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I Inside the Old Year Dying
Pj Harvey
Partisan Records

Chronique : dans la langue argentée de PJ Harvey

L'album studio numéro dix de PJ Harvey la ramène dans les parages de l'enfance. Par un sentier enfoui, où le sens des mots échappe parfois, comme l'origine des sons. "I Inside the Old Year Dying" est l'album de la semaine de Magic du 7 juillet 2023.

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Une cloche lointaine, un synthétiseur qui s’alarme et s’éploie en nappes, la voix de PJ qui s’avance. Elle fredonne, timbre haut, comme pour elle-même. Puis le chant survient – c’est le premier bouleversement de ce disque qui en comptera tant. Des éclairs de guitare strient le ciel, le cœur lourd d’une batterie frappe du plus profond de la terre. PJ songe et en même temps clame – c’est une voix intérieure qui habite l’univers. Elle chante puissamment à présent et sa voix s’élève, s’affermit, s’éraille parfois mais sans jamais se départir de ce repli, d’une certaine retenue qui crée une tension, une indétermination. À une porte (Prayer at the Gate, manière d’aube), ainsi commence I Inside the Old Year Dying.

PJ Harvey nous est revenue ; après sept années sans album studio, on accueille le grain familier et mouvant de sa voix, bras grands ouverts. Mais vite, la langue de l’Anglaise prend d’inouïs chemins, glisse comme hors d’elle-même. Ce que l’on prend d’abord pour un trébuchement est une progression sur un sentier enfoui. Comme en le long poème narratif qu’elle publia au printemps 2022, Orlam, elle s’exprime dans le dialecte de son Dorset natal. La langue ancestrale remonte aux temps où la sonorité des mots en épousait le sens, en renfermait des fragments d’âme ; où le bruit du vent, le clapotis de l’eau, le sifflement des oiseaux et les mélodies des hommes participaient d’un même flux impossible à fixer, à distinguer – le chant du monde. Le sens des mots échappe parfois, ainsi que l’origine des sons. Les field recordings qui parsèment le disque (une église, des rumeurs d’enfants…), les notes tirées d’instruments acoustiques, électriques, électroniques se mêlent en une même pâte qui tend à l’épure. Simplicité des mélodies, immédiateté du chant, raffinement de la matière sonore : tout y concourt. En naît le mystère : quand on ne livre que des éclats, des lueurs, la brume s’épaissit tout autour. Après les torrentueux et orchestrés Let England Shake (2011) et The Hope Six Demolition Project (2016), où elle réglait son art sur la marche chaotique du monde, I Inside the Old Year Dying signe le retour de PJ Harvey aux affaires intimes. De White Chalk, chef-d’œuvre publié en 2007, on retrouve ici la voix haute et parfois fragile, la sobriété des décors, les rais de lumière et les ombres sculptées. On retrouve, se demandant comment un dispositif parfois si ténu parvient à les contenir tous, les tourments intérieurs, l’imagination fertile et la mémoire longue de l’artiste britannique.

La langue du Dorset la ramène dans les parages de l’enfance ; elle retrouve le bestiaire sauvage et la lune rousse de ses jeunes années. Les bois touffus, les arbres aux ramures dansantes, la langue argentée de la rivière qui serpente. Ses vagabondages, ses genoux abîmés et ses airs de garçon manqué. Dans ses explorations intimes, PJ sait pouvoir compter sur ses deux vieux amis, Flood et John Parish. Avec eux, elle improvise, taille vives des brèches de hasard, chérit les accidents, cultive la spontanéité. Ces douze chansons brèves et inoubliables filent comme des étoiles et embrassent la nuit – “Go home now love, leave your wandering” («À présent, rentre chez toi mon aimé, délaisse ton errance»), conclut PJ Harvey. Pour notre part, nous choisirons d’y rester.

SORTIE CD, VINYLE ET NUMÉRIQUE LE 07/07/2023

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