Trente-cinq ans après ses débuts post-Joy Division et dix ans après le huitième album Waiting For The Sirens’ Call, Music Complete, qui marque le retour de Gillian Gilbert aux claviers, est donc le premier disque de New Order enregistré sans son bassiste Peter Hook. Au-delà des révolutions de palais sans danger pour le génie improbable Bernard Sumner et son batteur gardien du temple Stephen Morris, la signature de New Order – plus belle réussite de la philosophie mancunienne Factory selon feu Tony Wilson – sur le label londonien Mute – orphelin de Depeche Mode – ne représenterait-elle pas davantage qu’une simple anecdote ? Entre souvenirs d’un passé héroïque et ressorts de la dynamique du présent, rencontre avec Bernard Sumner, puis impressions de ses camarades Stephen et Gillian.

INTERVIEW Alexandre Cognard & Nicolas Plommée
PHOTOGRAPHIES Nick Wilson
PARUTION magic n°195En cette matinée du 30 juin, la température est déjà élevée. Ce devrait être l’une des plus chaudes journées à Paris depuis cinquante ans. As-tu gardé les shorts que tu portais dans cette session live pour la BBC filmée en 1984 (cf. vidéo ci-dessus) ou dans le clip de Confusion en 1983 ?

Bernard Sumner : Je me rappelle du clip, mais je préférerais oublier. Cet horrible short ! Encore un “fashion faux pas” (ndlr. en français dans le texte). Nous avions tourné la vidéo de Confusion à New York, à la fin de notre tournée américaine, et il faisait extrêmement chaud. Nous avions commencé à filmer vers 7h30 du matin au club Funhouse, avec tous ces danseurs et les DJ Arthur Baker et Jellybean Benitez.

Pour rester sur les souvenirs du passé, nous sommes aujourd’hui aux Bains Douches, où Joy Division a donné son unique concert français le 18 décembre 1979.

Je m’en souviens bien. C’est marrant parce que d’habitude, je ne me rappelle pas de tout. C’était un très bon concert. L’arrière de la scène avec des lignes blanches m’avait marqué. C’était retransmis à la radio (ndlr. dans l’émission Feedback de Bernard Lenoir sur France Inter) et je trouve d’ailleurs que la version de Transmission aux Bains Douches surpasse celle enregistrée en studio car elle capture l’essence du groupe. Elle est plus sauvage et plus rock que l’autre, qui sonne trop aseptisée à mes oreilles. La personne qui a réalisé cet enregistrement a fait du très bon travail.

Music Complete est comme un kaléidoscope de l’entière palette sonore de New Order. Qu’en penses-tu ?

Je suis d’accord. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles il s’intitule Music Complete. Une autre raison est la référence à la musique concrète. Mais chacun peut entendre cet intitulé comme il le veut, à l’instar de tous nos titres. De la même façon, plutôt que d’en délivrer le sens précis, nous laissons les auditeurs se faire leur propre interprétation des paroles de nos chansons. Ils peuvent ainsi interagir avec notre musique, qui devient une sorte d’expérience interactive.

Sur Plastic, tu sembles t’adresser à une personne en particulier quand tu chantes : “You’re so special, so iconic.”

Je reste quelqu’un de très modeste, je ne parle pas de moi ! J’évoque une femme qui pense qu’elle est différente et remarquable alors qu’elle est juste vide à l’intérieur. Les gens ont tendance à imaginer que nos paroles sont autobiographiques, mais elles ne le sont pas. Enfin, parfois elles le sont, mais je vous laisse deviner lesquelles. La plupart du temps, ce sont juste des scénarios imaginaires. Nous écrivons d’abord la musique, et lorsque la composition arrive à un stade excitant au point de m’inspirer, j’emporte l’enregistrement avec moi dans mon studio. Je travaille alors de 18h à 2h du matin sur les voix et le texte en écoutant la musique en boucle, en la laissant me parler d’une manière inconsciente. C’est ma façon de libérer mes perceptions, en écrivant la nuit.Avec une bouteille de vin ?

Bien sûr… Mais pas une bouteille entière, juste de quoi me détendre. J’écris sur mon ordinateur en changeant les arrangements. Je ne sais pas à l’avance ce qui va constituer le couplet ou le refrain. Quand j’arrive à quatre phrases écrites, je m’arrête et me demande à quoi cela pourrait ressembler. Quelle est la signification derrière ces mots ? Deux morceaux du nouvel album ont été réalisés différemment, dont Unlearn This Hatred, que j’avais écrit pour les Allemands de Digitalism. Ils n’ont pas aimé, ou c’était la mauvaise tessiture pour la voix. Résultat, je me suis retrouvé avec ces paroles qui me plaisaient bien. J’ai trouvé ça intéressant de procéder autrement en les proposant au reste du groupe, avec l’aide de Tom Rowlands des Chemical Brothers à la production. C’est très difficile d’écrire des textes au préalable, sans musique, car il n’y a rien sur quoi ancrer les mots. L’autre titre écrit de manière inhabituelle est Stray Dog, sur lequel Iggy Pop chante – enfin, parle.

On a du mal à imaginer Digitalism refuser ton travail…

Ils ne l’ont pas vraiment refusée, mais ils se sont excusés de ne pas pouvoir l’utiliser. Il leur a été répondu qu’il n’y avait pas de mal et que nous allions certainement en faire quelque chose. Nous avons finalement bien fait, Unlearn This Hatred sonne bien je trouve.

Comment procédais-tu avant de pouvoir travailler sur ordinateur ?

Quelle horrible époque… Je me souviens avoir écrit True Faith et 1963 pendant la même session à Londres, où nous avions loué un appartement. La musique était pratiquement finie et nous avions deux platines cassettes. On lançait la première et on chantait nos idées de mélodies vocales sur l’autre tout en écrivant les paroles avec un bon vieux stylo sur des feuilles volantes. Pas très fun !

“Je travaille de 18h à 2h du matin en écoutant la musique en boucle, en la laissant me parler d’une manière inconsciente. C’est ma façon de libérer mes perceptions, en écrivant la nuit.”

Comment s’est passée la rencontre avec Iggy Pop ?

En mars 2014, nous avons reçu un courrier du compositeur Philip Glass pour inviter trois membres de New Order à participer à un concert caritatif au Carnegie Hall, à New York, en faveur de l’organisation Tibet House qui cherche à préserver la culture tibétaine. Les autres musiciens à l’affiche étaient The National, Patti Smith, Iggy Pop, le Scorchio String Quartet et Philip Glass lui-même. L’idée était de faire collaborer tous les artistes. Je trouvais ça génial de jouer avec Iggy et j’avais en tête de l’inviter sur Californian Grass (ndlr. extrait de Lost Sirens, 2013) car je trouvais que ce morceau lui convenait particulièrement. Il l’a fait ! Nous avons même improvisé des espèces de duos sur Love Will Tear Us Apart et Transmission.

Vous n’aviez jamais croisé Iggy auparavant ?

Comme je connaissais un de ses roadies, je lui avais déjà serré la main lors d’un concert il y a bien longtemps. J’ai toujours été un grand fan d’Iggy. Au tout début de Joy Division, la première fois que je suis passé chercher Ian Curtis chez lui pour l’emmener à une répétition, il m’a demandé si j’avais écouté le nouvel album d’Iggy Pop, The Idiot (1977). Il m’a dit que c’était vraiment génial et nous l’avons écouté ensemble, complètement abasourdis par ce disque, au point d’arriver en retard à la répétition. Ian était un grand fan, moi aussi, et tout le groupe adore Iggy.

Parmi les autres invités sur Music Complete, il y a Brandon Flowers, le chanteur des Killers. Ils ont trouvé leur nom dans le clip de notre morceau Crystal. Nous sommes devenus amis par la suite. À chaque fois qu’il joue à Manchester et que je suis dans les parages, je me débrouille pour l’accompagner sur scène. La dernière fois, c’était au mois de mai. J’avais rejoint The Killers sur scène il y a deux ans au festival Lollapalooza à Chicago pour interpréter Shadowplay, et Brandon a joué avec nous en Colombie. Mais c’est difficile d’attraper Brandon. Avec feu James Brown, il concourt au titre de type le plus travailleur de l’industrie musicale ! Il bosse tout le temps, mais nous avons quand même réussi à l’avoir.

COMPLÈTEMENT DÉFAIT

Y a-t-il des invités que vous souhaitiez accueillir sans finalement parvenir à vos fins ?

Non, pas vraiment. La Roux chante sur Tutti Frutti et People On The High Line – elle participe également à Plastic. Nous avons aussi deux autres voix de Manchester : Denise Johnson (ndlr. voix féminine de Primal Scream ou d’Electronic) et Dawn Zee (ndlr. déjà choriste sur Get Ready). Cette dernière est d’origine jamaïcaine, du genre qui n’a pas froid aux yeux. Il ne faut pas trop l’emmerder !

Stuart Price produit Superheated en conclusion de l’album. N’aviez-vous pas un projet de disque ensemble ?

Oui, mais il était trop pris par la production – si je me souviens bien – du troisième album de The Killers (Day & Age, 2008) ainsi que par ses activités de DJ. Et New Order prenait tout mon temps à cette époque, alors cela ne s’est pas fait. La chanson Superheated ne date pas de cette époque, même si elle remonte à quatre ans au moins. J’ai d’abord composé la musique et le refrain, puis Brandon Flowers a écrit le couplet. Mais dans un premier temps, je n’ai pas eu le temps de bien terminer l’affaire. Je n’étais pas très content de ce que j’avais écrit. Quand nous avons enfin pris le temps de tout finaliser, l’apport de Stuart a donné une nouvelle perspective au morceau. Il a joué des claviers additionnels et ajouté quelques arrangements. Il a enregistré les premières parties vocales de Brandon à Londres il y a trois ans. Puis, quand j’ai joué Crystal sur scène avec The Killers à Manchester en 2013, nous avons pris quelques minutes après les balances pour terminer l’enregistrement de la voix de Brandon avec un pauvre appareil portable. Finalement, il a enregistré de nouveau ses parties de chant à Las Vegas puis à Miami. C’est comme une partie de tennis, vous voyez !

New Order est désormais signé chez Mute, le label de Daniel Miller. Dès 1990, pour ses débuts sur scène, Electronic avait ouvert pour Depeche Mode à Los Angeles. Pourquoi New Order et Mute ont-ils tant tardé à se trouver ?

Au Rose Bowl (ndlr. Bernard confond, il s’agissait en fait du Dodger Stadium), j’étais dans l’incapacité de faire quoi que ce soit… J’ai survécu au premier concert mais j’étais “absent” le deuxième soir. Des amis de l’Haçienda à Manchester avaient fait le déplacement. Ils ont eu une sale influence sur moi. J’étais trop corruptible et j’ai traîné avec les mauvaises personnes pour me retrouver complètement défait après le premier concert. Du coup, le lendemain, je n’étais bon à rien. J’avais fait installer un panneau avec inscrit dessus : “Ne me posez aucune question et ne me parlez pas.” Alors que je devais jouer devant 60 000 personnes.

Avec l’âge, tu t’assagis. Je ne tombe plus systématiquement dans le panneau. La première fois que j’ai entendu parler de Daniel Miller, c’était à la sortie de son 45 tours sous le nom de The Normal, T.V.O.D./Warm Leatherette (1978), que j’adorais. Nous nous étions rencontrés plusieurs fois mais nous ne nous connaissions pas vraiment. La signature sur Mute représente un retour à nos racines indépendantes, comme à l’époque Factory. Figure incontournable à la Tony Wilson, mais tout à la fois musicien et producteur, Daniel est plus impliqué que les gens de Warner, notre ancien label. Nous sommes toujours en relation avec Warner, qui gère notre catalogue et contre qui nous n’avons aucun grief.

Mais dans une maison de disques de cette taille, le personnel change régulièrement, alors que Daniel est à la tête de Mute depuis le début. Il est venu nous voir en studio à Manchester trois ou quatre fois pour faire part de ses commentaires sur la progression de l’enregistrement de Music Complete. C’est l’ingénieur du son Craig Silvey qui a mixé la plupart des titres, les autres l’ont été par Richard X et Stuart Price. Quand nous en avions environ seize, Daniel nous a assistés pendant trois semaines pour finaliser le mixage, apportant son regard extérieur et une oreille nouvelle. C’était un travail laborieux, notamment pour moi au niveau du chant, et Daniel a été de bon conseil.

MEXICO

Comment as-tu procédé pour Chapter And Verse, ton autobiographie parue à l’automne dernier ?

Je l’ai écrite avec un ami écrivain, Charlie Connelly. Enfin, c’est un écrivain dont j’avais apprécié deux livres (pas ceux sur le football) et que j’ai contacté. Nous sommes depuis devenus amis. L’éditeur voulait que ce soit seulement mes propos qui soient retranscrits et pas les siens. Nous nous mettions d’accord sur les sujets que je devais aborder, histoire de faire le tri dans ma mémoire et mieux me souvenir. Ensuite, il ne me posait aucune question et ne disait plus rien. Je parlais, je parlais, je parlais pendant deux ou trois heures, et il retranscrivait puis me présentait le résultat. Je corrigeais et éditais si je n’étais pas certain de ce qu’il avait écrit, puis il me présentait une nouvelle version. Ça a vraiment été laborieux, presque autant que de composer un disque. Nous avons mis à profit plusieurs périodes de disponibilité mais la majorité du livre a été écrite au printemps 2014.

Je me souviens qu’il faisait très beau et j’avais plutôt envie d’être dehors. C’est un travail difficile de rapporter des faits précis en évitant de dire des bêtises. Beaucoup de protagonistes sont impliqués, il ne faut donc pas se tromper dans les dates, vérifier, recommencer… Ce n’est pas du tout comme un roman. Je me disais qu’il fallait que j’écrive un livre de toute façon, car je pense avoir eu une vie intéressante. Et c’était le bon moment pour le faire avec New Order en pause. Mais 2014 a finalement été une année très remplie, entre la préparation du nouvel album, la finalisation de Chapter And Verse au printemps, le concert new-yorkais pour le Tibet, la tournée de New Order sur le continent américain, deux semaines de vacances au Maroc en octobre, tout ça avant de terminer Music Complete seulement en mai 2015… Cette année, si je m’écoutais, je ne ferais rien du tout !

Habites-tu encore à Manchester ?

Je suis devenu un homme de la campagne. Après avoir grandi parmi le pire quartier de banlieue de la pire zone urbaine anglaise (qui n’existe plus), j’habite au sud de Manchester, mais pas trop loin non plus des bars et des restaurants du centre-ville. J’aime faire autre chose que de la musique quand je suis chez moi – lire des livres, marcher dans la campagne, faire du vélo, surtout pas aller voir des concerts ou jouer… Je ne vais plus trop au cinéma car le plus proche de ma maison est infecté de cafards ! Un nouveau complexe artistique, Home, qui rassemble cinéma d’art et d’essai, galerie et théâtre, vient d’ouvrir à côté de la place Tony Wilson, pas très loin de l’ancienne Haçienda, mais je n’y suis encore jamais allé. À l’époque, je fréquentais le Cornerhouse, l’ancien cinéma d’art et d’essai. J’apprécie toujours les films étrangers sous-titrés parce que je trouve que c’est un bon compromis entre le cinéma et la lecture.

Irvine Welsh a écrit la biographie qui accompagne la sortie de Music Complete, Douglas Coupland la préface du beau livre de photographies de Kevin Cummins consacré à New Order, et tu as déclaré que si Ian avait vécu plus longtemps, il serait sans doute devenu écrivain. As-tu remarqué que beaucoup d’auteurs réputés, de Bret Easton Ellis à David Peace, apprécient la musique de New Order ?

C’est plutôt flatteur, non ? Je pense qu’ils ont tous grandi avec New Order à l’époque où c’était un bon choix de musique alternative. De nombreuses personnes à travers le monde nous aiment d’une façon très profonde, elles nous disent souvent que nous sommes la bande-son de leur vie depuis l’adolescence. Mais c’est parfois déconcertant, notamment pour les plus jeunes… Comment peuvent-ils connaître New Order ? Ils te répondent que c’est grâce à leur grande sœur ou grand frère, comme c’est le cas pour Brandon par exemple. C’est intéressant de voir comment la musique se propage, c’est aussi l’une des conséquences de la mondialisation. Récemment, nous avons rencontré notre public le plus nombreux et surtout le plus sauvage, environ 65 000 spectateurs à Mexico lors d’un festival. Nous ne savions pas à quoi nous attendre, c’était notre première fois là-bas. À la descente du bus, notre assistante sur place nous a demandé si nous étions bien prêts. On a répondu : “Prêts pour quoi ?” Nous n’avions jamais joué là-bas, nous n’y avons jamais fait de promotion, mais le concert fut incroyable. C’est peut-être ça la raison de notre succès : ni concert, ni promo, ni disque, rien du tout !

PAR STEPHEN MORRIS

Le fidèle

“C’est drôle, j’ai récemment répondu à des questions pour un documentaire suédois sur le « motorik beat », marque de fabrique du groupe allemand Neu!, et ça m’a rappelé une fois de plus à quel point New Order a toujours été dysfonctionnel. Batteur et bassiste ont beau former une association fondamentale dans un groupe, personne ne m’a expressément consulté pour le remplacement de Peter Hook, le seul bassiste (hors Tom Chapman chez Bad Lieutenant) avec qui j’avais jamais joué sur scène de façon régulière jusqu’à son départ. Tom a quand même dû passer une audition en même temps que d’autres candidats pour rejoindre New Order. (Sourire.)

C’est assez facile de jouer avec lui, mais de toute façon, je ne suis pas du genre à me plaindre des bassistes qui m’accompagnent, je suis assez souple à ce niveau-là. Notre signature sur le label Mute ? J’avais aimé et acheté le 45 tours T.V.O.D./Warm Leatherette (1978) de The Normal à l’époque. Il ne déparait pas entre Joy Division et Cabaret Voltaire, mais comme j’ignorais que son auteur s’appelait Daniel Miller (ndlr. le fondateur de Mute), je n’ai pas fait le rapprochement. Ça semble rétrospectivement évident que Tony Wilson avait dû nous présenter dès les années 80. Dans le même genre, j’ai beau avoir très vite apprécié LCD Soundsystem, où je retrouvais certaines des qualités de New Order, j’ai réalisé seulement a posteriori que les disques que j’achetais pour les jouer pendant mes DJ sets – ceux de The Juan MacLean ou Museum Of Love par exemple – étaient le plus souvent édités par le label de James Murphy, DFA !

L’aînée de nos deux filles joue des claviers dans un quatuor, Hot Vestry, et sort avec le batteur – tiens, ça me rappelle quelqu’un. (Sourire.) Mais le batteur en question joue bien mieux que moi à son âge, c’est vexant. Nous leur avons donné de bons conseils pour éviter les erreurs classiques d’une formation débutante, mais ils n’en ont fait qu’à leur tête, alors grand bien leur fasse. J’écris aussi un livre en ce moment. J’ai bien sûr lu ceux de Peter Hook et Bernard, ne serait-ce que parce que je suis l’un des personnages principaux dans une partie de ce qu’ils racontent. Mais le mien, sans faire abstraction de New Order ou Joy Division, se veut davantage une description de notre époque pour évoquer les bouleversements musicaux apparus depuis mes débuts dans un groupe.

Ce ne sera ni une autobiographie, ni la biographie des différentes formations dont j’ai eu la chance de faire partie. J’avais d’abord en tête d’écrire un roman, mais ça s’est avéré bien trop compliqué pour une première tentative, alors j’ai renoncé. Je vais me contenter de livrer ma part de vérité pour cette fois-ci, et le prochain livre sera bel et bien un roman. Bernard a quand même essayé d’échanger par email avec Peter Hook, dont je n’ai pour ma part aucune nouvelle. L’an dernier, nous étions avec Gillian au festival gallois No. 6, à Portmeirion (ndlr. le village de la série télévisée Le Prisonnier), où Peter jouait avec son groupe. Il avait l’air de bien s’amuser à passer de Joy Division à New Order sur scène, mais nous ne sommes pas restés. Nous avons préféré aller manger.” Propos recueillis par NP

PAR GILLIAN GILBERT

La discrète

“Je n’ai plus fait partie de New Order pendant toute la décennie 2000 pour m’occuper à plein temps de notre fille cadette, atteinte d’une maladie de la moelle épinière (ndlr. une myélite transverse) au point d’être incapable de marcher. Après de longues années de traitement, elle a pu renouer avec une enfance quasi normale et veut comme beaucoup d’ados de son âge être chanteuse. Tilly, sa grande sœur de dix-neuf ans, joue dans Hot Vestry depuis quelques années. Le premier single est sorti sur O Genesis, le label de Tim Burgess (The Charlatans), mais j’ai longtemps été l’unique roadie de ces quatre (trop) jeunes gens, pas encore majeurs et sans permis pour pouvoir assurer leurs premières dates de concerts !

Avec Steve (ndlr. Stephen Morris), nous avons un petit studio d’enregistrement qui sert de local de répétition à New Order. Pendant ma “retraite”, c’était dur d’entendre jouer depuis mon salon le groupe dont j’avais toujours fait partie depuis 1980, après avoir commencé par suivre Joy Division dès 1978 (j’ai même accompagné Ian et les autres sur scène une fois). Après la maladie de notre fille, New Order n’a pas vraiment eu le temps de revenir au premier plan de mes préoccupations. En 2007, on m’a diagnostiqué un cancer du sein, alors il fallait d’abord rester en vie. Heureusement, dès la fin de la décennie, nous avons pu reprendre une existence normale.

Steve est parti en tournée avec Bad Lieutenant après plusieurs années d’inactivité et j’ai été sollicitée par un binôme electro trance anglo-canadien, Koishii & Hush, pour écrire une chanson. J’ai fini par m’y mettre avant de reprendre du service avec New Order, ça va sortir d’ici la fin de cette année. Avec New Order, il a d’abord été simplement question en 2011 de quelques concerts pour payer les frais d’hospitalisation de Michael Shamberg, mais de fil en aiguille, je me suis laissée reprendre au jeu jusqu’à faire toute une tournée avec deux nouveaux membres. J’avais beau avoir déjà rencontré Phil Cunningham depuis dix ans, ça restait étrange de retrouver le groupe sous ce nom avec de nouvelles personnes.

Même si j’ai joué de tous les instruments – sauf la batterie qui reste le domaine réservé de Steve – sur les disques de The Other Two (The Other Two & You en 1993, Super Highways en 1999), et même si la basse est supposée être un instrument féminin, je préfère les claviers, voire la guitare. Tom Chapman n’a donc rien à redouter de moi, contrairement à Phil recruté pour me remplacer – à lui de faire attention. Avant d’être un essai théorique sur l’état actuel de la musique, ce que Steve m’a permis de découvrir du livre qu’il termine actuellement est d’abord très drôle, à son image dans la vie quotidienne.

Je comptais aussi écrire ma propre version des faits, mais mon père est décédé en 2012 (alors que nous avions un concert à assurer d’ailleurs). Dans ces moments-là, tout devient flou, du coup je ne m’y suis pas encore mise et ça ne sert à rien d’en parler à ce stade, c’est encore à l’état de projet. Je peux juste déjà prévenir qu’il n’y aura pas d’anecdotes croustillantes. (Sourire.) Pourtant, j’en ai eu mon compte, ça c’est sûr. Être une femme en tournée avec des hommes pendant deux décennies se révèle une position privilégiée pour avoir des choses à raconter plus tard, mais je ne suis pas une cafteuse qui cherche à faire son intéressante. Ce qui se passe en famille avec New Order reste dans la famille New Order… et ne doit pas non plus être confondu avec la vraie vie de famille que l’on mène avec Steve. (Sourire.)” Propos recueillis par NP

Un autre long format ?