Institution du rock américain, l’infatigable Bob Mould a sorti son deuxième solo album en deux ans. Après l’éclat irisé de Silver Age (2012), Beauty & Ruin confirme la verdeur éternelle de ce pionnier du bruit. À l’épreuve du blind-test, on l’a soumis à cinq références avouées et cinq groupes qu’il a influencés. Affable, charmante et ouverte, la conversation lui permet de revenir sur le mythe fondateur Hüsker Dü. [Interview Étienne Greib].

The Byrds – Eight Miles High

Bob Mould : Il n’y avait pas la moindre ironie ni une once de provocation lorsque nous avons sorti notre reprise d’Eight Miles High avec Hüsker Dü en 1984. Ce 45 tours était une bonne introduction à l’album Zen Arcade (1984). Les premiers LP de The Byrds sont fantastiques, la manière dont les guitares se fondent et s’entremêlent est fabuleuse. Enfant, j’écoutais déjà beaucoup ce groupe, puis je l’ai redécouvert vers vingt ans, à une période où je cherchais à creuser mes racines, à explorer un certain psychédélisme. L’autre jour, David Crosby (ndlr. cofondateur de The Byrds) a donné son premier concert à San Francisco depuis longtemps. Un ami y est allé, je regrette un peu de ne pas l’avoir accompagné. C’est une légende vivante, il faut le voir au moins une fois dans sa vie.

Ramones – 53rd & 3rd

Ce disque a été fondamental, on me l’a offert pour mon seizième anniversaire quand j’étais encore au lycée. J’écoutais alors des formations comme Kiss ou Aerosmith, et inutile de te dire que cette découverte a complètement changé mon rapport à la musique. Les Ramones m’ont ouvert la voie. En 1976, je dévorais le magazine Rock Scene. Non seulement il parlait de Kiss et d’Aerosmith, mais aussi des Ramones et de Talking Heads. J’ai donc lu des articles sur les Ramones avant même de pouvoir entendre leurs albums. Quand je les ai enfin écoutés, c’en était fini de tous les stéréotypes. Tu voyais ces types porter eux-mêmes leur matériel ! Au-delà de leur empreinte sonique, c’est aussi cela qu’ils ont révolutionné à l’époque. Ils ont bouleversé tellement de vies.

Buzzcocks – Autonomy

Autonomy, sur le premier ou le deuxième album des Buzzcocks ? À dix-huit ans, j’ai eu la chance de les voir à Minneapolis dans un club de cinq cents personnes avec Gang Of Four en première partie. J’étais tellement fan que je m’étais mis au premier rang. J’ai passé la soirée à essayer de comprendre ce que fabriquaient Pete Shelley et Steve Diggle, qui se hurlaient mutuellement les changements d’accords, c’était hilarant ! Leur aspect bruyant et mélodique a été une grande influence. Pete Shelley fut l’un des premiers à laisser planer le doute sur sa sexualité dans ses paroles. J’ai gardé sa manière universelle de raconter une histoire. Être gay ne m’a jamais posé de problèmes dans la scène hardcore car nous étions tous des désaxés. Les gens s’en foutaient et je n’en parlais pas à l’époque, c’était un secret de polichinelle. Quand Sugar (ndlr. autre projet de Bob Mould lancé en 1992) est devenu très populaire, j’ai fait mon coming out. Je suis un musicien avant tout, je ne me sentais pas qualifié pour parler de l’homosexualité. Lorsque j’ai commencé à m’investir dans la communauté, il était important d’en revendiquer les valeurs. Ça a été un long chemin, j’ai fait des progrès ces vingt dernières années. (Sourire.)

Black Flag – Six Pack

Tout le monde peut reprendre cette chanson… SST Records était une belle organisation qui nous a beaucoup aidés après que Mike Watt nous ait découverts. Nous avons publié d’excellents disques sur ce label. Hüsker Dü ne rentrait dans aucun schéma connu aux États-Unis. Il n’y avait pas de place pour nous, on a dû la créer nous-mêmes avec les moyens du bord. Les mecs qui gravitaient autour de la scène de Washington DC louaient un entrepôt pour rien et y programmaient cinq groupes par soir. Avant que The Dead Kennedys, Minor Threat ou Black Flag ne commencent à tourner et se refiler les plans, il n’y avait pas d’unité ni d’échanges. Aujourd’hui, la situation semble enfin se débloquer pour rééditer les albums parus sur SST.

Minutemen – Do You Want New Wave Or Do You Want The Truth?

(Il prend un air grave.) Minutemen ? Les mecs les plus gentils que j’aie jamais rencontrés. C’est si triste de perdre des musiciens alors qu’ils n’ont même pas commencé à prononcer la moitié de ce qu’ils avaient à dire (ndlr. le chanteur de Minutemen, D. Boon, a disparu tragiquement dans un accident de voiture en 1985). Nous étions si proches. Quand ils ont su que nous enregistrions le double album Zen Arcade, ils ont voulu faire de même, c’était une saine émulation. Nous avons eu de la chance de tourner ensemble. Ils croyaient tellement en ce qu’ils faisaient.

Pixies – Rock Music

Je n’ai rien à voir avec ça. (Il éclate de rire.) RIEN à voir ! Je les adore, les Pixies sont tellement marrants. Je les ai découverts sur le tard, à l’époque de Doolittle (1989), puis nous avons partagé des affiches ensemble et sommes toujours restés en contact. J’adore le fait qu’ils aient recruté Kim Deal avec cette annonce mythique (ndlr. “Groupe cherche bassiste. Influences : Hüsker Dü et Peter, Paul & Mary”). Ils ont compris et perpétué l’esprit du groupe plus que d’autres. J’ai très envie d’écouter leur nouvel effort, Indie Cindy. J’ai joué avec The Breeders l’an dernier, Kim était en grande forme.

My Bloody Valentine – Sueisfine

Ils sont devenus un tel mythe. Kevin Shields nous cite toujours comme l’une de ses influences principales, ce qui est particulièrement évident sur ce morceau d’ailleurs (la rythmique, le sens de l’harmonie). Lorsque leur dernier album mbv (2013) est sorti, j’ai fait partie de ces personnes qui ont passé la nuit sur Internet à rafraîchir leur page jusqu’à pouvoir l’acheter. Au niveau de la puissance sonore, il est vrai qu’à l’époque de Sugar, notre sonorisateur était particulièrement vicieux, nous jouions vraiment très fort, il n’y avait pas encore de limiteurs. Nous avons dévasté quelques enceintes… Pour en revenir à My Bloody Valentine, c’est une formation merveilleuse, impressionnante. C’était cool d’être signé sur Creation au début des années 90, j’adorais aussi Swervedriver. En ce qui me concerne, je n’ai pas été trop surpris de rencontrer un tel succès avec Sugar, nous étions au bon endroit, au bon moment. Pendant toutes ces années, j’avais travaillé si durement. Grâce à Nevermind (1991) de Nirvana, nous avons enfin pu toucher un public conséquent.

Superchunk – Hyper Enough

Ah, c’est mon batteur Jon Wurster qui joue dessus, n’est-ce pas ? Avec Superchunk, nous nous sommes rencontrés en 1993, à Barcelone, où nous jouions dans le même festival. C’est un groupe pop génial et sous-estimé. Nous partageons désormais la même section rythmique puisque leur bassiste Laura Ballance a eu des problèmes d’audition et ne peut plus tourner avec eux. C’est mon bassiste Jason Narducy qui la remplace. C’est presque normal d’être signé sur Merge Records, on me demande souvent pourquoi ça a pris tellement de temps.
 
Foo Fighters – Dear Rosemary featuring Bob Mould

Encore des types fantastiques, non seulement Dave Grohl, mais aussi Pat Smear. J’étais archi fan des Germs (ndlr. formation cofondée en 1977 par Pat Smear, qui deviendra au milieu des années 90 le guitariste des Foo Fighters de Dave Grohl), c’était donc un honneur de jouer avec lui. On me demande souvent comment Dave Grohl est dans la vie, eh bien, c’est un musicien qui adore jouer et qui s’éclate à faire ce qu’il fait. Il n’y a aucune différence entre son image publique et la personne privée. Il a vraiment été généreux avec moi alors qu’il n’avait pas à le faire. En 1994, nous avons partagé des affiches dans des festivals d’été en Europe avec Nirvana, juste avant la sortie de Nevermind, dont il m’avait donné les démos car j’étais sur la liste des producteurs potentiels. C’est remarquable que Dave ait continué ainsi après ce qui est malheureusement arrivé, ça a dû être lourd à porter. Son éthique et sa personnalité sont rares par les temps qui courent, c’est un privilège d’être son ami.

No Age – Teen Creeps

No Age ! Ces gars sont en train de vivre leurs rêves. Ils ont ouvert ce club à Los Angeles, The Smell, et ils ont fondé un label pour sortir les disques de leurs potes. Ils perpétuent la lignée de SST. Encore plus que leur musique qui a beaucoup évolué, passant d’une interprétation du passé à quelque chose de plus personnel, ils ont créé une scène et la font vivre à leur manière. Nous avons joué ensemble un soir à New York quelques reprises d’Hüsker Dü puis quelques-uns de leurs morceaux, ce fut un très bon moment.

Un autre long format ?