© Gus Black

Depuis Los Angeles, Mark Oliver Everett fait le point sur sa situation artistique et émotionnelle à l'heure du quatorzième album de Eels, "Extreme Witchcraft". Un disque d'humeur électrique, à la naissance écartelée entre deux fuseaux horaires.

Depuis quatre ans, Mark Oliver Everett a retrouvé son rythme de croisière. Divorcé, remarié, désormais père, il aligne depuis 2018 les albums dans une veine moins torturée (en apparence) qu’à ses débuts. Depuis qu’il a retrouvé un second souffle avec The Deconstruction, il évolue plus dans une veine mélodique. Elle irriguait Earth to Dora (2020), elle habite par intermittence Extreme Witchcraft, son quatorzième album, qui fait une plus grande place aux guitares énervées. La marque des retrouvailles avec le producteur John Parish. Il nous en parle depuis Los Angeles, avec sa voix éraillée, des réponses parfois elliptiques et beaucoup de retenue et de modestie.


La grande affaire de ce disque, ce sont vos retrouvailles avec John Parish. Pourquoi l’avoir choisi comme producteur, vingt ans après Souljacker ?

J’avais reçu un texto de Mark Romanek, qui avait réalisé le clip de Novocaine for the Soul, où il me disait qu’il écoutait beaucoup Souljacker en ce moment. Je me suis souvenu combien ça avait été agréable de faire cet album en compagnie de John Parish. Je me suis dit que ça valait le coup de recommencer et je me suis renseigné pour savoir si c’était possible. Avec John, nous sommes restés amis après l’enregistrement de Souljacker. Nous avons toujours eu l’habitude de nous voir à chaque fois que je suis en tournée en Europe. Il nous a souvent rejoints sur scène pour jouer avec nous.

Comment s’est passé l’enregistrement ?

J’ai travaillé à distance avec John Parish, lui depuis Bristol, moi depuis Los Angeles. C’était un enregistrement de pandémie ! On s’échangeait les pistes par mail. Nous avions déjà travaillé comme ça du temps de Souljacker, notre première collaboration, avant de nous retrouver à Los Angeles. Mais cette fois ce n’était possible. Notre fonctionnement était parfois frustrant. Quand vous êtes dans la même pièce, vous pouvez résoudre un souci en un clin d’œil. Là, il fallait parfois attendre une journée entière. D’autant que nous n’étions pas sur le même fuseau horaire.

Qui devait se lever tôt ? Qui se couchait tard ?

J’avais pris l’habitude de me lever vers 4 h du matin pour travailler en direct avec John et ne pas à avoir à attendre tout le reste de la journée. Cela a duré comme ça pendant environ un mois. Pourtant, l’écriture des chansons, qui s’est faite pour la plupart pendant l’enregistrement, a été assez facile.

© Gus Black

Vous trouvez des points communs entre ce disque et Souljacker ? Je vous trouve aujourd’hui plus optimiste…

Vous croyez ? C’est une bonne chose même si je ne suis pas sûr que ce soit le cas. Enfin, comme tout le monde, en vieillissant, j’ai l’impression d’avoir gagné en maturité, d’arriver à mieux gérer ce qui me faisait me sentir mal et à valoriser les bons côtés de la vie. Quant aux points communs entre les deux disques, il y a forcément une touche John Parish.

Qu’est-ce qui vous a inspiré pour l’écriture de ce disque ?

Ce qui m’inspire pour tous les disques : la vie. Il n’y a pas de fil conducteur à tout l’album, les chansons se sont écrites les unes après les autres.

Est-ce plus simple pour vous aujourd’hui d’écrire des chansons ?

Il n’y a pas de recettes pour cela, d’enchaînement particulier. Chaque situation amène une chanson différente. Ce qui maintient d’ailleurs tout cela à la fois amusant et intéressant ! Mais je ne pourrais pas vous décrire le processus. Parce que ça me vient naturellement. C’est comme si vous me demandiez de réfléchir à tous les muscles que j’utilise lorsque je pédale à vélo. Ce serait le meilleur moyen de me casser la figure !

Vous pourriez écrire aujourd’hui les mêmes chansons que lorsque vous aviez 20 ans ?

Certainement pas. Je ne suis évidemment plus la même personne. Par contre, cela ne me pose pas de souci de les chanter. Et il m’arrive de le faire en leur apportant un nouveau point de vue. C’est celui que je suis maintenant qui s’exprime, et rend la chanson différente.

Il y a des chansons plus énervées sur ce nouveau disque, plus taillées pour la scène…

Il y a plus de chansons rock’n’roll sur ce disque, c’est vrai. Ça manquait un peu aux précédents. Cette fois, j’étais dans une humeur plus rock. Pourquoi ? Je ne sais pas. J’avais envie de prendre une direction différente par rapport à ce que j’avais fait avant. J’ai le sentiment que ce disque n’a rien à voir avec, par exemple, Earth to Dora.

Extreme Witchcraft est votre quatorzième album. Pensiez-vous, à vos débuts, arriver un jour à une telle discographie ?

Même pas dans mes rêves les plus fous. Jamais je n’aurais pensé avoir une telle carrière. Déjà, réaliser un disque, cela me semblait incroyable. Alors tous ces disques, pouvoir faire ce que j’aime encore aujourd’hui… Je me sens très très chanceux.

Pendant quatre ans, de 2014 à 2018, vous êtes restés silencieux. Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de vous y remettre ?

J’ai fait une sorte de burnout. Trop de travail pendant de nombreuses années. Et puis la tournée de 2014 a été particulièrement longue, éreintante. J’ai vraiment senti le besoin de prendre du recul. Pendant longtemps, j’ai pensé ne jamais recommencer à écrire. Et puis, un jour, vous vous réveillez et l’envie revient. Je n’avais pas complètement arrêté de composer mais je le faisais avec bien plus de parcimonie.

© Gus Black

Vous avez depuis plusieurs années votre propre label E Works. Cela vous apporte-t-il une plus grande liberté ?

Mais même avant, je pense avoir toujours fait ce que je voulais faire. Mes labels précédents ont bien sûr essayé de me dire de faire telle chose, pas telle autre. Surtout à mes débuts. Mais je me suis très vite rebellé contre ça.

Vous avez dû surmonter un gros succès dès le premier album. Et pas mal de pression. Eels était la première signature de DreamWorks, le label fondé notamment par Spielberg et David Geffen…

C’est vrai, ce n’a pas été une expérience toujours très plaisante…

Juste après Beautiful Freak (1996), vous avez pris tout le monde à revers avec Electro-Shock Blues (1998), un disque plus âpre. Les derniers albums marquent un retour à une veine plus pop. Où se trouve le vrai Mark Oliver Everett dans tout ça ?

Mais il est toujours là. Je ne vois pas de contradiction entre tous mes disques. C’est un cheminement.

Après toutes ces années, ressentez-vous toujours une appréhension avant la sortie d’un disque ?

C’est toujours sympa quand quelqu’un aime ce que vous faites mais il ne faut pas y prêter trop d’attention. Une fois que le disque est sorti, on n’a plus aucune prise. Pour moi, ça reste miraculeux que quelqu’un apprécie quelque chose que j’ai fait. Ça me rend vraiment heureux. Mais la seule personne que j’essaie d’impressionner avec tout ça, c’est moi-même ! Et si ça marche avec d’autres, c’est un sacré bonus.

Ça fonctionne depuis plus de vingt ans ! Mais ça semble encore vous surprendre…

Oui, toujours. C’est ce qu’il y a d’amusant quand on compose une chanson. Au bout du compte, on amène au monde quelque chose qui n’était pas là la veille. C’est un sentiment merveilleux.

Extreme Witchcraft
(E WORKS / [PIAS])
Sortie le 28/01/2022

Notre chronique de l’album est à retrouver dans notre hebdo #3 du 27 janvier ainsi que dans notre cahier critique en ligne, avec accès réservé à nos abonnés.

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