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Poèmes Pulvérisés
Léonie Pernet
InFiné / CryBaby

Léonie Pernet : « Poèmes Pulvérisés », fragments d’un feu intérieur

Léonie Pernet revient avec "Poèmes Pulvérisés", un album intense et habité, continuant de tracer une voie singulière dans la pop française.

«Comment vivre sans inconnu devant soi ?». Léonie Pernet ouvre avec solennité son troisième album avec ce vers de René Char issu de Poème pulvérisé, recueil du poète résistant paru en 1945 dont les fulgurances l’ont happée et inspirée. Elle l’a découvert après un voyage initiatique et cathartique au Niger, à la rencontre de sa famille paternelle, jusqu’alors inconnue. L’œuvre musicale de Léonie Pernet est une quête intérieure et spirituelle construite au gré de voyages, d’expériences et de rencontres. Elle se nourrit d’un cheminement personnel et existentiel qui fait d’elle une des personnalités les plus fortes et singulières de la scène française. La revoilà donc avec une nouvelle déclinaison de son électro littéraire unique, contemplative et tourmentée, suspendue et onirique, sensuelle et politique, d’une grande richesse rythmique (Léonie Pernet est batteuse de formation).

Son deuxième album Le Cirque de consolation, sorti il y a quatre ans, était marqué par le sevrage de l’alcool (Mon amour tu bois trop), entamé en 2017, et les effets de cette sobriété retrouvée sur sa créativité et sa psyché. Poèmes pulvérisés (au pluriel) inaugure un nouveau cycle imprégné de ses voyages, du chaos du monde dont elle échantillonne les slogans (le magnifique Dispak Dispac’h, parenthèse faite de refrains de manifs de sans-papiers samplés prend étonnamment aux tripes), de ses lectures et ses collaborations multiples (puisqu’elle ne s’interdit rien : théâtre, musiques de film, spectacle d’hommage à David Bowie, préface de l’ouvrage réédité de Colette Andris, La femme qui boit…). L’artiste a fait feu (intérieur) de tout bois et ce foyer a couvé cet album ardent (Brûler pour briller, premier titre, en manifeste). Le feu est partout dans ce disque qui crépite et rougeoie. De poèmes et de pulvérisations il est bien question ici et de créolisation aussi (Édouard Glissant en directe filiation). Touareg sent le désert. Léonie Pernet broie les genres, brise les frontières, désagrège les repères, concasse les mots et les boucles, fragmente et déforme les voix (Paris-Brazzaville) et, de ces fragments assemblés, kaléidoscope patiemment constitué, naît un vertige grisant.

Dans Les Chants de Maldoror sur le disque précédent, elle évoquait «la prose comme infini trésor». Elle règne ici en capiteuse majesté (dans Le Pas de l’au-delà au milieu des basses synthétiques eighties ou sur la chanson de rupture, après un «septennat d’amour au féminin», L’horizon ose). Mais la transe et l’abandon ne sont jamais loin aussi, servis par la polyrythmie. Léonie Pernet n’a pas renoncé à faire danser et à jubiler. Paris-Brazzaville (en duo avec son frère), avec ses lignes de basse hypnotiques, a la cambrure d’un tube (comme Butterfly sur son premier disque). Elle n’a pas renoncé à la consolation mais invite désormais à la réparation. La magnifique ballade au piano Réparer le monde (avec Clara Ysé), sortie quelques mois avant l’album, trône au milieu du disque : «Est-ce qu’il nous incombe / De réparer un peu le monde / Qu’est-ce qui au fond nous empêche / Qui au fond nous empêche / Qu’est-ce qui tant nous encombre ?». Aucune injonction morale ici mais une forme de responsabilité de continuer à espérer. Réparer le monde comme se réparer soi. 

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