Courting (New Last Name) bannière
© Charlie Barclay Harris

Depuis que son "Guitar Music" (2022) nous a prouvé que l’on pouvait encore s’amuser avec une six-cordes et un peu de débrouille, Courting fait partie des groupes les plus attachants et captivants chez nos voisins d’outre-Manche. Le quatuor liverpuldien a confirmé fin janvier son statut d’ovni de la “crank wave” avec "New Last Name", disque qui conjugue souvenirs musicaux et esthétiques du début des années 2000 et pièce de théâtre qui n’aura (sans doute) aucune réelle représentation. Rencontre avec Sean Murphy-O’Neill, frontman de Courting – et des Throwbecks, groupe fictif dont l’histoire est en partie contée dans ce nouvel album. Et à l'occasion de leur concert au Point Ephémère le 1er avril, on a 2x1 places à vous offrir si vous envoyez un mail à l'adresse jeuconcours@magicrpm.com. Un tirage au sort aura lieu le 27 mars.

Aujourd’hui, est-ce que j’interviewe Sean Murphy-O’Neill de Courting ou est-ce que j’ai plutôt Christian Name des Throwbecks en face de moi ? Plus sérieusement, ça n’est pas commun d’inventer un groupe fictionnel pour fonder tout un album dessus…

(Rires) Tu interviewes Courting, je te rassure ! J’espère que tu avais prévu des questions pour nous… Pour répondre à ta deuxième question, dans sa conception, New Last Name est une sorte de pièce de théâtre, une comédie musicale. Enfin, on ne le présentera sans doute jamais en live de cette façon (rires). On s’est un peu perdus dans ce délire de s’inventer des alias, des identités différentes, de jouer des personnages. Il y a tout un jeu de couches qui se superposent. On interprète nos rôles, en même temps on interprète aussi la musique qu’on a composée sous le nom de Courting pour les Throwbecks [nom de leur groupe fictif, ndlr], comme si The Throwbecks en faisaient une reprise. On est à la fois fictionnels et réels. C’est assez déstabilisant mais c’est aussi très marrant. Même dans les clips, on essaie de brouiller les pistes. Un morceau comme Throw, par exemple, s’inscrit bien dans cette double grille de lecture. Tout en existant dans une perspective un poil différente du reste du disque.

Ce discours sur le jeu théâtral et l’interprétation d’un groupe fictif est assez intéressant puisque le communiqué de presse évoque qu’il s’agit là du premier «véritable» album de Courting. Pourtant, vous en aviez déjà de premier album : Guitar Music, sorti en septembre 2022.

Évidemment, Guitar Music reste, à nos yeux, notre premier album. Mais, comme tout premier album, tu essaies surtout de ménager les gens qui suivaient tes premiers EP, quand tu te découvres artistiquement. Aujourd’hui, devant l’embouteillage de groupes anglais qui existent en même temps que nous, on a quand même très vite eu envie de faire un album qui se détache du reste tout en nous permettant d’être totalement nous-mêmes. On sait qu’on a une audience qui nous a vus grandir de concert en concert et qui a beaucoup apprécié cette évolution de notre direction artistique. C’est ce qui fait qu’à mes yeux, New Last Name est une véritable déclaration de ce qu’est Courting, parce qu’on a gardé le meilleur de ce qu’on faisait sur Guitar Music et on est allés creuser bien plus loin. Et, encore une fois, il est assez ironique de se dire qu’on a ce ressenti-là alors qu’on a créé un groupe fictif pour raconter son histoire. Et qu’on a embrassé ces rôles dans l’écriture et la composition, dans notre communication, nos clips, notre image de scène…

Est-ce que le résultat du disque aurait été différent si vous n’aviez justement pas entrepris ce travail de “roleplay” ?

Je n’en suis pas sûr, en vérité. New Last Name reste un album de Courting par Courting malgré tout. On aurait pris autant de temps à le faire sans même imaginer toute cette backstory. En fait, on regardait beaucoup de films pendant le processus créatif, en se disant que ça n’était pas juste qu’un film t’offre la possibilité de présenter des choses, stylistiquement parlant, sans que cela n’affecte nécessairement son scénario. J’ai l’impression qu’avec la musique, les auditeurs ont cette tendance à très rapidement juger les choses, ce qui t’empêche de poser un décor. On voulait écrire un album qui permettrait de joindre les deux : être un album «normal», mais aussi créer un univers en son sein, avec nos références culturelles à nous. Tout en laissant à chacun la liberté d’interpréter son histoire comme bon lui semble.

J’aime beaucoup cette précision sur les références à la pop culture. Ça va au-delà du name dropping, elles servent de background aux personnages et à la pièce.

Oui, on avait vraiment envie de créer une expérience immersive. On se refuse cependant à dire qu’on a fait un album-concept. Pour nous, qualifier un disque d’album-concept relève souvent du gadget – en plus d’être parfois un cache-misère. Et ça peut de temps en temps te faire complètement sortir de l’œuvre musicale. Même s’il y a un scénario sur New Last Name, tu n’es pas obligé de t’y attacher pour apprécier les morceaux tels qu’ils sont. Tu peux écouter le disque en aléatoire, garder quelques morceaux à mettre dans une playlist, sans pour autant sacrifier ton expérience d’écoute.

Être un compositeur, c’est être acteur

Sean Murphy-O’Neill

J’ai passé mon été à faire tourner Flex, et j’ai l’impression que ce titre en particulier évoque ton rapport à la célébrité, enfin, si on peut appeler ça comme ça. Comme une version fantasmée…

Je ne dirais pas que je suis célèbre, très loin de là. Mais être le frontman d’un groupe émergent t’expose toujours un peu, et c’est toujours très flatteur et parfois… étrange (rires). Je me rappellerai toujours de la fois où, alors que j’étais en train d’uriner dans les toilettes d’un ferry vers Calais, un mec m’a tapé sur l’épaule en me disant qu’il adorait Courting. Mec, tu ne peux pas attendre que j’ai terminé mon affaire ? Pour en revenir à Flex, cette chanson évoque surtout comment le personnage principal du clip «deale» avec son succès. Tout dans son attitude pue la célébrité. Mais c’est dans son identité fictive. Car en même temps – on en revient encore au côté «personnage» –, c’est difficile d’être pleinement toi-même quand tu composes. Même si tu signes sous ton nom réel, tu incarnes forcément quelqu’un. Et tu chantes ce que tu as envie que les gens pensent de toi. Être un compositeur, c’est être acteur. Je pense à un David Bowie, avec ses multiples alias qu’il faisait vivre et mourir au fur et à mesure de sa discographie. Je pense que Station to Station aura été une de nos grandes inspirations pour New Last Name. Tu as beau être la plus grande popstar du monde comme il l’était à l’époque, il te sera toujours possible de te renouveler artistiquement d’une manière encore jamais vue. C’est un beau message d’espoir. Parce que même en tant que jeune groupe, on se demande sans cesse «comment faire pour que les choses conservent leur intérêt et que faire de la musique reste quelque chose d’amusant, sans pour autant laisser nos fans sur la touche». Là, je pense qu’on a réussi.

C’est vrai que tu parles souvent de l’aspect «fun» de faire de la musique, c’est quelque chose qui revenait déjà du temps de Guitar Music

On se demande comment on pourra «augmenter» cette histoire dans nos prochains albums, tu vois ? Comment rendre ça encore plus intéressant, encore plus bizarre, et que la progression de l’histoire suive notre progression musicale. Ça ajoute une couche de profondeur supplémentaire à notre musique. On ne veut pas être réduits à de simples auteurs-compositeurs, on pense qu’ajouter ce lore autour de nos morceaux et albums permet aussi au public de s’identifier à nos personnages et de s’impliquer dans l’histoire, un peu comme une série ou un film. C’est quelque chose qu’on s’imagine faire dans le futur.

Les gens aiment bien dire que le groupe préféré de leur enfance était un obscur trio de garage noise – alors qu’on sait tous, en tant que membres de la Gen Z, qu’on a passé notre temps devant MTV

Sean Murphy-O’Neill

L’aspect nostalgique était déjà présent sur Guitar Music, une nostalgie qui te faisait regarder vers l’avant. Mais là, avec New Last Name, vous embrassez une esthétique Y2K qui vous sied bien. Qu’est-ce qui vous inspire dans les années 2000 ?

J’aime déjà beaucoup toute l’esthétique de cette période, son côté rétrofuturiste. Tout était brillant, chromé, avec des couleurs chaudes, parfois indigestes. Visuellement, ça me parle. Regarde les clips de Flex ou de Throw, par exemple. Tout brille, on est en «tenue d’époque», on a des téléphones à clapet, des caméras à cassette… L’album lui-même a beaucoup à voir avec cette idée de nostalgie, donc on a aussi pioché pas mal d’éléments musicaux de cette époque. On retombe vraiment dans nos souvenirs de petite enfance. Dans Throw, par exemple, on voulait vraiment utiliser les clichés de la pop-punk à la MTV, ce qu’on a fait dans le dernier tiers du titre. On commence par faire un truc qui ressemble à de l’indie rock 2000 à la Strokes, puis on passe sur du Blink-182 (rires). Le morceau est assez sérieux à mes yeux, donc c’est intéressant de terminer sur une note un peu stupide. Un peu inattendue. On aime beaucoup l’idée de céder à ses plaisirs coupables. Les gens aiment bien dire que le groupe préféré de leur enfance était un obscur trio de garage noise – alors qu’on sait tous, en tant que membres de la Gen Z, qu’on a passé notre temps devant MTV. En plus, ce switch sert le propos de l’album. Sans trop révéler l’intrigue de New Last Name, on est sur un plot twist.

Courting (New Last Name) 2
© Charlie Barclay Harris

Je me reconnais bien dans ce que tu dis là. Je pense que le premier disque que j’ai demandé à ma mère de m’acheter, c’était Infinity on High des Fall Out Boy (2007), j’avais dix ans à peine…

From Under the Cork Tree [deuxième album des Fall Out Boy, ndlr] reste aujourd’hui un de mes albums favoris ! J’aurais adoré faire des morceaux comme ça quand j’avais seize ans. Et je pense que ça se ressent pas mal dans mon songwriting. On n’aime pas du tout hiérarchiser nos influences musicales suivant la «qualité» du groupe selon la critique. On aime la musique quand elle est sérieuse, mais aussi quand elle ne l’est pas.

Ce que j’apprécie beaucoup avec vous, c’est votre capacité à faire des bangers indie rock, puis de tomber dans une forme de bizarrerie musicale le morceau suivant…

Je vois ce que tu veux dire, oui. Il y a un monde entre nos morceaux We Look Good Together et The Hills, par exemple. Dans la mélodie, dans l’intention, dans le style musical… On faisait déjà ça avec Guitar Music, mais j’ai le sentiment qu’on le maîtrise mieux ici. Je pense que tu peux faire cohabiter beaucoup de choses dans un album. Si je faisais partie d’un groupe qui passerait son temps à composer des morceaux creepy en accordage drop D, je me ferais tellement chier. Puis, en tant que frontman, poste où j’incarne déjà forcément un certain personnage, j’ai envie d’interpréter des morceaux où je suis réfléchi, d’autres où je peux juste faire n’importe quoi. Par exemple, sur We Look Good Together, je prétends être une vraie popstar, ce que je ne pouvais pas forcément faire sur un titre comme Tennis.

En termes de songcrafting, qu’est-ce que tu as voulu faire sur New Last Name que tu n’avais pas fait sur Guitar Music

Par exemple, quand on a écrit Jumper, sur Guitar Music, c’était ma première tentative de faire un véritable morceau pop qui ne se cache pas d’être un morceau pop. Mais Jumper restait quand même très indie rock dans sa structure et son instrumentation. Avec We Look Good Together, par exemple, on est vraiment allés plus loin dans la pop, et le résultat en fait une chanson qui pourrait presque être mainstream si elle n’était pas faite par un groupe indie. Aussi, dans Guitar Music, on avait un peu trop d’éléments industriels et électroniques pour faire des parties orchestrées, avec des violons, des trompettes, des saxophones… Là, on a essayé de ramener un peu de tout, d’ajouter un côté baroque à notre musique, tout en continuant de proposer des passages expérimentaux.

Plus tôt, tu m’avouais qu’il n’y aurait jamais de véritable représentation théâtrale de New Last Name, «juste» des concerts normaux. Mais est-ce que, si tu avais l’opportunité d’en faire une pièce, tu imagines déjà une scénographie, des costumes, etc ?

(Rires) Oui, je vois déjà quelques costumes et décors. Après, t’en dire plus serait révéler le script de la «pièce», et on s’est dit entre nous, chez Courting, qu’on ne révélerait jamais le scénario. On préfère qu’en écoutant le disque, les auditeurs se fassent leur propre histoire. Mais dans le vinyle, on a fait imprimer un insert avec les paroles et quelques instructions de jeu – en en disant le moins possible, donc il y a par exemple des indications comme : «personnage 1 entre en scène», «personnage 2 quitte la scène». Sinon, ce que je peux te dire de plus, c’est que Happy Endings est la fin «officielle» de la pièce, America la scène d’après générique. Dans mes rêves, America est interprétée alors que le rideau se baisse, et le public ne sait pas si elle fait partie du show ou si c’est une erreur de notre part. Il y a un côté qui rappelle un soliloque shakespearien.

Ma vision du scénario est la suivante : une star sur le déclin part à la recherche de son amour d’enfance et se rend compte qu’elle est en passe de se marier. J’ai bon ?

Ah, mais c’est à toi de décider mec (rires). Je ne dirai rien de plus là-dessus.

En vérité, j’aime bien cette idée de ne pas révéler toutes les informations avant la sortie du disque. Ma marotte des dernières semaines, c’est qu’il n’y a plus de mystère dans l’industrie musicale, tout se sait très vite…

Je me dis que, si tu as besoin d’expliquer l’entièreté d’un morceau et de préciser ce que tu voulais dire en l’écrivant, c’est que ton morceau n’est peut-être pas aussi bien que tu ne le penses. C’est comme raconter pourquoi une blague est drôle alors que personne ne rigole. Je préfère laisser les gens se faire leur interprétation. Après, si tu as besoin d’une explication sur une ou deux paroles en particulier, je suis ouvert !

Ça tombe bien que tu proposes ça, puisque j’ai en tête le refrain de Flex, et particulièrement ce passage-là : “I just wanna ball out with my friends / I wish my lifestyle was publicized / Livestream lying forever / Livestream lying forever”. Qu’est-ce que tu peux me dire là-dessus ?

Parfois, je me dis que ce serait drôle qu’on ait chacun une caméra braquée sur nous à longueur de journée, et quand tu rentres chez toi, tu peux «revivre tes aventures». Mais pas d’une manière romancée. Vraiment, un flot brut de souvenirs. Effectivement, quand je chante ça, il y a derrière une volonté d’évoquer ceux qui ne cessent de faire de leur vie un film. Ceux qui font les choses d’une manière tellement extravagante qu’elles devraient être diffusées à la télévision. C’est ce qu’il se passe sur les réseaux sociaux, en quelque sorte. Je pense que tous ceux de ma génération les utilisent pour se montrer plus intéressants qu’ils ne le sont. Ils vont toujours essayer de se montrer sous leur meilleur jour, et il y a comme une espèce de concurrence qui s’installe. Tu ne devrais pas vivre ta vie juste pour qu’elle soit documentée de manière méliorative. Plutôt que d’essayer de paraître cool aux yeux du monde, tu devrais faire les choses pour toi et toi seul. C’est triste, par exemple, d’aller dans un restaurant seulement pour pouvoir faire des photos de ton plat…

J’ai l’impression qu’aujourd’hui le monde est recouvert d’aéroports pour se casser de là où tu vis et de parkings pour garer ta voiture pendant ton voyage

Sean Murphy-O’Neill

Il y a beaucoup de références au chiffre 9 dans les paroles, et notablement à l’année 2009. Comme par exemple sur Emily G et son “compared to the 60s / 2009, it looks good on paper and / Everything looks like a landing strip these days”. Tu peux m’expliquer pourquoi ?

Les allusions à l’année 2009 ? Ça fait justement partie des choses que je préfère garder secrètes (rires). Pour ce qui est du reste de ces paroles, j’ai l’impression qu’aujourd’hui le monde est recouvert d’aéroports pour se casser de là où tu vis et de parkings pour garer ta voiture pendant ton voyage. J’aime beaucoup les parkings, qui racontent bien des choses de notre société. Ça n’est pas la première fois que j’en parle dans un morceau, ça fait presque partie de mon subconscient.

Je ne vais pas te demander de me parler du scénario de New Last Name, mais en même temps, que peux-tu me dire sur ce titre ?

La première couche est évidente : quand tu es une femme et que tu te maries, tu prends généralement le nom de ton époux – même si ça tend à changer. Ensuite, je vois aussi l’idée d’un nouveau départ, d’un changement d’identité pour repartir à zéro dans la vie. Et ça, je le relie à notre histoire avec cet album. Comme je te le disais plus haut, il faut y voir un nouveau départ pour Courting. Quelque part, c’est comme si on avait changé de nom de famille.

Un autre long format ?