Courting (Guitar Music) bannière
© Alex Bex

Rares sont les premiers albums aussi enthousiasmants que le "Guitar Music" de Courting. Ou comment lier passion pour les "choses bizarres" et envie de "faire du rock parce que c’est cool". Nous nous étions entretenus avec le quatuor de Liverpool l’été dernier, en amont de la sortie du disque. Le groupe sera ce samedi 4 mars à l’affiche de la soirée Indé*Rama #2 de L’Oasis, au Mans. Rencontre inédite.

On pourrait épiloguer durant des heures sur la pertinence ou non de qualifier une pièce musicale d’«album de la maturité». Reste qu’il existe parfois un disque qui, tant dans ce qu’il raconte que dans la façon dont il est raconté par ceux qui l’ont couvé, pourrait coller à ce qu’on envisage quand on pense à un «album de la maturité». Sorti le 23 septembre dernier chez [PIAS], Guitar Music, premier album de Courting, pourrait très bien faire partie de cette catégorie-là.

C’est étonnamment en plein cœur de la Bretagne – pas la Grande, celle à chapeaux ronds – que l’on retrouve la bande, le 20 août. Et plus exactement dans la petite bourgade côtière de Riantec, à quelques encablures de Lorient. Une bourgade côtière qui, depuis 2018, est le théâtre de ce qui est peut-être l’un des (petits) festivals estivaux les plus cools de France, le VARMA ! Festival, où vous pouvez voir la crème de la crème de l’underground de l’Hexagone et, nouveauté de cette édition 2022, quelques groupes en provenance directe d’outre-Manche. L’interview validée seulement l’avant-veille de l’arrivée des Anglais sur place, on se retrouve le samedi à 20 h dans l’enceinte verdoyante du château de Kerdurand et l’on discute football, spécialités de la région et influence des Arctic Monkeys quand vous êtes nés à Sheffield. “But don’t we have an interview guys? I mean, a real interview”, se demande Sean Thomas. Effectivement, si. Les fesses posées sur les tapis de gym qui recouvrent le sol du backstage, quelques fraises Tagada posées au milieu du cercle, on peut commencer cette “real interview”.

U-20 du Post-Punk FC

La première chose qui frappe chez ces quatre Liverpuldiens à l’accent plus ou moins prononcé, c’est leur jeunesse. Cette impression de se retrouver face aux U-20 du Post-Punk Football Club, promesses en devenir qui attendent patiemment leur première titularisation en équipe première. Tous étudiants «dans le même cursus de graphisme à l’université» – dont Sean Thomas (batterie et chœurs) porte d’ailleurs un sweat-shirt siglé pour se prémunir de cette fraîcheur de fin d’été breton –, l’histoire de Courting commence d’une façon aussi classique qu’un «il était une fois». Des «parcours de bedroom rockstars» pendant leur adolescence, parce que tombés sur une basse ou une guitare en solde ou dans un Emmaüs local, de premières aventures musicales chacun de leurs côtés, «un concert pendant les vacances de Noël 2016, peu avant que mon groupe d’alors se dissolve, comme tous ceux que vous formez quand vous êtes au lycée», selon Connor McCann (basse). «Je suis sûr que si je suis dans Courting, c’est que je suis le seul capable de lire des tablatures», se risque à plaisanter Sean Thomas.

Après quelques circonvolutions, le coup d’envoi «officiel» est donné par la publication de Not Yr Man sur Bandcamp le 21 juin 2019, suivi par Football début 2020. Une période évidemment marquée par le sceau du Covid, qui aura quand même laissé le temps à Courting de se lancer dans le grand bain avec un premier EP, Grand National. En quatre titres, l’essai est transformé et les natifs de la ville de Steven Gerrard sont alors inscrits dans la longue lignée des groupes de post-punk post-Shame au Royaume-Uni. Et même s’il troque l’originalité pour une efficacité à toute épreuve, dans Grand National germe le son mordant du quatuor, ainsi qu’un lot de thèmes récurrents dans sa mythologie : la peur de devenir un mainstream sellout sans pour autant s’interdire tout désir de succès (“Major contract, signee enables / Content shitty, income stable / Terms and conditions, work for exposure / Acquisitions, non-disclosures / Exclusive access, no rights to your rights” dans Popshop!) ainsi qu’une étrange fascination pour les loisirs de nos voisins d’outre-Manche, la chanson titre pouvant se comprendre comme un brûlot contre les paris équestres (“Well I don’t care if it dies it’s entertainment / Don’t call it cruel, define exploitation / Well that’s one hell of a quip / Not quite biding well / And I wouldn’t place a bet if you paid me / I’d always end up losing my money / On some stupid horse again”). La suite sera encore meilleure.

Le véritable tournant du match a lieu lorsque les kids commencent à se poser une sacrée colle. Comment conjuguer leur amour de l’hyperpop, suscité par d’intensives écoutes de Charlie XCX ou encore de la regrettée SOPHIE, avec le son post-punk très «guitare-orienté» de leurs origines ? Nouvellement signé chez [PIAS], Courting va alors sonner chez le producteur James Dring, connu pour ses travaux avec Gorillaz, Sorry ou Nilüfer Yanya, et lui donner les pleins pouvoirs. «On est arrivés en studio avec une forme qui restait quand même très rock, presque classique, narre calmement Sean Murphy-O’Neill, frontman plutôt discret derrière la scène et électrique devant. Et on lui a tout simplement demandé de le rendre… bizarre. Oui, c’est le mot, bizarre. Il s’est chargé de pimenter les choses au maximum de ce qui reste écoutable. Mais il a tenu à ce qu’on participe à tout ça. C’était une expérience très collaborative, très enrichissante… Très amusante, aussi. Il avait toujours une solution à nos questions débiles. “Ah, tu veux que ton synthé sonne comme ça ?”, et dix minutes après, notre synthé sonnait vraiment comme ça.»

Hyper-post-punk

Il faut reconnaître que Guitar Music, montagnes russes-mais-anglaises faites d’une successions de loopings pop plus sucrés qu’une tablette de Cadbury (Loaded, Jumper, Famous) et de pentes plus expérimentales (Cosplay / Twin Cities, Uncanny Valley Forever, PDA), est un formidable terrain de jeu pour producteur ayant soif d’aventures. Murphy-O’Neill, toujours lui, élabore. «On voulait faire un style de musique qui nous permette de bourrer nos morceaux d’Auto-Tune et de glitchs sonores, parfois bruitistes, sans perdre de vue qu’on reste un groupe de rock. D’ailleurs, je suis persuadé que tu peux savoir qu’on a de bonnes chansons parce qu’elles fonctionnent même sans leurs artifices. Tu parlais d’hyper-post-punk pour décrire notre musique, je pense effectivement que même si je n’ai jamais été très fan des étiquettes, c’en est une bonne.»

On voulait faire un style de musique qui nous permette de bourrer nos morceaux d’Auto-Tune et de glitchs sonores sans perdre de vue qu’on reste un groupe de rock

Sean Murphy-O’Neill

«Je n’ai jamais été très fan des étiquettes.» Voilà peut-être le nœud du problème. Comme beaucoup d’artistes de leur génération, Courting ne semble pas attaché outre-mesure aux étiquettes stylistiques. Un carcan passé de mode pour Murphy-O’Neill, qui développe : «Je peux comprendre que des gens aient envie de préserver les genres musicaux. C’est toujours pratique pour opérer des comparaisons, classer les groupes sous différentes appellations, et ça apparaît parfois logique. Mais le problème, c’est que quand tu te sens à l’étroit dans un style musical, il est difficile d’élargir tes horizons sans que les gens commencent à te trouver bizarres, hors-sujet». On en vient même à se demander si qualifier quelque chose d’«expérimental» a toujours un sens en 2022. Et, là aussi, nos amis élaborent davantage un point de vue qu’on sent perplexe. «J’ai parfois l’impression que beaucoup de groupes vont se mettre à expérimenter de la même façon au même moment, et qu’ils vont tous recevoir la même tape dans le dos d’encouragement par les critiques musicaux. Mais si tout le monde fait la même chose, alors où est l’expérimentation ?», fait remarquer Sean Thomas. Josh Cope (guitare) de poursuivre : «Et souvent ce sont les “expérimentations” les plus chiantes qui se font le plus révérer, surtout quand elles ont déjà été faites dix ans plus tôt. On espère que c’est pas notre cas !».

Sans être un album expérimental, Guitar Music se plaît à explorer les possibilités plus ou moins orthodoxes offertes par les six-cordes – et tente de rendre hommage aux bébés de Fender. Un effort presque anachronique à l’heure où des géants comme Jack White s’imaginent déjà dans une période où les Stratocaster sont laissées au placard. «La guitare est un élément indissociable de l’imaginaire de la rockstar, et personnellement, j’aime bien l’idée d’être une rockstar un peu clichée», se plaît à raconter Murphy-O’Neill qui, en live, délaisse pourtant sa gratte pour un micro, sauf sur un ou deux morceaux. Lui aussi guitariste, Josh Cope complète à son tour : «Et je pense que plutôt que de se dire qu’on ne peut plus rien faire avec cet instrument, on s’est plu sur certains morceaux à le faire sonner de façon inattendue. Comme tout le reste de l’album, en fin de compte !».

Guitar Music se voit donc inauguré par Cosplay / Twin Cities, introduction façon créature de Frankenstein composée d’un patchwork de riffs samplés et samplés encore jusqu’à ne plus ressembler à rien. On retrouve cette même idée au sein d’Uncanny Valley Forever, sommet du LP avec ses huits minutes de tension taciturne mais aussi première pierre du processus créatif de Guitar Music ainsi que piste la plus longue de la courte histoire de Courting. «On trouve même presque inutile de faire un morceau aussi long, parce que ça peut très vite être ennuyant. Mais on a fait en sorte qu’elle ne le soit pas», résument de concert les deux Sean.

Courting (Guitar Music) 2
© Alex Bex

En trente minutes à peine – là aussi la volonté de ne pas faire trop long, et donc bien trop ennuyeux pour l’auditoire néophyte –, ce post-punk qui troque les Dr. Martens 1461 pour les New Balance 990 V3 se pose plus de questions que dans un subreddit pour adolescents. Murphy-O’Neill s’épanche sur ces gens de votre âge qui grandissent plus vite que vous (“All of my friends are getting work done / Fillers, facials, personal trainers / Calvin Klein collaborators / The American Dream” dans Famous, le meilleur single). Sur la notion de niche artistique à l’ère d’Internet (“You took me to see some movie / You don’t know what niche means / ‘Cause you said I’d never heard of it / But everyone’s on letterboxd now” sur cet «essai à la chanson d’amour de teen movie» qu’est Jumper). Sur la célébrité vue par le prisme du XXIe siècle (”Artificial lawn culture / Flattering angles / I say the same thing ten times to illicit a response / There’s nothing I love more than the sound of my own voice” sur cette réinterprétation de Crass, faisant initialement partie de la tracklist de Grand National). Sur l’urbanisme qui déshumanise les villes à petit feu (“So as these car parks get demolished into car parks / Well let’s think of all the places we could park when we were younger” dans la dérangée Loaded et son clip déconseillé aux épileptiques).

Parfois touchant, parfois grinçant, parfois effrayant, mais toujours sincère et surtout, surtout, post-adolescent, Guitar Music place Courting comme chefs de file d’une nouvelle-nouvelle scène britannique kaléidoscopique, en compagnie de The Lounge Society, Home Counties, Talk Show, English Teacher ou encore The Cool Greenhouse. The Sound of Young England, assurément.

Un autre long format ?