Photo Rasmus Wengkarlsen ©

Casper Clausen, chanteur d’Efterklang, nous a raconté comment le groupe danois a rebattu toutes les cartes de son art pour revenir avec "Altid Sammen" en 2019. Un album, classé à la 19e position de notre Top 2019 et élevé au rang de coup de cœur du numéro 217 de septembre-octobre, duquel est tiré cet article. Efterklang sera en concert le 2 mars au Trabendo à Paris

Il aura fallu de l’endurance et de l’ambition pour permettre à la musique d’Efterklang de s’affranchir des influences et trouver sa singularité. Dès leurs débuts avec Tripper (2004), les Danois laissent deviner des promesses puissantes dans leurs comptines électroniques cabossées qui doivent encore beaucoup à leurs « voisins » islandais de Mùm. Avec Parades (2007), ils trouvent une formule qui marie avec aisance l’usage des grands orchestres à une cause pop aventureuse. Efterklang met la pédale douce sur l’orchestration flamboyante avec Magic Chairs (2010), et laisse plus de place à l’immédiateté pop sur le splendide Piramida (2012), dernier album en date avant un silence de sept années, période pendant laquelle le groupe s’est redéfini avec intégrité, patience, enthousiasme, et dont le chanteur Casper Clausen nous donne les grandes étapes. Ce cinquième album studio est notamment né d’une expérience vécue par le groupe au festival People à Berlin en 2017. Le concept : fédérer des musiciens et artistes du monde entier pour des travaux communs. L’état de créativité né de cette expérience fut ensuite amplifié par une rencontre primordiale avec le musicien Pieter Theuns.

1.Une pause active et salutaire (2012-2017)

«En 2012 a débuté une phase de doute, avec ce constat qu’il fallait peut-être prendre un peu de distance avec Efterklang et briser cette routine qui s’installait, doucement mais sûrement, entre tournée, album, puis tournée, album, etc. On a décidé, avec Rasmus (Stolberg, guitare) et Mads (Brauer, machines) de renouer avec l’envie d’expérimenter aussi bien ensemble qu’avec les autres. Quand on a organisé The Last Concert, cet événement en 2014 avec l’orchestre philharmonique du Danemark et Hans Ek, et qui a d’ailleurs été filmé par Vincent Moon, on ne le voyait pas comme une fin mais plutôt comme la clôture d’un chapitre, la fin d’une époque qui en annonçait une autre à venir. Quand et comment, on ne le savait pas. En revanche, on avait un tas d’idées et on s’est très vite investis dans Liima avec le percussionniste finlandais Tatu Rönkkö. On s’est aussi pas mal amusés avec cette station de radio, The Lake Radio, que l’on a créée à Copenhague, et qui nous a permis de nous reconnecter avec les artistes de la scène danoise. Nous avons aussi travaillé en 2016 sur Leaves: the Colour of Falling, un opéra co-composé avec notre vieil ami Karsten Fundal.»

2. Rencontres capitales et retour d’inspiration (2017)

«Le festival People est vraiment un tout nouveau format de festival que les Frères Dessner de The National ont développé avec Bon Iver et de nombreux artistes contemporains. On s’est retrouvés à plus de cent quatre-vingts musiciens du monde entier à collaborer et expérimenter ensemble en un seul endroit pendant sept jours, cela crée forcément une énergie tout à fait spéciale. On a rencontré plein d’autres artistes et plusieurs d’entre eux apparaissent sur Altid Sammen. Très vite, on a su qu’on voulait revenir à des instruments et sons acoustiques, et délaisser un peu les machines et les ordinateurs. La grande majorité des titres a été enregistrée au studio Jet à Bruxelles avec Pieter Theuns. Pieter est le directeur artistique d’un ensemble baroque d’Anvers, B.O.X pour “Baroque Orchestration X”. À la base, Pieter est un joueur de théorbe, ce grand luth du XVIe siècle. Il a créé en 2010 cet ensemble avec des musiciens belges, européens et américains et un lieu possible où peuvent se rencontrer musiques d’aujourd’hui et instruments de l’époque baroque. Pieter s’intéresse particulièrement à la scène indépendante. Il a collaboré aussi bien avec Shara Worden [My Brightest Diamond, ndlr] que le musicien islandais Mugison. Il s’est aussi réapproprié les morceaux de PJ Harvey ou Radiohead. En 2017, il nous a demandé d’écrire de la musique pour son ensemble. On l’a présentée sur scène à Anvers avec eux au festival Mixmass en 2018. On s’est mis à travailler sur de nouvelles chansons à la fin de l’été 2017. Quand on a commencé nos propres chansons, on n’avait pas de but précis et on naviguait un peu à vue sans avoir même l’intention de faire un album. Qu’on le veuille ou non, ces chansons ont continué à grandir presque malgré nous et il a bien fallu se rendre à l’évidence qu’on était en train d’écrire un nouvel album d’Efterklang. La grande qualité des musiciens de B.O.X et la délicatesse de leur jeu sont la clé de voûte d’Altid Sammen. Nous n’arrivions jamais avec des structures très écrites car notre souhait était de laisser beaucoup de liberté à chaque musicien pour affirmer son propre langage et son espace dans chaque chanson. Une fois arrivés à l’étape finale, notre travail se résumait en somme à extraire le meilleur de ce que nous avions enregistré pour chaque instrument.»

3.Être danois, chanter en danois

«L’Île d’Als où nous avons grandi, c’est le Danemark profond, une belle campagne loin des grandes villes. Nous sommes bien plus proches de Hambourg que de Copenhague. Cette région est une zone frontalière comme un pays imaginaire où les Allemands et les Danois vivraient côte à côte. Chanter en danois sur ce disque relève de cette même envie d’excitation nouvelle. Cela m’a permis de gagner en liberté, pour jouer avec les mots, les déformer, de m’amuser avec la structure des phrases et des significations. Ce rapport plus étroit à la langue danoise m’a forcément permis d’expérimenter des choses que je ne peux aborder quand je chante en anglais. Je voulais aussi travailler sur mon chant qui sonne forcément différemment d’une langue à l’autre. Nous n’avons jamais arrêté de nous remettre en question. Cette notion de circulation des idées, de mouvement perpétuel constitue la chair de nos chansons. Une idée peut, ou pas, déclencher une action, mais de celle-ci naît souvent une autre idée et encore une autre idée qui mène à une action. Être un artiste c’est une sorte de malédiction à la Sisyphe, finalement. Creuser une idée, la voir s’évaporer dans une nouvelle idée qui mène à un autre chemin encore et toujours. Vu de l’intérieur de la salle des machines, dans le processus de création, les choses se ressemblent encore. L’art, c’est une activité complexe qui peut aussi bien être totalement gratuite et sans but précis mais aussi une expérience solennelle qui te transforme de l’intérieur et en profondeur. Faire de la musique, c’est pour moi tenter de créer un lien entre les gens à travers une expérience à la fois commune et singulière pour chacun. Avec humilité, un peu d’ambition et beaucoup de sincérité. Ce que nous retiendrons d’Altid Sammen, c’est qu’il est bon de se sortir de sa zone de confort et que chaque nouvelle création est comme une destination inédite.»

Lisez aussi notre première interview d’Efterklang, réalisée en 2009

Un autre long format ?