A Few Notes EP
Aure
Mayway Records

Chronique : Le silence est d’Aure

"A Few Notes", le premier EP de la Parisienne Aure, file en six titres et pourtant demeure. Un flash où les moyens mobilisés sont inversement proportionnels à l'émotion suscitée.

Quelques notes et les trois voiles qui emporteront les six chansons de l’esquif A Few Notes, et lui conféreront toute sa beauté, se déploient : une voix grave, les cordes en nylon égrenées d’une guitare, le silence. Ce sont des reliefs de chansons, un esquif d’esquisses, aux moyens mobilisés inversement proportionnels à l’émotion suscitée. Ce qu’Aure ne chante pas, ce qu’elle ne joue pas, importent tout autant que ce qu’elle choisit de livrer. De l’âme, les six titres de ce premier disque sont l’écume qui témoigne des amples et troubles mouvements de profondeur. Ils sont des traces, des stigmates, presque des accidents. La lumière qui parviendrait, ajournée, d’astres éteints. “A few notes remain / A picture you took / A few words in my notebook”, chante Aure dans Five Hours, chanson au sein de laquelle elle puise les trois mots qui offrent au disque son intitulé. Ce disque bref trace une infinité de routes (“The road is filled with wonder / Life’s not a straight line and that’s fine”, avance-t-elle en ouverture de The Line, le titre inaugural). Taille des brèches, ouvre des mondes, et pas seulement car il accueille à lui seul trois langues, les mêlant parfois en une même chanson (Todo Lo Que Busco sur laquelle se fichent des émaux de français).

L’essentiel de l’enregistrement, effectué dans une chapelle romane des Cévennes, l’église Saint-Vincent de Cros, a été capté en une heure : la cohérence et l’urgence qui en découlent offrent son épaisseur à ce disque d’une intensité extraordinaire. Le timbre grave d’Aure, la lenteur cotonneuse des chansons, les arpèges déliés de guitare, l’écho de cathédrale intime, la beauté irréductible des paroles : on pense beaucoup, ici, à Sibylle Baier et à son disque unique, Colour Green, enregistré par ses propres moyens au début des années 1970 et sorti plus de trente années plus tard grâce à son fils.

Les chansons d’Aure, manières de journaux intimes, ne nous semblent pas plus destinées que celles de l’Allemande. Mais dès lors qu’on s’y penche et en saisit le pouls, leur poing desserré libère l’infini. Plutôt qu’influence, il convient certainement mieux de parler de sororité, tant ces six chansons ne semblent avoir d’âge, succéder à ou précéder quoi que ce soit mais simplement jaillir et être, se dérouler dans l’instant – brefs et fragiles flashes. Autre sœur possible : Bridget St. John, dont le premier album, Ask Me No Questions, fut capté en une nuit seule, guitare et voix grave, chansons renversantes, par le DJ John Peel à la fin des sixties. Conçu avec l’aide de Piers Faccini pour parfaire certaines paroles en anglais, et d’Ambroise Willaume (Sage, Revolver) pour l’écriture et l’interprétation des arrangements (les chansons invitent ici une basse, là un piano…), ce disque demeure absolument personnel. On n’entend qu’Aure et, une fois le disque tu, on l’entend encore.

SORTIE CD, VINYLE ET NUMÉRIQUE LE 24/11/2023

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