Le Monde réel
Dominique A
Cinq7 / Wagram

Chronique : Dominique A, grand de ce monde

Le très beau quatorzième album de Dominique A est celui d'un artiste concerné, disposé à faire entrer le bas monde dans son art de l'impalpable.

Ça commence tout doucement, par les cordes à peine effleurées d’une contrebasse irréelle, et ça se termine pareillement avec, nous a confié l’artiste, «les mêmes notes en début et fin de disque, pour faire comme une boucle». On ne sait pas si Le Monde réel ouvre une nouvelle voie dans l’œuvre de Dominique A («faire des albums de musique plus que de chansons»), comme il le sous-entend dans le long entretien qu’il nous a accordé dans le trimestriel n°225 à paraître. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il s’agit là d’un disque à part. Du genre qui s’écoute religieusement, les volets tirés, comme pour se couper d’un monde trop bruyant, trop pressé de courir (à sa perte), dont paradoxalement il nous donne des nouvelles. On pense à Laughing Stock de Talk Talk (une influence revendiquée) pour cette capacité à sculpter les sons dans l’espace autour d’une batterie flottante qui emprunte au jazz. On pense aussi à L’Imprudence d’Alain Bashung (influence jadis revendiquée, même trop selon l’intéressé, dans l’album Tout sera comme avant en 2004) notamment quand un piano impressionniste, l’air de rien, prend le lead en introduction de Dernier appel de la forêt, magnifique morceau d’ouverture. On pense encore à Scott 3 de Scott Walker (influence non revendiquée) pour le chant à la fois serein et impérial, porté par un orchestre à cordes et (presque) aucune guitare.

Mais ce quatorzième album est aussi une œuvre qui ne ressemble à aucune autre de par l’histoire qu’elle raconte. Celle d’un artiste naturellement plus porté sur les métaphores, l’impalpable, mais qui doit bien se résigner à prendre en compte ce monde réel qui est aussi le sien. Nous sommes tous dans le même bateau, aujourd’hui ici en 2022, et Dominique A ne rechigne pas à évoquer les menaces qui planent, voire se concrétisent déjà. «Les séismes et les avalanches / Les virus et les incendies / Ça ira, ça va, non merci / C’est assez que la Terre penche», énumère-t-il toujours dans le mémorable titre d’ouverture, quand ailleurs, la poésie semble reprendre le dessus, mais pour illustrer un propos analogue (au hasard : «On se disait c’est long le temps / Puis le temps parla de manquer»).

Car en plus d’être un grand album formel, de mise en scène, pour prendre une métaphore cinématographique (auquel cas, on penserait aux films sensuels, amples mais tournés caméra à l’épaule et donc sans trop de technologie, de Terrence Malick), Le Monde réel est une leçon de songwriting. À écouter idéalement d’une traite, il renferme une collection de chansons qui, si elles se suffisent à elles-mêmes, semblent nous indiquer un chemin. Lequel irait du général au particulier, du monde (réel) à l’intime, comme si c’était au plus profond de chacun que se trouvaient des ébauches de solution – ou une échappée. Après une première partie faisant la part belle aux éléments, quoique malmenés (Désaccord des éléments pour être très explicite, mais aussi le somptueux Les Roches), une seconde nous dit qu’il est peut-être temps, dans un refrain crève-cœur, de «rentrer à la maison» (La Maison) et même, pourquoi pas, de prendre un certain plaisir Au bord de la mer sous la pluie. Seul mais apaisé, dans une ambiance automnale (ou hivernale – Février) qui n’est pas sans rappeler La Fossette (1992), le premier album du Nantais. Une autre boucle de bouclée.

SORTIE CD, VINYLE ET NUMÉRIQUE LE 16/09/2022

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