Mina Tindle : «Et puis il y a eu cette remarque de mon fils en entendant un merle chanter»

Voilà un bail que l’on n’avait plus de nouvelles de Mina Tindle, délicate voix qui sait marier à merveille pop et folk aussi bien en français qu’en anglais.

Son dernier album en date, Sister, était sorti en plein Covid en 2020. Face aux tumultes du monde, Mina Tindle, Pauline de Lassus de son vrai nom, a préféré rester ensuite
silencieuse. Installée depuis six ans dans le Pays basque, elle a laissé la musique
de côté, réalisé des clips pour d’autres, notamment The National, le groupe de son
mari, Bryce Dessner, conçu des livres pour enfants restés pour l’heure inédits. Et
puis, un jour, son fils lui a fait une remarque : « L’oiseau chante… Maman chante. »
Et l’envie de musique est revenue. Compass Rosa, son quatrième album, est un
disque enveloppant, une capsule de douceur. Une boussole qui, au milieu du chaos
du monde, indique la direction de la beauté. Elle l’a enregistré notamment en
compagnie de Sufjan Stevens. Le musicien américain, touché par le syndrome de
Guillain-Barré, une maladie neurologique qui l’avait laissé paralysé il y a deux ans, a
quitté les États-Unis pour rejoindre Bryce et Mina Tindle. Il a posé sa patte sur ce
disque, ça s’entend. Mais Compass Rosa est avant tout un album de Mina Tindle.
Un disque inattendu et qui s’est fait attendre, comme elle nous l’explique.

Cinq ans sans album, ça fait longtemps que nous n’avions pas entendu de
nouvelles chansons de Mina Tindle

Mon précédent disque, Sister, est sorti en plein Covid, en octobre 2020. Juste avant,
j’ai déménagé à la campagne, dans le Pays basque, et j’ai quitté la grande ville. Je
voyais tout ce qui se passait de ma petite fenêtre et c’était cacophonique. À quoi bon
en rajouter ? Je n’avais pas grand-chose à raconter. Et puis l’inspiration est revenue
par le dessin. J’ai commencé à faire un petit dessin que j’ai animé pour une amie,
Kate Staples de This is The Kit. Mon compagnon Bryce Dessner a vu ça et il m’a
demandé de faire pareil pour des clips de The National qui publiait un nouvel album,
First Two Pages Of Frankenstein. Je l’ai aussi fait pour les sœurs Labèque et tout ça
m’a fait replonger dans la musique. Faire des montages pour des clips, c’est un peu
comme écrire une chanson. Et puis il y a eu cette remarque de mon fils en
entendant un merle chanter. Il m’a dit : «L’oiseau chante… Maman chante.» Pourtant,
je ne lui chante pas une berceuse tous les soirs.

Ça a été un déclic ?

En tout cas, ça m’a redonné de la force. Et puis, il y a eu des événements de la vie,
des deuils, qui ont fait que j’avais des choses à raconter. À un moment, j’étais un
peu pétrifiée, dans l’attente, comme un lapin pris dans les phares d’une voiture et
puis je me suis rappeler que j’avais la chance d’avoir la musique comme moyen
d’expression. Savoir écrire des chansons, c’est comme savoir fabriquer une chaise
ou faire très bien un plat, on vit un peu mieux quand on le fait. Et quand on arrête, il
nous manque un truc. En fait, je me sentais amputée de quelque chose et c’est
revenu.

Est-ce qu’il y a une chanson qui a servi de déclencheur à cet album ?

Sûrement Rosa, la chanson sur ma grand-mère que j’avais écrite bien avant qu’elle
ne meurt. Le titre de l’album vient d’une rose des vents que j’avais vu sur la côte. Ça
m’a fait penser à ma grand-mère Rosa. Elle était malade, elle était en train de mourir
et c’est moi qui m’occupais d’elle. Un des seuls moments d’apaisement que j’ai
ressenti, c’est quand j’ai écrit cette chanson et les autres sont venues ensuite.

Victoire Trésor est très touchante…

C’est une chanson pour ma cousine qui est comme une sœur pour moi. Nous avons
d’ailleurs été élevées comme des sœurs avec l’avantage de ne pas être en
compétition comme ça peut exister dans les fratries. Donc on a une relation d’une
pureté folle. Je vois toujours le mieux chez elle, je crois toujours en elle et je sais
que c’est totalement réciproque. C’est étrange parce que j’étais plus pudique avant,
j’aurais eu du mal à vous parler comme ça des chansons mais c’est plus simple.
Peut-être que c’est le fameux album de la maturité (rires).

Une belle formule tarte à la crème !

Oui, je sais ! On dit tout le temps ça pour le deuxième album. En fait, je crois que
j’étais sur le point d’arrêter ou en tout cas de ne plus avoir envie. Et ensuite, je me
suis dit que si je devais faire un album, il fallait qu’il ait du sens. C’est pour ça aussi
que j’étais hyper heureuse quand j’ai trouvé le titre de l’album, quand j’ai vu cette
rose des vents dessinée à l’encre bleue en bord de mer. En anglais, on dit Compass
Rose
pour une rose des vents et ma grand-mère s’appelait Rosa. C’est arrivé alors
que j’essayais de trouver un lien entre ces dix chansons. Ça a donné un sens à tout
ça. Ça me fait penser à cette chanson de Dominique A que j’adore, Le Sens. Quelle
est notre raison d’être, notre légitimité ? Pourquoi on souffre ? Pourquoi on aime ?
On a parfois besoin d’une boussole émotionnelle. D’une rose des vents personnelle.
Avec Compass Rosa, j’ai eu l’impression qu’au lieu de mettre le Nord, je pouvais
mettre le nom de ma grand-mère. Comme une manière de ne pas la perdre.

Pour cet album, vous avez travaillé avec Sufjan Stevens. Vous aviez déjà
composé un morceau avec lui sur le précédent disque. Comment cela s’est
passé cette fois, sachant qu’il se remet toujours de la maladie qui l’a touchée il
y a deux ans ?

Sufjan est vraiment un proche de notre famille, c’est l’un des meilleurs amis de
Bryce avec qui il a souvent collaboré. J’ai eu la chance de le rencontrer il y a des
années, de faire ses premières parties. Au départ, nous avons vraiment élaboré les
chansons avec Bryce, on a pris le pouls de chaque morceau avant d’entrer en
studio. Et en fait c’est Bryce qui a proposé à Sufjan de venir. Il n’avait plus quitté les
États-Unis depuis son problème de santé. Et trois semaines avant l’enregistrement,
Bryce me dit : «Bon, je te préviens, j’ai invité Sufjan». C’était vraiment une surprise.
C’est quelqu’un de très généreux, qui est dans le partage. On aurait pu s’envoyer les
morceaux à distance mais cela n’aurait pas fonctionné de la même manière.

Comment s’est passé l’enregistrement ?

Nous nous sommes retrouvés pendant six jours au Pays basque dans le studio de
notre ami David Chalmin avec Ben Lanz (membre de Beirut), qui est un
collaborateur de toujours de Sufjan. On était tous les quatre et on a fait le disque.
Sufjan chante sur certaines chansons mais il est aussi intervenu sur toutes les
compositions. Et par la suite, nous sommes venus avec Bryce à Paris pour
enregistrer les arrangements de cordes avec le quatuor Zaïde. À l’arrivée, je trouve
que ça donne un disque cohérent parce qu’il a été enregistré dans un même endroit,
avec une même énergie.

On y sent la patte de Sufjan Stevens mais on ressent aussi vos influences.
D’ailleurs, c’est assez étonnant mais l’une des chansons, Pour le Soleil, a des
intonations à la France Gall…

Ah mais je suis une grande fan de France Gall. Pour moi, c’est un compliment. C’est
Ben qui a écrit la mélodie. Je connais toutes les chansons de France Gall par cœur.
Sur mes autres disques, il y avait de références, des clins d’œil. Sur Parades, il y
avait une chanson qui s’appelait Pas les Saisons et pour moi ça faisait vraiment
France Gall. Je sais très bien l’imiter d’ailleurs.

Est-ce que vous avez l’impression d’avoir cette double culture entre l’indierock anglo-saxon et la variété française ?

Oui, c’est un peu schizophrène. Je n’ai jamais cherché à creuser le sillon de la
chanson française en m’inscrivant dans cette tradition même si j’aime France Gall,
Souchon, Voulzy, Brel, Brassens. Souvent des chansons plus que des carrières.
Mais depuis l’adolescence, je n’écoute plus que des musiciens anglo-saxons. Ça ne
se chante pas pareil. Quand je compose, quand je prends la guitare ou le piano, je
ne sais jamais dans quelle langue la chanson va sortir. Souvent, c’est la mélodie qui
dicte la langue. C’est un peu comme quand je dessine. Selon que je choisisse des
crayons de couleur ou de la peinture, le rendu sera différent.

Cela fait six ans que vous habitez le Pays basque. Est-ce que le fait d’avoir
quitté la ville, d’habiter ailleurs désormais, a inspiré ce disque ?

Disons que ça l’a rendu plus introspectif. Ce qui m’a marquée depuis ces six
dernières années, c’est qu’il n’y a plus de distraction. En habitant loin des villes, on
est plus dans la contemplation. Ici, nous avons plus ce sentiment de grands
espaces. Ça nous plaît beaucoup. Même si Bryce a vécu à Brooklyn et à Paris, il est
né près d’une forêt donc il a aussi ce besoin de ressentir l’immensité. On rentre en
résonance avec ce qui nous entoure. En fait, c’est une réponse à la modernité, au
fait qu’on est toujours dans l’accélération.

D’ailleurs, cet album est très enveloppant, on est presque dans une capsule,
c’est doux…

Oui, enfin j’espère que ce n’est pas trop chiant non plus (rires) ! Il y a un disque qui
m’a beaucoup inspirée, c’est Songs d’Adrianne Lanker, la chanteuse de Big Thief.
On n’avait pas arrêté de l’écouter quand il est sorti il y a cinq ans avec Bryce. C’est
très simple. Je l’ai vue ensuite sur scène dans la même formation : guitare, basse,
piano… Et ça coule tout seul. J’ai adoré me plonger dans des productions plus
éclectiques, un peu rock, un peu autre chose, mais je n’avais jamais fait de disque
capsule comme celui-là. Et ça a été très agréable.