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When It Comes
Dana Gavanski
Full Time Hobby

Chronique : Dana Gavanski, la voix qui porte

Sur son deuxième album, la Canadienne Dana Gavanski offre à sa voix ressuscitée une aire de jeu en haute altitude. "When It Comes" est l'album de la semaine de Magic parmi les sorties du 29 avril 2022.

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I Kiss the Night, qui ouvre le deuxième album de Dana Gavanski, vient rappeler quelle lumineuse mélodiste et quelle grande interprète elle est. When It Comes, dans les ciels desquels éclatent de petites bulles irisées de mélancolie douce, progresse au gré des humeurs de Dana. Dans les grands espaces retenus derrière les persiennes de son crâne, ouvert aux vents changeants et attentif aux variations de l’atmosphère, les décors changent. Une fête foraine surgit au détour d’un arpège acide d’orgue ; une fanfare fantasque, rythmée par la pulse d’une caisse claire, passe au loin ; un saxophone fait se lever d’imprévues bourrasques ; des nappes de synthétiseur convoquent le mouvement éternel de la mer et le baume cotonneux de son écume. Les arrangements, minimalistes, valorisent chacune de ces apparitions tonnantes. Dana a troqué sa guitare pour un clavier afin de composer ses nouvelles chansons, d’où la surprise de ce disque où le vocabulaire musical s’étoffe dans un nouvel élan.

Mais ce qui dicte à l’album son chemin, c’est sa voix : joueuse, élégiaque, rêveuse, elle renonce à utiliser le seul langage des hommes et projette dans l’air intranquille des vocalises qui se mêlent aux mots, célébrant ainsi le mystère du monde et refusant à l’auditeur de le confirmer dans quelque direction. La Canadienne a bien failli perdre sa voix, pour de bon. De cette urgence à la retrouver, elle tire le meilleur et se transcende avec une folle ambition, virtuose. «J’ai essayé d’habiter vraiment chaque chanson, lance-t-elle. J’étais à l’écoute de ce qu’elles demandaient pour elles-mêmes, et c’est ce qui m’a sans doute amenée à découvrir d’autres facettes de mes influences musicales.» Parmi celles-ci, une ne se dément pas depuis ses débuts. C’est Aldous Harding. La parenté est évidente à l’écoute du titre The Reaper (la faucheuse, en français), petite caricature stéréotypée des sentiments qui l’ont traversée pendant la crise du Covid. «Cette chanson est un surgissement de mon inconscient qui essayait de se décharger de ses bagages trop encombrants, dit-elle. Elle est arrivée comme ça, sans que je m’y attende. Les mots sont littéralement sortis de ma bouche, malgré moi, pour exprimer ma psyché pendant la pandémie. J’ai beaucoup pensé à la maladie et au deuil. Quand j’écris une chanson, je creuse en profondeur, quoi qu’il en sorte, que je sois prête ou non à l’entendre.»

Dana laisse dialoguer ses émotions personnifiées entre elles dans un délire créatif, presque théâtral, où les sons et les formes prennent vie, autant que les mots. C’est un vrai jeu d’actrice auquel elle se prête, sans jamais tomber le masque. «Je voulais être plus expressive, plus théâtrale, plus courageuse avec ma voix, conclut-elle. Une partie de moi voulait voir comment je pouvais en jouer et jusqu’où je pouvais l’emmener. Je ne suis plus effrayée par elle, comme j’ai pu l’être par le passé. J’étais simplement curieuse de voir où ma voix me porte.» Sa musique, avec un doux entêtement, refuse de toucher le sol. Recelant mille détails dans lesquels se perdre, appelant de multiples écoutes, elle demeure, en ses altitudes, insaisissable. Le mystère, entretenu ou non, exerce sur l’auditeur son pouvoir d’attraction.

Pierre Lemarchand et Alexandra Dumont

SORTIE CD, VINYLE ET NUMÉRIQUE LE 29/04/2022

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