Barzin photographié pour "Voyeurs in the dark", 2022
Barzin photographié pour “Voyeurs in the dark”, 2022

Barzin Hosseini, dit Barzin, a fait paraître le très beau "Voyeurs In The Dark" ce printemps. Il détaille son processus créatif pour "Magic".

Le songwriter canadien d’origine iranienne Barzin Hosseini fait partie de cette catégorie d’artistes qui pratiquent une révolution de leur musique dans le détail. Voyeurs In The Dark, après neuf longues années de silence, est, dans sa discographie proche de l’exemplarité, un tournant crucial et majeur, de ces albums qui marquent un avant et un après dans une carrière.  Barzin Hosseini s’est prêté avec humilité à l’éclairage de ses chansons au climat nocturne.

Barzin, tu reviens avec Voyeurs In The Dark, quatrième album en plus de 25 ans de carrière. Neuf années séparent To Live Alone in That Long Summer de Voyeurs In The Dark. Tu nous avais habitué à prendre ton temps entre chaque disque mais comment expliques-tu une absence aussi longue ?

Barzin Hosseini : Cela fait vraiment neuf ans ? Où le temps passe-t-il ? Je me tenais assez occupé en travaillant sur plusieurs projets différents. J’ai composé les bandes sonores de deux films différents. L’un s’appelait Viewfinder et l’autre The Shadow of My Life. C’était une expérience très enrichissante. J’ai également produit un album pour un merveilleux artiste nommé Set Feux. Cet album sortira l’année prochaine. J’ai également travaillé sur un nouveau recueil de poèmes, que j’ai finalement terminé. Et enfin, j’ai décidé d’apprendre l’art de la psychanalyse. J’ai passé les sept dernières années à l’étudier intensément. 

Kurt Wagner de Lambchop me disait en interview en aparté que, le jour où il avait compris qu’il pouvait se débarrasser de son côté control freak, c’était par le biais du concert et du rapport au live. Il m’expliquait qu’une chanson continue de grandir et de s’épanouir malgré vous sur scène.  Qu’en penses-tu  et y a-t-il chez toi une dimension perfectionniste, une difficulté à mettre un terme au processus créatif ?

Barzin Hosseini : J’associe le perfectionnisme au contrôle. Il est donc très difficile de renoncer à ce contrôle. Dans un monde imprévisible comme le nôtre, je pense que nous nous orientons de plus en plus vers des activités qui nous procurent un sentiment de sécurité et de contrôle. En fait, je me suis beaucoup intéressé à tous les rituels que nous avons dans nos cultures et qui nous donnent l’illusion que nous avons le contrôle. Si vous regardez les rituels religieux, c’en est une forme. C’est vraiment juste de la pensée magique. Vous croyez que si vous accomplissez ces tâches, vous serez protégé. Ce n’est pas vraiment différent de quelqu’un qui doit éviter de marcher sur les fissures du trottoir ou de quelqu’un qui doit se laver les mains 50 fois par jour. 

J’ai vu des artistes et des groupes entrer en studio et enregistrer une chanson en trois ou quatre prises, et ils avaient l’impression que s’ils continuaient à la travailler, ils en tueraient l’énergie. Je ne suis pas comme ça.

Barzin

Lorsque je travaillais sur mon nouveau disque, une partie de mon désir était d’abandonner le contrôle et de laisser les choses aller où elles voulaient. L’imperfection a quelque chose de séduisant, mais il est difficile de la mettre en pratique, car il faut savoir quand il est temps de s’éloigner de quelque chose. Lorsque l’on recherche la perfection, il y a toujours le risque de travailler sur quelque chose encore et encore, au point d’en aplanir les bords et de le rendre trop poli. Cela peut tuer les choses. Mais le revers de la médaille, c’est que vous pouvez vous éloigner d’une œuvre d’art trop prématurément. Je pense donc qu’il s’agit d’un exercice d’équilibre très délicat.

Je crois en l’Art. Je crois que pour réaliser quelque chose de valable, il faut du temps et beaucoup d’efforts. Beaucoup de gens ne seraient pas d’accord avec moi. J’ai vu des artistes et des groupes entrer en studio et enregistrer une chanson en trois ou quatre prises, et ils avaient l’impression que s’ils continuaient à la travailler, ils en tueraient l’énergie. Je ne suis pas comme ça. J’enregistrerai une chanson 26 fois si nécessaire. J’enregistrerai un album entier trois fois si je sens que je dois le faire. 

Barzin en 2022 pour “Voyeurs in the Dark”

Si je te dis qu’à l’écoute de ce disque, on a le sentiment de découvrir un tout autre artiste, en particulier dans les arrangements et les orchestrations. Je pense à l’utilisation des instruments à vent comme le saxophone de Joseph Shabason. Tu nous avais habitué à un minimalisme plus monochrome alors qu’ici, le disque semble plus coloré. Reconnais-tu Voyeurs In The Dark dans cette description ?

Barzin Hosseini : Je suis heureux que tu penses cela. C’est gratifiant de constater que l’on est compris dans cette volonté de rupture avec les disques précédents. C’était l’un de mes objectifs, essayer de m’éloigner de ce que j’avais fait dans mes précédents travaux tout en restant fidèle à moi-même. J’ai toujours aimé le minimalisme, et chaque fois que je peux le faire dans mes chansons, j’adopte cette approche. Mais je pense que pour ces chansons, il y avait un peu plus de place pour permettre aux arrangements et aux instruments d’être plus complets et plus colorés, comme vous le décrivez. 

Si je vous dis que l’on a l’impression de disque en disque et plus précisément depuis To Live Alone in That Long Summer que tu t’éloignes du minimalisme et du folk, es-tu d’accord ?

Barzin Hosseini : J’ai toujours aimé l’intimité que l’on peut atteindre grâce au minimalisme. Si je pouvais m’en sortir en faisant un disque avec juste ma voix et une guitare, je le ferais. Mais les dieux de la musique ont d’autres plans pour moi. Sur ce disque, j’ai l’impression d’avoir essayé de m’éloigner de l’esthétique minimaliste. Mais j’ai le sentiment que je vais probablement y revenir à l’avenir. J’ai besoin de beaucoup d’espace dans ma vie. J’en ai besoin pour réfléchir mais aussi pour traiter la musique. Ce besoin d’espace, que j’assimile au minimalisme, semble presque faire partie intégrante de ma psyché.

Tu es souvent critique sur tes disques passés en disant haut et fort avoir commis certaines erreurs. Quelles seraient ces erreurs et quelles réponses as-tu trouvé pour ne pas les reproduire sur Voyeurs In The Dark ?

Barzin Hosseini : La façon dont j’ai abordé cet album m’a valu beaucoup de problèmes. J’ai essentiellement écrit et enregistré cet album sans qu’un groupe soit présent en même temps dans le studio pour jouer. C’était plus comme un puzzle. Par exemple, j’enregistrais les chansons en jouant sur une boîte à rythmes, puis je les apportais à mon batteur pour qu’il ajoute de vrais tambours, et ensuite à mon bassiste, etc….. Lorsque vous enregistrez tout avec un groupe de musiciens, il y a une sensation qu’il est difficile de recréer séparément. Tout le monde réagit les uns aux autres et une certaine magie se forme. Lorsque vous enregistrez de manière aussi compartimentée, vous risquez de perdre la sensation et l’énergie de la chanson. J’ai donc eu beaucoup de mal à recréer la sensation d’un groupe de musiciens jouant les uns avec les autres tout en les enregistrant séparément.

Sur Voyeurs In The Dark, comme pour To Live Alone in That Long Summer, vous parlez de la ville mais une ville nocturne et endormie. Pourquoi cette obsession et peut-on y percevoir un écho de ces villes confinées durant le COVID 19 ?

Barzin Hosseini : La tension entre la ville et la nature se manifeste en moi depuis mon adolescence. Quand j’étais plus jeune, j’étais beaucoup plus attiré par la nature et la vie à l’écart de la ville, mais cela a changé pour moi en vieillissant. Depuis, je vis au cœur de la ville et j’en retire beaucoup de bénéfices. J’aime me promener dans la ville en tant qu’observateur. Il y a tellement de choses qui vous tombent dessus d’un seul coup. Vous passez votre porte et vous êtes frappé par tant de choses. J’aime et je déteste cette ville qui me laisse des sentiments si contradictoires. Mais parce qu’elle peut être une source d’inspiration si riche, je me retrouve à y retourner encore et encore.

J’aimerais te citer ces mots de Joseph Conrad dans Au Cœur Des Ténèbres, citation que tu as d’ailleurs déjà proposée en interview : « … Non, c’est impossible ; c’est impossible de faire partager la sensation de vécu de n’importe quelle période donnée de notre existence – ce qui en fait la vérité, la signification – son essence volatile et pénétrante. C’est impossible. On vit comme on rêve – seul. » En quoi ces mots résonnent-ils dans ta musique et, face à ce constat, créer devient-il un acte illusoire et vain ?

Il y a en nous un désir de parler de nos expériences à un autre être humain. C’est presque comme un besoin de l’espèce, de la même manière que nous avons besoin de manger et de boire. 

Barzin

Barzin Hosseini : Il y a plusieurs choses différentes qui me viennent à l’esprit. L’une d’elles est ma conviction que notre tentative de transmettre nos expériences restera toujours une approximation. Nous ne serons pas capables de les capturer entièrement, et même si nous le pouvions, je ne sais pas si les autres les comprendraient parfaitement. Malgré cela, nous continuons à le faire. Il y a en nous un désir de parler de nos expériences à un autre être humain. C’est presque comme un besoin de l’espèce, de la même manière que nous avons besoin de manger et de boire. 

Le sentiment d’être une entité distincte peut nous donner l’impression d’être seuls au monde, et je crois que c’est la raison pour laquelle le concept de Dieu est si rassurant pour tant de gens. Il supprime le sentiment d’être complètement seul dans cet univers. Mais je pense qu’une autre façon de combattre cette solitude est d’essayer de communiquer avec les autres en parlant, en écrivant, en créant, etc….. Cela nous connecte aux autres et nous permet de nous sentir moins seuls et moins séparés.

Et j’ajouterais que cela nous aide à sentir que nous sommes “connus” par quelqu’un d’autre. Même si c’est une illusion, sentir que nous nous sommes exprimés et que nous avons été compris par un autre être humain est un sentiment très puissant.

Barzin pour “Voyeurs in the Dark”

Jusqu’à présent, on sentait dans la musique de Barzin une dimension plus sensuelle, plus sensible également. Sur Voyeurs In The Dark, on sent chez toi une volonté de te confronter à plus d’abstraction, à mettre plus à distance les sentiments, à aller chercher dans le concept plus que dans le sentiment. Comment expliques-tu cette évolution ?

Barzin Hosseini : Comment expliquer ce que j’essayais de faire ? Eh bien, la première chose que j’essayais de faire était d’être instinctif et de laisser mon inconscient me guider. Je ne voulais vraiment pas savoir ce que je disais ou faisais. Ce n’est que maintenant, une fois l’album terminé, que je sens que je peux prendre du recul et voir ce que j’ai créé. C’est comme jeter de la peinture sur une toile sans trop y penser, puis prendre du recul pour voir ce que vous avez réellement créé.

Cela dit, j’ai essayé de suivre certaines règles. La première est de ne pas savoir. Je ne voulais pas comprendre ce que je disais. L’autre était que je voulais atténuer un certain type d’émotion que j’avais exploré dans mes précédents albums. Pour reprendre l’exemple de la peinture, j’avais l’impression d’avoir utilisé beaucoup de bleu dans mes peintures jusqu’à présent. Donc, à chaque fois que j’utilisais cette couleur, j’essayais de m’arrêter et d’en choisir une autre.

Pourrions-nous attarder sur la pochette ? Peux-tu nous la décrire et quel sens percez-vous dans ce dessin ?

Barzin Hosseini : L’illustration a été réalisée par l’artiste montréalaise Melsa Montagna. Pour dire les choses simplement, je pense que son image a capturé ce que j’essayais de faire avec l’album, c’est-à-dire donner une voix aux différentes parties de moi-même. Sur l’image, tu as trois personnages qui sont attachés à un seul corps. C’était une image appropriée qui représentait l’idée d’être plusieurs moi dans un seul corps.

A l’écoute de ce disque, on a une étrange impression persistante, celle de te voir te libérer. On sent confusément que ce disque est une étape importante dans ta discographie.

Barzin Hosseini : Je suis d’accord. J’aime que tu utilises le mot “se libérer”. Et j’ajouterais aussi que j’avais l’impression d’essayer de détruire quelque chose. Je pense que j’essayais de détruire ce que j’avais construit jusqu’à présent. Je voulais m’éloigner d’une certaine esthétique que j’avais poursuivie pendant si longtemps.

Je pense que l’une des belles choses dans le développement d’une forme d’art, quelle qu’elle soit, est que vous entamez un dialogue ou une conversation avec vous-même. Vous créez une chose, puis vous prenez du recul, vous la regardez et vous voyez comment vous auriez pu la faire différemment, alors vous en faites une autre, et une autre, et une autre. Chaque pièce que vous créez est comme un appel et une réponse à une question qui a été posée par la pièce précédente. Le processus se poursuit et, avant même que tu t’en rendes compte, tu disposes d’un corpus d’œuvres assez important.

Ce que j’aime dans la pratique de l’art, c’est cette conversation privée que l’on développe avec soi-même, et parfois on arrive à un moment de la conversation où l’on veut simplement détruire tout ce que l’on a créé. Vous ne le détruisez pas par haine, mais parce que vous pouvez le faire. Vous avez construit un monde imaginaire à partir de vos objets internes, et vous avez le pouvoir de changer les règles. Avec cet album, j’ai essayé de changer les règles que je m’étais fixées. Je me suis rendu compte que j’étais en train de devenir prisonnier de mes propres règles. La conversation que j’avais avec moi-même commençait à devenir un peu trop répétitive. Il était donc temps de la changer.  

L’instrumental Distant Memories en surprendra plus d’un parmi les gens qui connaissent tes travaux passés. Penses-tu à l’avenir aller plus vers une musique sans paroles et que trouves-tu dans cette musique instrumentale que tu ne trouves pas dans la musique accompagnée de mots ?

Barzin Hosseini : J’espère faire un jour un album instrumental. Je ne pense pas en être encore là. Mais j’ai vraiment apprécié de travailler sur des bandes originales, et j’espère pouvoir continuer à faire des projets de ce genre.

Qu’est-ce que le voyeurisme pour toi, Barzin ?

Barzin Hosseini : Le terme “voyeurisme” est souvent associé à des personnes qui éprouvent une sorte de plaisir sexuel en espionnant les autres. Je crois que le terme utilisé pour les désigner est “voyeurs“. Mais ce n’est pas ainsi que je voulais utiliser ce terme pour cet album. Je ne voulais pas que ce terme ait uniquement une connotation sexuelle. Je crois en effet que nous éprouvons beaucoup de plaisir à regarder, tout court. Je pense que tout le monde est d’accord pour dire que nous vivons aujourd’hui dans une culture voyeuriste dans le sens où nous regardons tous la vie des autres à travers nos ordinateurs et nos téléphones.

L’acte de regarder vers l’intérieur est associé à toute personne qui essaie de se comprendre. Et puis il y a le fait de se tourner vers l’extérieur, vers l’univers, afin de trouver un sens.

Barzin

Pour moi, c’est très intéressant, et je suis curieux de voir comment cela nous change. Mais je m’intéresse aussi à l’acte de regarder à la fois vers l’intérieur et vers l’extérieur. L’acte de regarder vers l’intérieur est associé à toute personne qui essaie de se comprendre. Il s’agit de se tourner vers l’intérieur, vers le mystère de soi, afin de comprendre. Et puis il y a le fait de se tourner vers l’extérieur, vers l’univers, afin de trouver un sens. Ces deux actes sont une forme de regard dans l’obscurité. Vous ne pouvez vraiment rien voir avec vos yeux, et pourtant l’envie est là de continuer à chercher.

Dans Voyeurs In The Dark, vous dites :

Tu es resté près de la beauté

pour te laver

Mais peut-être que le salut

ne vient que

que par la souffrance

Nous sommes tous

des voyeurs dans nos cœurs

Nous sommes tous

Des voyeurs dans l’obscurité

En quoi la beauté peut-elle nous laver et en quoi le salut peut-il venir de la souffrance ?Comment peut-on être également des voyeurs de son propre cœur ?

Barzin Hosseini : Je pense que j’ai vécu avec l’illusion que la beauté pouvait me transformer en quelque chose de plus que ce que je suis. Elle a détenu un pouvoir magique dans mon imagination, comme la chose qui peut effacer tout ce que j’ai fait de mal. Certaines personnes vont à l’église pour se faire baptiser, et j’ai décidé d’aller à l’église de l’art pour renaître. Dans mon esprit, la beauté et l’art sont étroitement liés. J’ai donc senti que je devais rester proche de l’art autant que possible. C’est comme quelqu’un qui doit rester proche du Livre saint. On a le sentiment que si l’on reste près de lui et que l’on absorbe son contenu, il nous changera.

J’ai donc créé une vie où je me suis immergé dans l’art. J’ai mangé et bu de l’art – livres, musique, films, etc… J’en ai fait ma religion. Mais j’avais beau me sacrifier sur l’autel de l’art, je ne me sentais pas transformé par celui-ci. Me tenir près de la beauté ne semblait pas me transformer en or. Je suppose que ce dont je parle, c’est du désir de changement. Comment devient-on quelqu’un d’autre ? Pour moi, l’art n’a pas apporté le niveau de transformation que je recherchais. Et c’est là que la souffrance entre en jeu.

La souffrance peut être une expérience profondément transformatrice, à condition de pouvoir y survivre. Je ne veux pas romancer la souffrance, car elle peut être très douloureuse. Certaines personnes en sont détruites. Mais j’ai aussi vu comment les expériences les plus douloureuses de ma vie, où j’ai immensément souffert, ont été véritablement transformatrices. C’est pourquoi j’ai mis ces deux choses côte à côte. L’art et la souffrance comme agents de changement.

Composer et créer comme tu le fais, c’est se révéler aux autres et quelque part participer à cet acte de voyeurisme universel non ?

Barzin Hosseini : C’est très vrai. Non seulement je suis un voyeur, mais je suis aussi un exhibitionniste. Je ne vais pas le nier. Je pense qu’au fond de moi, je veux être “vu” comme tout le monde. J’ai un grand désir de me retirer du monde, mais dans ce retrait se trouve le désir de se souvenir, c’est-à-dire d’être retenu dans l’esprit d’une autre personne. C’est pourquoi les lignes : “To Be Missed In the End” sont très importantes pour moi. Je pense qu’au fond de nous-mêmes, nous avons tous le désir d’être regrettés à la fin.

C’est dans les petits détails que l’on perçoit tout ce qui a changé dans votre manière d’écrire, un titre comme Knife In The Water semble très abstrait, comme des visions hallucinées. Qu’en penses-tu ?

Barzin Hosseini : J’aime vraiment ce titre. Je l’ai trouvé dans le premier film de Roman Polanski, Le Couteau dans l’eau sorti en 1962. Je crois que la façon dont il utilise ce titre évoque davantage la perte de la masculinité, mais ce n’est pas ainsi que je voulais l’utiliser. Je trouvais que l’image était tellement puissante et forte qu’elle pouvait se prêter à d’autres interprétations.

Sur ce disque, il est beaucoup question de maisons en feu mais aussi d’un regard que vous poseztu ses sur ce qui vous est extérieur alors que jusqu’ici vous étiez plus dans quelque chose qui relevait de l’introspection. Tu y parles du regard. Pas surprenant de voir un titre s’appeler Watching. Le mouvement de ta réflexion semble tendre vers “l’autre”, plus que par le passé, non ?

Barzin Hosseini : Le feu est un élément purificateur et nettoyant. Il est souvent associé à la renaissance. Comme je l’ai déjà mentionné, j’avais le désir de donner naissance à d’autres aspects de moi-même à travers cet album. Quelle meilleure façon de le faire que de brûler sa maison pour en ériger une nouvelle à la place ? 

Le thème de l’identité m’a préoccupé toute ma vie.

Barzin

Comme l’un des thèmes centraux de cet album est “regarder“, je ne voulais pas qu’il soit uniquement axé sur le regard intérieur. J’ai aussi pensé qu’il était important de regarder vers le monde extérieur. En psychanalyse, le concept de reconnaissance de “l’autre” est très important. On peut dire qu’une grande partie de notre développement en tant qu’êtres humains consiste à passer de notre vision du monde fermée sur elle-même, qui se préoccupe surtout de nous-mêmes, à la reconnaissance de “l’autre“. Le fait de “voir” et de reconnaître réellement un autre être humain est une réussite sur le plan du développement. Cela peut sembler simple, mais beaucoup d’entre nous ne voient pas les autres. Nous projetons nos propres trucs sur les autres, et souvent, nous ne voyons pas vraiment l’autre personne. Nous le voyons comme une extension de nous-mêmes. Il nous incombe donc de nous efforcer de voir la subjectivité et la séparation des autres.

Comment expliquez-vous ces paroles que l’on entend dans I Don’t Want To Sober Up ? 

There was a stranger lying on my bed

but I was dreaming of someone else

who’s tongue is in my heart

don’t wanna sober up

Barzin Hosseini : Quand j’écrivais les paroles de cette chanson, je lisais ce  livre de Brett Kahr intitulé ” Who’s Been Sleeping in Your Head ?” C’est un livre sur les fantasmes sexuels. Il est constitué d’une collection de lettres que des personnes ont envoyées à l’auteur et dans lesquelles elles parlent très ouvertement de leurs fantasmes sexuels. C’est un livre qui ouvre les yeux, car il révèle que de nombreuses personnes pensent et fantasment sur quelqu’un d’autre que la personne avec qui elles sont. En fait, ils s’imaginent qu’ils ont des relations sexuelles avec quelqu’un d’autre alors qu’ils sont avec leur partenaire. J’ai été intrigué par cette idée de ce que c’est que d’être avec une personne tout en imaginant qu’elle est quelqu’un d’autre. Lorsque j’ai écrit cette chanson, j’ai essayé d’occuper cet état d’esprit. Je voulais incorporer cette façon d’être au monde dans la perspective dans laquelle j’écrivais. Mon but avec cette chanson était d’écrire à partir d’une partie qui m’était étrangère. C’était une bonne accroche pour m’emmener loin de moi-même vers une autre façon d’être et de vivre le monde.

Peux-tu nous parler de ton enfance? D’où vient ce nom, Barzin Hosseini ?

Barzin Hosseini : J’ai grandi en Iran jusqu’à l’âge de neuf ans, puis j’ai déménagé au Canada. Il y avait beaucoup de liberté dans ma vie en Iran. J’étais libre d’explorer et de courir avec mes amis après l’école. J’ai de beaux souvenirs de mon enfance en Iran. Malheureusement, comme des millions d’autres personnes, j’ai dû quitter ce pays à cause de la révolution qui s’y est déroulée et de la guerre qui a duré près de dix ans.

Y a-t-il chez toi une forme de complexe de l’émigré ? 

Barzin Hosseini : Le thème de l’identité m’a préoccupé toute ma vie. Lorsque j’ai déménagé en Amérique du Nord, alors que j’étais un jeune adolescent, j’ai vraiment essayé de m’intégrer à la nouvelle culture. J’ai dû apprendre une toute nouvelle langue, ainsi que les coutumes de ce nouveau monde. Je pense que cela a créé une scission en moi, où une partie de ma connaissance profonde de moi-même était liée à la langue et à la culture de l’Iran, et une autre partie était formée autour de la nouvelle langue et de la nouvelle culture dans lesquelles je vivais. Ce sentiment de basculement entre ces deux mondes est quelque chose qui est toujours présent en moi, et je pense que c’est l’une des principales raisons pour lesquelles je m’intéresse à la fluidité et à la malléabilité du soi/de l’identité. Ce thème de l’identité est également lié à celui de la maison. J’ai une idée de ce que signifie se sentir chez soi qui est liée au fait d’être iranien, et le même sentiment s’applique à la vie au Canada. Mais à cause de cette division, je ne pense pas me sentir vraiment chez moi dans ces deux pays. Il y a une phrase à laquelle je pense en ce moment. Je ne me souviens plus qui l’a écrite. 

Elle dit : “La maison n’est qu’une photographie accrochée à mon mur.”

On sent dans ce disque une volonté de ta part d’exprimer une multitude d’identités présentes en toi. Qu’en penses-tu ?

Barzin Hosseini : Absolument. Cet album était ma tentative d’essayer différents moi. Si, dans tous mes albums précédents, j’essayais d’écrire à partir d’un endroit que je croyais être mon moi authentique, j’ai fait une tentative consciente d’écrire à partir d’un endroit différent. Ce n’est pas que j’essayais d’écrire à partir d’un endroit inauthentique, il s’agit plutôt d’accéder à des parties de moi-même que j’avais jugées comme n’étant “pas moi“. J’essayais de rassembler toutes les parties “pas moi” de moi-même et de les réunir. Il est difficile de savoir comment on reconnaît ces parties de soi “pas moi“, alors j’ai essayé de naviguer en utilisant les parties de moi que je connais et reconnais. Si je sentais que j’écrivais à partir d’un endroit familier et reconnaissable, que j’associais à ce que je suis, alors j’essayais de m’en éloigner. J’essayais simplement de faire confiance au fait que tout ce qui surgissait en moi m’appartenait, et je continuais donc à écouter ces parties étrangères et méconnaissables s’exprimer… Je sais que cela peut sembler très théorique et expérimental, mais c’est ce que je voulais vraiment faire avec cet album.

On note chez toi une référence à la littérature. Avant d’être musicien, tu désirais être écrivain. Tu as d’ailleurs édité un recueil de poèmes. Fais-tu une distinction entre ces deux arts, comme deux manières d’écrire absolument différentes ou sont-elles plus proches qu’on ne peut le penser ?

Barzin Hosseini : L’écriture est très proche de mon cœur. J’ai fait des études de littérature et je voulais secrètement devenir écrivain. Puis j’ai réalisé que je pouvais combiner mon amour de la musique et de la littérature en tant qu’auteur-compositeur, et je me suis donc consacré à ce métier. J’ai toujours continué à écrire à côté, mais je ne l’ai jamais fait sérieusement. 

Pour dire les choses simplement, je trouve que dans un poème, il y a beaucoup plus de place pour dire ce que je veux dire. Dans l’écriture d’une chanson, vous êtes limité par la mélodie. Donc, les contraintes rendent l’écriture beaucoup plus difficile pour moi.

Même si écrire et enregistrer peut être un acte long, difficile et solitaire, je suis très reconnaissant que cela ait fait partie de ma vie.

Barzin

Tu dis souvent en interview avoir voulu abandonner la musique. T’imagines-tu en vieux chanteur aujourd’hui ?

Barzin Hosseini : Oh, ce bon vieux désir d’abandonner la musique. C’est comme un vieux compagnon qui est toujours à mes côtés. Il y a quelque chose de très libérateur quand je pense à ne pas écrire, enregistrer, faire des tournées. Ma vie semble tellement plus facile. J’envie les gens qui peuvent s’éloigner des choses dans lesquelles ils ont mis tant d’eux-mêmes. Je ne peux pas le faire. Si je commence quelque chose, je sens que je dois aller jusqu’au bout. 

Même si écrire et enregistrer peut être un acte long, difficile et solitaire, je suis très reconnaissant que cela ait fait partie de ma vie. Je n’aurais pas été capable de lutter contre moi-même comme je l’ai fait sans la musique et l’écriture. C’est peut-être un cliché, mais je pense que se connaître, ou tenter de se connaître, est l’une des choses les plus importantes que nous puissions faire de notre vie. 

Est-ce que je me vois comme un vieux chanteur ? Non. Mais je sens que j’ai encore quelques albums en moi.  

Un autre long format ?