Et si, au fond, le plus grand crève-cœur d’un festival, c’était de n’avoir qu’une petite quinzaine de minutes pour interviewer un groupe qu’on adore vraiment ? Rencontre express avec Wombo, peu avant leur concert au Pitchfork Festival Avant-Garde, le 8 novembre dernier.
Comment ça va ? Vous avez hâte de jouer ce soir à Paris ?
Cameron Lowe (guitare) : Très excités, oui. On avait déjà joué au Supersonic, une fois, il y a deux ans. Donc on connaît bien la salle !
Sydney Chadwick (chant / basse) Oui, c’est familier, et c’est agréable. Parfois, quand on est en tournée depuis très longtemps – on a passé deux mois sur les routes aux États-Unis avant ça – ça fait vraiment du bien de retrouver quelque chose de connu. Surtout dans le cadre du Pitchfork Festival !
Justement, en parlant de Pitchfork : vous avez quelque chose que peu de groupes jouant au festival Avant-Garde ont eu, à ma connaissance. Vous avez été chroniqués par Pitchfork en 2022.
Joel Taylor (batterie) Ahah, oui, bien vu. C’était pour Fairy Rust, notre premier album.
Vous aviez eu un 6,8. Comment ça fait, quand on voit pour la première fois son disque estampillé Pitchfork ?
Sydney Chadwick : C’est un peu effrayant, tu sais. Je ne comprends pas totalement leur système de notation. Mais en même temps, c’est un honneur. Après autant d’années à faire de la musique, recevoir ce genre de reconnaissance, c’est vraiment cool.
Cameron Lowe : Ça te fait sentir que ton travail est vu. Oui, c’est cool.
Franchement, 6,8, je trouve ça un peu dur. Tout ce qui est en dessous de 7, j’ai l’impression que c’est presque une sanction.
Sydney Chadwick : Sur le moment, j’étais là, «oh…». Mais honnêtement, ça ne me semble pas si terrible.
Peut-être qu’ils avaient peur de chroniquer Danger in Fives, parce que là ça aurait été un 11/10.
Joel Taylor : On peut toujours l’imaginer.
Et sinon, pour vous, qu’est-ce que ça veut dire “avant-garde” ?
Sydney Chadwick : Pour moi, c’est quelque chose d’un peu à la limite de l’accessible. Un peu plus joueur, un peu plus tranchant, peut-être légèrement provocant.
Je pose toujours cette question quand j’interviewe des groupes associés au Pitchfork Avant-Garde. Hier, quelqu’un m’a dit que ça voulait surtout dire «expérimental». Vous voyez une différence entre avant-garde et expérimental ?
Sydney Chadwick : Parfois, «avant-garde» me semble avoir une tonalité plus sombre. Le mot en lui-même sonne assez théâtral, un peu obscur. «Expérimental», pour moi, c’est proche, au fond.
C’est peut-être le côté français du mot qui le rend théâtral et obscur ?
Sydney Chadwick : Oui, sans doute (rires). Je les ai toujours perçus comme assez similaires.
Est-ce que vous vous considéreriez comme un groupe avant-gardiste ?
Sydney Chadwick : Sur certains aspects, oui, je pense.
Quand j’écoute votre musique – surtout Danger In Fives – j’ai l’impression d’entendre une version plus inquiétante de Broadcast ou de Stereolab, dans l’obliquité des morceaux, mais aussi dans ta façon de chanter, qui me rappelle un peu Laetitia Sadier ou Trish Keenan.
Sydney Chadwick : Je suis très mauvaise avec les noms, mais j’adore Broadcast. C’est un groupe incroyable. Et oui, on a toujours eu une sorte de sonorité un peu plus sombre.
Quelles autres influences pourriez-vous citer ? Des choses auxquelles on ne penserait pas forcément en cherchant votre nom sur Google.
Sydney Chadwick : Pour moi, ce serait des groupes comme Silver Lair. J’aime beaucoup cette idée de voix douces posées sur des instruments plus abrasifs. J’aime cette dureté-là. J’adore aussi les voix étranges, un peu freak. Michael Gira, par exemple.
Et vous ?
Cameron Lowe : Je n’ai pas vraiment envie de parler d’influences directes. Je ne réfléchis pas trop en ces termes. Mais j’aime beaucoup un groupe qui s’appelle The Chap.
The Chap ?
Non, londoniens, début des années 2010. C’est drôle, bizarre, difficile à expliquer. Leur musique peut te toucher très fort émotionnellement, tout en étant à la limite du ridicule. Il y a un contraste constant. Parfois, c’est une chanson sur le fait d’être amoureux d’un dauphin… et en même temps, c’est super profond.
Ce mélange entre des paroles drôles et quelque chose de très touchant me fait penser à Headache, un projet de Vegyn. Les textes sont parfois absurdes, puis d’un coup dévastateurs émotionnellement, chantés par une voix d’IA ultra froide. J’ai découvert ça cette année, et je pleure à chaque fois.
Sydney : Ah, Headache, oui.
Pour en revenir à vous : lors d’un AMA Reddit, vous disiez avoir grandi avec des parents pas très ouverts musicalement. Est-ce que, selon vous, le fait d’être laissé seul avec la musique aide à trouver ce qu’on aime vraiment – et ce qu’on veut créer ?
Sydney Chadwick : Oui, complètement. C’est vraiment quand j’ai été seule que j’ai compris ce que j’aimais. Mais en même temps, je suis reconnaissante de mon environnement : j’ai grandi entourée de chorales d’église, j’ai appris les harmonies comme ça. Puis il y avait aussi tout ce que je découvrais seule, dans les recoins étranges de YouTube, au milieu des années 2000. C’était une période incroyable pour ça. L’algorithme était beaucoup plus aventureux qu’aujourd’hui.
C’est souvent là qu’on comprend que faire de la musique peut être ludique.
Sydney Chadwick : Exactement. Avant, je voyais ça comme quelque chose de très rigide, presque étouffant. Puis, d’un coup, c’est devenu libérateur.
Dans votre musique, surtout sur Danger In Fives, on sent beaucoup d’improvisation. Est-ce que les «heureux accidents» ont une place importante dans votre façon de composer ?
Cameron Lowe : Oui, énormément. J’essaie constamment de court-circuiter les réflexes évidents à la guitare. Je fais beaucoup d’explorations aléatoires que j’enregistre, puis je découpe, je retourne, je réorganise… et à un moment, quelque chose reste.
Donc vous pouvez avoir dix versions d’un même morceau, toutes différentes ?
Joel Taylor : Exactement.
Quel a été le morceau le plus difficile à finaliser sur Danger In Fives ?
Cameron Lowe : Le solo du morceau Danger In Fives, justement. Il est arrivé très tard. Il est étrange, presque hors-sujet, mais il fonctionne vraiment bien.
Mon morceau préféré, c’est Common Things. Il me rappelle la twee pop, avant de basculer ailleurs. Est-ce que vous vouliez écrire une «vraie» chanson pop ?
Sydney Chadwick : Pas consciemment. Je l’ai écrite à la guitare acoustique, beaucoup plus lentement. Elle avait une mélancolie douce qui nous a donné envie d’essayer quelque chose. On ne fait pas souvent des chansons comme ça, mais ce mélange de tristesse et de douceur me parle beaucoup.
Cameron Lowe : Il y a une vidéo sur nos réseaux où elle la joue seule à la guitare. Le résultat avec le groupe est devenu plus pop presque par accident.
Vous cherchiez pourtant quelque chose de plus sombre pour cet album, non ?
Sydney Chadwick : Oui, mais ça s’est fait assez naturellement. Les morceaux qui fonctionnaient le mieux avaient cette tonalité plus sombre.
Cameron Lowe : C’est encore une question de contraste. Sa voix est très douce : si tout est doux autour, ça devient moins intéressant. Il faut une tension pour que ça fonctionne. C’est ce qui nous a menés vers quelque chose de plus inquiétant.
C’est un disque parfaitement équilibré. Du doux et de l’amer.
Cameron Lowe : Merci beaucoup.
Sydney Chadwick : Je n’aime pas trop ce qui est trop sucré, sauf exception. Les chansons que j’aime ont toujours quelque chose d’un peu dérangeant.
Il y a aussi cette dimension hypnotique, répétitive dans vos instrumentaux. Vous cherchez ça consciemment ?
Sydney Chadwick : Un peu, oui. J’aime les boucles, quelque chose de presque hypnotique. Avec le temps, on est devenus plus à l’aise avec l’idée de laisser les choses respirer, plutôt que de tout changer tout le temps.
Camerone Lowe : Ça permet de mieux mettre en valeur chaque élément. Trop de variations, et rien ne frappe vraiment.
J’ai lu une critique qui parlait de «surréalisme domestique». J’ai trouvé ça très juste : une maison belle et rassurante, mais où il se passe des choses étranges.
Sydney Chadwick : Oui, comme Edward aux mains d’argent ou The Truman Show. J’aime beaucoup ce genre d’univers et le réalisme magique. C’est un monde dans lequel je me sens bien pour créer.
C’est presque réconfortant, d’une certaine manière.
Sydney Chadwick : Oui. J’aime ce côté un peu inquiétant, onirique.
C’est drôle, ça me fait penser à ces sketchs sur TikTok d’un mec qui dit «ouais ma maison est hantée mais au moins le loyer est pas cher», et chaque sketch est centré sur un aspect de sa maison. Genre, la poubelle extérieure qui essaie de le manger quand il s’en approche.
Sydney Chadwick : Ahahah, il faudra que je regarde ça.