Tobias Jesso Jr. – Goon

(True Panther Sounds/Matador/Wagram)

On a découvert Tobias Jesso Jr. par le biais d’une vidéo YouTube postée un jour d’août 2013. La chanson s’appelait Just A Dream et était illustrée par une photo un peu datée sur laquelle un gamin joue du synthé Casio en pyjama. En cliquant sur le lecteur, on pouvait entendre cette fragile ballade “lennonienne” enregistrée avec les moyens du bord. On a d’abord pensé à un inédit de Daniel Johnston ou à une vieille maquette d’Harry Nilsson. Il a fallu environ cent cinquante écoutes pour réaliser que ce nectar hors d’âge avait été conçu en 2013 par un inconnu résidant au Canada.

Son nom nous avait été révélé quelques mois plus tôt par l’ex-Girls Chet “JR” White. Reconverti en producteur, l’ancien acolyte de Christopher Owens avait confié dans une interview préparer un album avec cette jeune recrue du label True Panther Sounds. Un an plus tard, le musicien plein de promesses émerveillait une nouvelle fois avec une autre démo à la sincérité lacrymale, la bien nommée True Love. On apprenait ensuite que d’autres producteurs de renom seraient de la partie : le batteur des Black Keys Patrick Carney (aperçu aux côtés de Tennis) et l’impayable Ariel Rechtshaid (Vampire Weekend, Haim, Sky Ferreira). Et la tension de monter d’un cran avec un premier extrait du futur LP. Sous le titre Hollywood, un chef-d’œuvre intemporel de plus était à créditer au nom de Tobias Jesso Jr. Cramponné à son éternel piano, le songwriter énigmatique s’y épanche sur ses désillusions passées, lorsqu’il tentait de percer dans l’industrie musicale à Los Angeles quelques années auparavant.

“Well, I had to find my way by looking at the city/I don’t know if I can fake it if they tell me I’m no good/I think I’m gonna fry in Hollywood”. Cette comptine désenchantée résume toute l’histoire de Goon et de son auteur. Une histoire où les déboires se succèdent – une rupture amoureuse, un accident de la route, le cancer de sa mère –, obligeant notre anti-héros à retourner vivre à Vancouver (Leaving LA). À l’instar de quelques figures tutélaires (Christopher Owens en tête), Tobias Jesso Jr. n’hésite donc pas à puiser dans sa vie pour imaginer ses ballades chagrinées et véhiculer des émotions universelles. Pour les mettre en musique, le trio de producteurs a pris soin de leur offrir une certaine patine, faisant couler les références seventies en cascade. On pense à Elton John (Can’t Stop Thinking About You), Paul McCartney (Can We Still Be Friends) et surtout Harry Nilsson circa Nilsson Sings Newman (1970).

La face A est un enchaînement de tubes tous plus romantiques les uns que les autres, parmi lesquels How Could You Babe – sorte de négatif du classique soul de Lorraine Ellison Stay With Me – et le magnifique Without You, qui ferait presque oublier le hit planétaire homonyme chanté par Nilsson en 1971 et réactualisé par Mariah Carey en 1994. Lorsque le piano laisse la place à la guitare, c’est le folk gracieux de Simon & Garfunkel que l’on entend (The Wait). Moins solennelle, la face B n’atténue en rien le niveau de l’album. La preuve avec l’explosif For You, que l’on croirait sorti de Figure 8 (2000) – le chant du cygne d’Elliott Smith – ou encore avec le spleen bleu nuit de Bad Words, qui évoque Sparklehorse. Avec ses quarante-sept minutes de classicisme précieux, ce Goon au grand cœur séduira à coup sûr une large frange de mélomanes, du fan transi de Girls à celui de la chanteuse et compositrice Adele. Réinstallé en Californie après la rémission du cancer de sa mère, Tobias Jesso Jr. pourrait bien récolter lauriers et petites pépées avant de finir ses jours à… Hollywood.

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