Damien Jurado – Brothers And Sisters Of The Eternal Son

Lorsque l’on entend la voix de Damien Jurado, on devine la supériorité aisée des rêves. On devine également les visages hautains et parfaits de ses pourvoyeurs de mélodies. Car Jurado croit aux forces de l’esprit, à la transmission. Phil Ochs, les réminiscences des premiers Dylan et la silhouette longiligne de Nick Drake se pressent le long des doigts de l’Américain. Chaque accord frappé fait résonner ce patrimoine multiple et magnifique. Il y a quelques années, lorsque Fleet Foxes se faisait adouber par le plus grand nombre, on pensait aux minuscules disques de Damien Jurado. Minuscules à tel point qu’ils en devenaient invisibles. Un parent pauvre que l’on rangeait discrètement dans notre discothèque. On achetait ses disques par fidélité, mais la fidélité façonne peu les grands albums. Injustice envers un artiste doté d’un goût pour la métamorphose tout à fait fascinant, le paradoxe étant que Damien Jurado opère ses changements musicaux au sein d’une culture et d’une identité musicales très fortes. Son dernier papillonnage remonte à un LP intitulé Saint Bartlett (2010). Ce changement décisif, il le doit à une rencontre, celle de Richard Swift. Les deux amis vont bâtir un son prodigieux qui plonge dans les viscères de Jurado pour aller cueillir ce supplément d’âme, ce brin de folie et de fantastique qui sont les valeurs indispensables à tous les chefs-d’œuvre. Saint Bartlett et Maraqopa (2012) sont les deux premières réussites de ce divin duo. Ce nouvel enregistrement – une autre réussite – se nomme Brothers And Sisters Of The Eternal Son. C’est un voyage étrange qui débute comme Bryter Layter (1970) de Nick Drake avant de se muer en vaste odyssée imaginée par le très glam Marc Bolan pour finir comme un limpide morceau acoustique de Neil Young. La culture anglaise vient se confondre dans de grandes plaines d’americana. Une fusion magique… Comme si un vieux juke-box paumé dans un bled quelconque du Texas durant les années 50 se mettait à jouer Space Oddity de Bowie. Damien Jurado nous propose un long plan-séquence rétro, mais dont on ne peut pas identifier la période dans laquelle il s’inscrit. Fort d’une inquiétante familiarité, de classiques instantanés (Jericho Road, Silver Donna, Silver Katherine) et d’un songwriting hallucinant, ce disque de Damien Jurado glisse vers la perfection. En somme, c’est la bande originale idéale du prochain David Lynch ou le parfait accompagnateur d’une lecture d’une bande dessinée de Daniel Clowes. Un LP envoûtant pliant ardemment la moindre réserve.


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