Etienne Daho – Les Chansons De L’Innocence Retrouvée

Après plus de trente ans d’une carrière exemplaire, on peut chercher points communs et différences entre cet essai et ses prédécesseurs. Comparer Daho à Daho, donc. Or l’intéressé s’est constamment réinventé sans jamais quitter la pop, ce vaste territoire aux frontières floues. La remise en question n’exclut pas la fidélité, et ce dixième album scelle les retrouvailles avec l’ex-Valentins Jean-Louis Piérot. Ensemble, le tandem a composé neuf de ces onze Chansons De L’Innocence Retrouvée. Un album paré de cordes majestueuses (une constante depuis Eden en 1996, ici magnifiées par la direction d’orchestre de Sally Herbert) et porté par des lignes de basses irrésistibles – on pense souvent à Paris Ailleurs (1991) et L’Invitation (2007), les disques les plus soul du chanteur. Écoutez donc Les Torrents Défendus les yeux fermés, vous verrez sans doute un Wigan Casino rempli de danseurs qui virevoltent au son des violons et d’une implacable section rythmique. Partout se déploie un classicisme qui n’appartient qu’à son auteur. Des tubes pop à la radieuse évidence, dont la possible noirceur se noie dans la douceur du chant et de la mélodie. Des guitares cristallines caressent La Peau Dure quand la ballade Un Bonheur Dangereux et ses faux airs de Soudain dévoile des “O.D. de ciel bleu”. Plus loin, Onze Mille Vierges (coécrit avec Christian Fradin) évoque moins la douleur d’Apollinaire que les ambiances interlopes de Paris Ailleurs. Un beau titre de désamour, tout comme Le Malentendu, valse malade posée sur un lit de cordes et un vibrato de guitare. Tout ceci est chanté avec foi mais l’air de rien, ou presque. On n’est jamais plombé par une chanson d’Etienne Daho. Toute la nuance entre la tristesse et la mélancolie, en somme. Ce millésime 2013 porte des obsessions de l’artiste. Posé sur un groove tendu, éclaboussé de guitares distordues et soutenu par les chœurs de Johnny Hostile (Lescop) et Jenny Beth (Savages), Le Baiser Du Destin aborde la question du… destin, un mot très présent dans le répertoire dahoïste.

Le bientôt sexagénaire se retourne sur le chemin parcouru, les miracles accomplis, et s’étonne encore de sa bonne fortune. Le fan d’hier devenu l’influence que l’on sait. Ainsi, Yan Wagner et Au Revoir Simone assurent, qui le clavier, qui les chœurs, sur Les Chansons De L’Innocence, dont la ligne rythmique évoque énormément Comme Un Igloo. Ailleurs, l’ex-fan des sixties convie de grands noms ayant marqué les seventies et le début des eighties. L’Étrangère voit Nile Rodgers servir un riff immédiatement identifiable et Debbie Harry s’essayer maladroitement au français quand le globe-trotter Daho évoque le légendaire Chelsea Hotel, des souvenirs musicaux (“à la radio Call Me de Blondie”), et vante les délices des villes lointaines. L’exil, autre constante pour le natif d’Oran. Un Nouveau Printemps dépeint avec une violence retenue le destin tragique des boat-people d’aujourd’hui, échoués à Lampedusa ou Gibraltar. “Apprendre à coups de crosses et de cheveux tondus/Vois les plaies qui scintillent, aux torses des vaincus/Mais si la cause est belle peu importe le but”. Proche de celle de Genet, cette prose doucement politique rappelle un peu Signé Kiko sur l’album La Notte La Notte (1984). Plus loin, écrit par Dominique A, En Surface est un tube potentiel au rythme minimal, à la mélodie limpide, dans lequel le Rennais errant révèle un étonnant mimétisme avec le Nantais d’adoption – gémellité encore plus évidente dans la version en duo offerte dans Les Suppléments. Enfin, L’Homme Qui Marche, avec Frànçois Marry en invité, est sans doute le plus troublant de ces onze morceaux. Sur une instrumentation digne de John Barry coule un texte à tiroirs. Une rencontre amoureuse ? Le regard de l’artiste sur lui-même ? L’acceptation de soi ? Impossible de répondre. Une chose est sûre : autobiographique certes, mais jamais nombriliste, cette œuvre marie le passé et le présent, rend hommage aux icônes d’hier qui l’ont construit, et salue les héritiers d’aujourd’hui, enfants de Daho comme d’autres du Velvet. Quant à l’avenir, il ne se lit pas dans les lignes de la paume, mais cet innocent aux mains pleines a encore beaucoup à offrir.



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