très unis. Je donne des cours de chant mais je vais aussi faire travailler la personne sur la voix en tant que révélateur de soi. Durant toutes ces années, ‘ai littéralement été captivée par toutes ces découvertes que j’ai faites d’abord en autodidacte et en m’autosoignant, j’ai ensuite élargi à d’autres pathologies. Parallèlement à cette période, j’ai monté deux spectacles solos. Dans tout ce que je fais désormais, on retrouve cette empreinte du soin qui m’a accompagné toutes ces années, je suis souvent surprise par exemple de voir des gens pleurer lors de mes concerts et qui m’expliquent que ma musique les a soignés alors que je fais de la chanson et pas de la musicothérapie. Je pense que cela reste toujours présent en filigrane. Quand je suis revenue en 2011, j’ai d’abord été très surprise de voir que des musiciens plus jeunes connaissaient mon travail et en plus de cela souhaitaient travailler avec moi. Je n’avais qu’une seule envie : travailler avec eux. Je n’ai pas le sentiment d’avoir rattrapé le temps perdu mais d’avoir prolongé un parcours qui ne s’est jamais vraiment arrêté.

Pochette de l’album “Targala” (2022)

Evoquer votre parcours, Emmanuelle Parrenin, c’est convoquer un passé désormais disparu, celui d’un revival folk dans les années 1970, celui des club folk, du collectage, d’une certaine vision du monde aussi. Cela relève-t-il du cliché selon vous et ce monde-là est-il si différent du nôtre ?

Emmanuelle Parrenin : Déjà pour moi, ce n’est pas un cliché. C’était une période de tous les possibles. J’ai eu le sentiment que le mouvement folk perdait sa flamme quand il est devenu à la mode. On  a commencé à sentir un esprit de chapelle lentement s’installer alors que ce n’était pas du tout comme ça au départ. Dès que j’ai senti ces changements s’amorcer, cela m’a donné envie de faire autre chose. J’ai tellement vécu à fond, j’ai tellement chanté et dansé que j’ai fait le plein durant cette période. Le monde de 2022 et celui des années 1970 sont des mondes très différents, je le ressens d’ailleurs tous les jours. J’ai suivi le fil quoiqu’il se passe mais c’est vrai que c’est un monde un peu révolu, qui reste un peu à l’intérieur de soi.

De quoi est né Targala ?

Emmanuelle Parrenin : J’ai vécu le premier confinement dans le désert. J’étais venue pour un festival qui s’appelle Nomad. Quand je suis arrivée, les frontières se sont fermées. Le festival a été annulé et je me suis retrouvée dans un tout petit village sans chambre d’hôte. Je n’ai pas eu d’autre choix que de rejoindre un campement en plein désert et ça a été une expérience très rude car je me suis vite retrouvée sans argent, entourée de touaregs qui s’attendaient à ce que je sois celle qui était riche. J’ai donc dû travailler dans ce camp. Je portais 20 litres d’eau, je nettoyais par terre. Quand on doit faire la vaisselle par exemple et qu’il n’y a pas d’éponge, pas de produit, d’un coup j’avais l’impression que tout le monde me regardait et je me demandais comment il fallait faire. C’était aussi très rude dans la relation entre les hommes et les femmes. Je m’attendais à ce que l’on fasse de la musique, et pas du tout. Ce qui a amené Targala, c’est que j’ai vécu de manière émerveillée la métamorphose du sable. On se repère un peu avec les dunes et puis la nuit le vent souffle et le paysage au matin a complètement changé. Mes seuls amis quand j’étais là-bas, c’étaient le sable et le vent, j’avais un rapport extrêmement fort avec les éléments et la nature qui m’entouraient. J’allais dans un creux de dune me cacher des autres. Il ne fallait pas que j’aille loin non plus. Il y avait dans ce creux de dune un arbre, un acacia du désert. Le vent dans les branches de cet arbre m’a nourri. Targala, finalement, c’est le nom ancien de cet emplacement où j’étais. J’avais un lien extrêmement fort avec ce sable, cette terre. Après, il y a aussi comment j’ai fait Targala qui est encore une autre chose. C’est suite à ce disque que j’ai fait avec Etienne Jaumet et Eat Gas, Volturnus/Balaguère. On avait un concert à faire sur une péniche à Paris.Etienne Jaumet n’était pas disponible, Eat Gas a invité Colin Johnco. On ne se connaissait pas tous les deux et Colin ne connaissait même pas la vielle. Après le concert, j’ai dit à Colin que j’avais envie de continuer à travailler de cette manière-là avec lui comme les effets sur ma vielle qu’il me proposait. Il est venu chez moi et j’ai commencé à improviser puis on a eu envie de continuer. Tout le disque s’est fait au cinquième étage sans ascenseur chez lui avec un simple micro un peu pourri.

J’avais besoin du Rien, je ne lisais pas, je n’écoutais pas de musique et je ne regardais pas de film. Juste, je respirais.

Pour revenir sur votre perception du confinement, avez-vous eu une sensation un peu troublée du confinement et de la pandémie de par votre expérience singulière dans le désert ?

Emmanuelle Parrenin : Quand je suis rentrée, le confinement n’était pas terminé. Je l’ai donc vécu comme tout le monde également. Ce que j’ai vécu dans le désert, qui n’était quand même pas une expérience facile, était très loin d’une expérience de tourisme. Quand je suis rentrée chez moi, je suis restée bloquée sur mon canapé pendant des jours et des jours, je ne pouvais rien faire. J’avais besoin du Rien, je ne lisais pas, je n’écoutais pas de musique et je ne regardais pas de film. Juste, je respirais. Ce confinement en France était bien sûr extrêmement anxiogène et c’était très différent de ce que j’avais vécu dans le désert.

Il est encore fois question de maison ici avec Targala après Maison Rose et Maison Cube. Quel sens donnez-vous à cette notion de maison  et a-t-elle évolué avec les années ?

Emmanuelle Parrenin : Quand j’ai fait Maison Rose, j’ai expliqué, dans la chanson qui porte ce titre, pourquoi j’ai appelé cet album ainsi. C’était une histoire d’amour. J’ai quitté quelqu’un en l’aimant et la chanson du dernier disque, Entre Moi, c’est toujours la même histoire sauf que là c’est encore plus antérieur car cela évoque la période où j’ai aimé cette personne en secret sans l’avouer car cette personne était mariée. Cela ne me venait même pas à l’esprit mais je l’aimais. Cette notion de continuité des maisons, c’est moi à l’intérieur, c’est la maison qui change au fur et à mesure des années et de l’âge. C’est quelque chose de très intime, ce n’est pas une maison d’architecture. C’est vrai que dans Maison Cube, c’est une histoire. C’est une vraie maison que j’ai partagée avec des amis, une maison d’architecte des années 1960. Les propriétaires étaient morts et les enfants n’étaient pas intéressés par cette maison. Une cousine architecte a revitalisé cette maison qui avait été vandalisée. On était trois familles à louer la maison. C’était une maison où l’on pouvait être à douze tout en étant totalement indépendants. Les éléments de la maison sont arrivés par grue avec tout à l’intérieur. La notion de maison, pour moi, c’est un mélange entre mon intimité, la maison à l’intérieur de soi et les véritables maisons. Ce qui est bizarre, c’est que moi, je n’ai pas de maison, je n’ai pas de maison de famille, je n’ai plus personne autour de moi. La plupart des gens ont une maison de famille, un endroit où ils se retrouvent, moi je n’ai pas cela, alors peut-être que je la fabrique cette maison-là, ce lieu.

Pour parler de ce disque, Targala, la maison qui n’en est pas une, j’ai évoqué les termes de créolisation et d’hybridation mais aussi d’une dimension sensualiste qui permet d’aller au-delà des mots et des verbes et peut-être d’atteindre une forme de pensée magique ? Qu’en pensez-vous ? Intellectualisez-vous à ce point votre musique ?

Emmanuelle Parrenin : Oui je me reconnais totalement dans les termes que vous venez de proposer pour décrire mon approche de la musique. J’aime l’idée de la créolisation surtout à notre époque où les crispations identitaires et la peur des métissages sont de plus en plus inquiétantes. On ne perd pas son identité dans l’hybridation, au contraire. J’ai été très critiquée par rapport à cela dans les années 1970, la scène folk n’a jamais compris pourquoi je m’en suis éloigné quand cette mouvance a connu un vrai succès. J’ai fait des choses assez différentes. Dans mon bouillon musical, il y a le folk, le jazz, le blues ou l’electro mais aussi la musique shamanique, les sons de guérison qui me viennent aussi de ma pratique de musicothérapeute. C’est probablement de là que vient cette pensée magique. Pour moi la musique, la transe et la danse comme arts et comme médecine du corps et de l’âme par le miracle du son, du mouvement et de la vibration sont des pratiques qui touchent constamment à la magie et à la grâce.

On vous a accolé l’étiquette de folkeuse dès vos débuts. Pourtant, déjà sur Maison Rose, un titre comme Topaze renvoie à la musique électronique. Sur Targala, vous poursuivez dans cette voie entre acoustique et électronique.

Emmanuelle Parrenin : D’abord je joue des instruments qui sont acoustiques mais aussi avec des limitations. Je suis en permanence confrontée à ces limitations. J’ai toujours été intéressée par le travail avec le son que peut apporter la musique électronique. Je suis née dans une musique qui était la musique de chambre. Je vous rappelle que mon père a fondé le quatuor Parrenin. Le quatuor de mon père a créé toutes les premières interprétations des œuvres contemporaines, que ce soient Ligeti, Berio, Britten ou Xenakis. Mes parents car ils étaient tous les deux très absents. Mon père consacrait tout son temps à son quatuor. J’entendais mon père et la musique qu’il jouait à travers les portes fermées. Oui il y a des choses que je n’ai pas eues mais tout est passé par le son. Je n’ai pas connu leur attention, c’était une autre époque. Mais je ressentais les personnes et j’ai appris à connaître mes parents à travers leurs interprétations. Après c’est vrai, j’ai cette étiquette folk et comme avec toutes les étiquettes, on n’a jamais vraiment l’impression de correspondre à cette étiquette. Folk, ok, il faut bien me mettre une étiquette mais je dirai peut-être plutôt folk psychédélique. Ce serait peut-être plus juste.

Quand je retrouve ce que j’écrivais à l’époque de Maison Rose, la plupart de ces textes, je pourrais les écrire et les dire encore.

Vous reconnaissez-vous toujours dans la jeune femme de Maison Rose, celle que l’on a affiliée au courant folk et qui a disparu de la scène musicale du jour au lendemain pour une absence de plus de trente ans ?

Emmanuelle Parrenin : Oui, absolument. Je peux rechanter le morceau titre de Maison Rose. C’est une histoire qui est vraie, que j’ai vécue. J’ai fait une chanson cinquante ans après sur Targala qui parle toujours de la même personne que j’ai aimée et qui remet du présent dans cette histoire. Il n’y a qu’un titre traditionnel sur Maison Rose, c’est Belle Virginie, je n’ai pas de problème avec ce titre. Je pense que je me retrouve dans ce disque parce que fondamentalement, je n’ai pas changé. J’ai bien sûr eu des expériences de vie mais quand je retrouve ma malle remplie de cahiers, quand je retrouve ce que j’écrivais à l’époque de Maison Rose, la plupart de ces textes, je pourrais les écrire et les dire encore. Avant Maison Rose, j’ai fait beaucoup de choses. Je ne les renie pas mais je ne les assume pas totalement non plus. Qu’on soit clairs, je n’écoute jamais mes disques car une fois que c’est fait, c’est fait et je suis déjà ailleurs. Souvent, quand on a un disque qui sort, cela met du temps avant que le public ne le découvre et je suis déjà ailleurs, au point que cela me pose problème. Tous les premiers disques que j’ai faits, pas ceux avec Gentiane où on s’est bien amusés à les faire, pas Château dans les nuages avec Phil Fromont mais Chants à danser, La Maumariée, ce n’est pas que je ne les assume pas – ils font partie de mon histoire, je m’emparais de mon instrument pour me trouver une identité sonore – mais je ne les trouve pas intéressants, tout simplement.

Paradoxalement, vous vous êtes éloigné de la scène folk au moment où cette musique commençait à rencontrer un vrai succès. Pourquoi avoir pris ces distances avec cette scène ?

Emmanuelle Parrenin : Je me rappelle parfaitement ce qui a déclenché cette envie de m’éloigne. J’étais sur scène et je chantais ces titres, La Maumariée sur des femmes qui souffrent, mal mariées. J’ai eu comme une prise de conscience immédiate en me disant « Mais qu’est-ce que je raconte ? » et j’ai arrêté du jour au lendemain. Je n’ai pas été comprise par mes amis musiciens de l’époque car cela commençait à marcher très bien, on gagnait enfin très bien notre vie. C’est effectivement paradoxalement à ce moment-là que j’ai décidé de tout quitter. Je n’avais plus du tout envie de raconter ces histoires-là. Je faisais partie des rares filles que l’on voyait sur cette scène folk, il y avait bien sûr Catherine Perrier, Marie dans Malicorne et quelques autres,il y avait quand même pas mal de paternalisme et de sexisme dans ce milieu que l’on pourrait penser progressiste et qui l’était indubitablement.

En 1977, vous sortez votre premier disque solo, Maison Rose qui sera le seul disque d’Emmanuelle Parrenin en solo avant longtemps. Vous l’enregistrez au studio Frémontel, où vous viviez à l’époque. Quels souvenirs conservez-vous de cette période et quelles étaient les personnes qui vous ont accompagné sur ce projet ?

Emmanuelle Parrenin :  Il y a eu deux personnes, Bruno Menny mon compagnon à l’époque, ingénieur du son sur cet album. Il y avait aussi Hughes De Courson qui a créé Ballon noir et était dans Malicorne qui a joué un rôle important dans Maison Rose. Il faudrait aussi évoquer Jean-Claude Vannier avec qui j’ai collaboré pour ce disque. Il a écrit Plume Blanche Plume Noire pour moi. Je l’ai rencontré par l’intermédiaire de Hughes De Courson. Les choses se sont faites très simplement, je suis venue chez lui, il a commencé à jouer des choses au piano et je me suis mis à chanter. On s’est parlé il y a peu au téléphone et j’aimerai beaucoup retravailler avec lui. Je reconnais instantanément un arrangement de Jean-Claude Vannier. Si ce disque est intemporel, c’est aussi grâce au travail de Bruno Menny sur le son.

La vie à Frémontel, c’était un peu comme dans mon enfance, toute la vie tournait autour de la musique. Mon compagnon, ingénieur du son, travaillait jour et nuit dans ce studio. Il y avait des groupes qui venaient et restaient un mois, ils travaillaient à toute heure, ce qui serait impensable aujourd’hui. J’ai amené toute la scène folk dans ce studio, Malicorne, Dan Ar Braz, La Bamboche, bref des gens que je connaissais personnellement. Il y avait aussi le Show Biz avec des artistes comme Michel Jonasz ou Johnny Halliday. Il n’enregistrait pas forcément dans le studio mais il connaissait très bien Jacques Denjean qui était le propriétaire du studio et qui était un grand arrangeur de l’époque (pour Françoise Hardy ou Dionne Warwick par exemple) et qui a composé des musiques de films entre autres pour Jacques Rozier. Il y avait un mélange de variétés, avec Jacques Denjean qui amenait cette clientèle-là, moi qui amenais la scène folk et Bruno Menny qui était ingénieur du son avant au Studio Acousti à Paris avec la clientèle de ce studio qui l’a suivi. Il y avait plein de choses différentes.

Quand  j’ai commencé à travailler sur Maison Rose, mon idée de départ était que j’avais rejeté le folk et je voulais entamer un retour sur moi et ma musique, celle qui m’habite.

J’ai commencé à composer les musiques et les chansons de ce qui allait constituer Maison Rose avant d’habiter dans ce studio donc je ne pense pas que cette expérience de vie à Frémontel a influencé sensiblement la genèse du disque. J’ai été extrêmement nourrie parce qu’il y avait tellement de musiques différentes… J’ai souvent joué dans les disques des gens qui passaient. On me demandait de venir faire de la vielle ou de l’épinette. L’ambiance de ce studio était très stimulante, il y avait des immenses tablées pour les musiciens, ils dormaient sur place. Il  y avait une maison pour les accueillir. On mangeait tous ensemble, j’organisais souvent des méchouis dehors. Mon fils était tout petit, il avait quatre ans à l’époque et il allait à l’école du village. Il y avait en même temps cette vie avec des enfants en bas-âge et cette vie avec des musiciens. C’était très joyeux. Pour Bruno Menny, ce n’était pas toujours aisé.

Quand  j’ai commencé à travailler sur Maison Rose, mon idée de départ était que j’avais rejeté le folk et je voulais entamer un retour sur moi et ma musique, celle qui m’habite. Le travail sur la musique traditionnelle ce n’était pas une musique de retour sur soi mais plus la traduction de cet élan incroyable, cette puissance de feu dans laquelle j’ai cru me reconnaître à un moment de ma carrière de musicienne. Là j’étais passée à tout à fait autre chose, une autre forme d’élan qui allait à l’intérieur de moi. Je pourrai dire en somme que toute ma période folk est une expérience de l’extraversion alors qu’avec Maison Rose, je m’inscrivais plus dans une recherche introspective.

Maison Rose sort donc en 1977 en pleine explosion punk. Ce mouvement va d’ailleurs contribuer à la mise au placard pour longtemps du courant Folk. Pourtant ne croyez-vous pas que ces deux courants partagent finalement bien plus d’éléments que l’on peut le penser comme cette philosophie D.I.Y et cette volonté de se confronter à la chose politique ?

Emmanuelle Parrenin :  C’est vrai et c’est dommage que l’un est renversé l’autre car je crois qu’à la base, dans le tissu de fond, cela se rejoint avec ce rejet du système politique et sociétal. Créer un mouvement indépendant et suivre un autre sentier que celui qui est attendu par le système, on retrouve ces deux idées majeures dans le punk et le folk. Et puis il ne faudrait pas oublier ce que Woody Guthrie avait d’écrit sur sa guitare, This machine kills fascists.

Un autre long format ?