Après avoir enchanté la pop anglaise avec Hefner à la fin des années 90, Darren Hayman mène une carrière solo passionnante, multipliant les projets personnels et originaux. Le dernier en date est particulièrement intéressant. Chants For Socialists est une adaptation de textes écrits au XIXe siècle par William Morris, grande figure des arts et de la politique. À l’occasion de son premier concert parisien en près de quinze ans, rencontre avec un auteur-compositeur rare.

ARTICLE Vincent Théval
PHOTOGRAPHIE John Jervis
PARUTION magic n°190Depuis dix ans, Darren Hayman dessine patiemment les contours d’une discographie solo riche et passionnante. Le trait est affirmé, précieux, imprévisible, et dresse une carte secrète du folk anglais sans pour autant s’enfermer dans un style. À l’instar de son groupe Hefner, qui en quelques années d’existence avait balayé avec un enthousiasme constant et communicatif un large spectre allant du rock d’inspiration The Modern Lovers à la pop électronique en passant par la soul.

Entre 1996 et 2002, les protégés du regretté John Peel ont ainsi façonné l’une des œuvres les plus excitantes de l’époque au fil de quatre LP et de dizaines de 45 tours ou EP. Rien à jeter et une séparation avant le disque de trop : le coup était parfait. Après une parenthèse en duo avec le bassiste John Morrison sous le pseudo The French, Darren Hayman entame en 2006 un parcours plus discret. C’est parfois le cas pour ceux qui chérissent avant tout leur indépendance.

L’auteur-compositeur a pris soin de fédérer autour de lui quelques fidèles labels et une base importante de fans qui rendent viables tous ses projets, y compris les moins immédiatement accessibles. Pour prendre la mesure de son activisme, son imagination et son ardeur au travail, on conseille vivement de se plonger dans les différentes pages de son site Internet, à commencer par celle consacrée à une discographie désormais pléthorique.

On y trouve des projets un peu fous comme celui d’enregistrer une chanson par jour pendant tout le mois de janvier 2011 ou ce disque entièrement instrumental consacré aux anciennes piscines en plein air anglaises. Ou encore ces albums plus classiques mais souvent centrés sur un thème, comme les villes nouvelles dans les années 50 et 60, les procès en sorcellerie dans l’Essex durant la guerre civile anglaise…JTNDaWZyYW1lJTIwc3R5bGUlM0QlMjJib3JkZXIlM0ElMjAwJTNCJTIwd2lkdGglM0ElMjAxMDAlMjUlM0IlMjBoZWlnaHQlM0ElMjA0NzJweCUzQiUyMiUyMHNyYyUzRCUyMmh0dHBzJTNBJTJGJTJGYmFuZGNhbXAuY29tJTJGRW1iZWRkZWRQbGF5ZXIlMkZhbGJ1bSUzRDYwOTgwNjk2JTJGc2l6ZSUzRGxhcmdlJTJGYmdjb2wlM0RmZmZmZmYlMkZsaW5rY29sJTNEMDY4N2Y1JTJGYXJ0d29yayUzRHNtYWxsJTJGdHJhbnNwYXJlbnQlM0R0cnVlJTJGJTIyJTIwc2VhbWxlc3MlM0UlM0NhJTIwaHJlZiUzRCUyMmh0dHAlM0ElMkYlMkZ3aWFpd3lhLmJhbmRjYW1wLmNvbSUyRmFsYnVtJTJGY2hhbnRzLWZvci1zb2NpYWxpc3RzLTIlMjIlM0VDaGFudHMlMjBmb3IlMjBTb2NpYWxpc3RzJTIwYnklMjBEYXJyZW4lMjBIYXltYW4lM0MlMkZhJTNFJTNDJTJGaWZyYW1lJTNFUn goût pour l’Histoire et les histoires assez unique dans le paysage musical contemporain. “Pendant longtemps, mon écriture a été très moderne dans le choix des mots et leur utilisation, avec notamment pas mal d’argot”, confie Darren. “Écrire des chansons historiques est venu d’une volonté de sortir de ça. Et mon penchant pour l’Histoire provient surtout d’une recherche d’idées et d’histoires à raconter. Je considère que je fais du folk. J’aime me lancer des défis. Me retrouver seul avec ma guitare devant une page blanche pour parler d’amour, je trouve ça étouffant. Cela ne m’empêche pas d’écrire des chansons d’amour, mais c’est plus simple de trouver des idées en imaginant une romance entre Charles II et sa femme. (Sourire.) À l’école, j’aimais quand le prof nous disait : « Écrivez une histoire sur tel ou tel sujet. » C’est ce que je m’impose aujourd’hui.”

Qu’on ne s’imagine pas pour autant que Darren a déserté ses propres compositions, devenues des exercices détachés du présent et des émotions. Il est là tout entier dans une écriture qui n’a jamais été aussi riche, où les liens avec sa vie et ses préoccupations sont plus discrets mais réels. Ainsi, son nouvel album Chants For Socialists est né d’une volonté de renouer avec une forme d’engagement. Sur ce disque à la fois doux et poignant, Hayman a adapté et mis en musique des textes de William Morris, figure importante du XIXe siècle anglais, à la fois designer textile, écrivain et homme politique ayant joué un rôle important dans l’essor du socialisme.

“Il est sans doute plus connu en Angleterre pour le mouvement d’arts décoratifs Arts & Crafts. Il a imprimé de très beaux papiers peints mais s’est aussi intéressé à l’éthique et à la façon dont les choses étaient produites. C’est ce qui l’a amené à la politique. Je suis quelqu’un de très politisé et j’avais le sentiment que je devais écrire davantage de morceaux qui le reflètent. Mais c’est quelque chose d’assez complexe la politique. Or ce qui m’a touché et attiré dans les écrits de William Morris, c’est leur simplicité. Il y a toujours aujourd’hui des gens riches qui rendent les pauvres encore plus pauvres. Ça me renvoie à une nostalgie de ma jeunesse, à un temps où je voyais la politique comme quelque chose de très clair et tranché. Je sais que Chants For Socialists baigne dans une sorte d’idéalisme, et que l’on peut l’attaquer là-dessus, sur une simplicité qui ne reflète pas complètement la réalité.”

IDÉAL COMMUN

C’est à une autre réalité que Darren Hayman a voulu être fidèle, celle d’une langue, d’une géographie et d’une éthique. Tout commence dans l’une des anciennes maisons de William Morris transformée en musée. Darren y trouve un petit fascicule intitulé Chants For Socialists. Des textes initialement écrits pour être chantés sur des airs populaires de l’époque ou des airs traditionnels qu’il a fallu – pour certains – adapter.

“J’aime l’idée que les gens se les soient appropriés dans une période troublée, même si l’écriture est très dense avec des phrases qui sont très longues. J’ai donc décidé d’avoir plusieurs approches. Parfois je restais fidèle à la matière d’origine, parfois je prenais du recul et tentais de la moderniser en utilisant mes mots pour retranscrire une idée.” Cousues sur mesure pour ces textes, les mélodies de Chants For Socialists sont d’une grande douceur, parfaitement soulignées par des orchestrations sublimes (rythmique élégante, guitares, claviers, percussions, cuivres et surtout des chœurs particulièrement touchants). Comme une incarnation musicale de l’idée de collectif, une réunion autour d’un idéal commun.

Et quand il s’est agi d’enregistrer ces titres, ce ne pouvait être ailleurs que dans les différentes maisons de William Morris. “À mon sens, le lieu change tout. Je ne veux pas paraître trop mystique, mais je pense qu’enregistrer dans ces maisons m’a changé intellectuellement”, précise Hayman, qui a aussi fait imprimer les pochettes du vinyle sur les presses du XIXe siècle qui appartenaient à Morris. Il fallait enfin qu’il soit fidèle à une éthique en faisant sienne cette vieille maxime du socialisme : “De chacun selon ses facultés, à chacun selon ses besoins.”

De nos jours, on dit “Pay what you want” ! L’album Chants For Socialists est ainsi disponible en téléchargement pour le prix qui vous conviendra (et possiblement pour zéro sou). Deux éditions vinyles ont été pressées et vendues en un temps record. Un succès qui s’accompagne d’un bel écho dans la presse anglo-saxonne. Mais Darren Hayman est déjà ailleurs, complètement engagé dans un nouveau projet magnifique autour de ce qu’on appelle les thankful villages, ces bourgades dont tous les hommes qui étaient partis au front sont rentrés vivants pendant la Première guerre mondiale. “Il y en a cinquante-cinq en Angleterre et au pays de Galles. Je me rends dans chacun d’entre eux et j’essaie d’y composer une chanson. J’en ai fait treize pour l’heure.” On n’a pas fini de découvrir les nouveaux chemins, détours, plis et replis de cette carte du folk qui se dessine sous nos yeux.

Un autre long format ?