The Cleaners From Venus – The Cleaners From Venus Vol 1, 2 & 3

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Entreprendre la réédition de l’intégralité des disques de The Cleaners From Venus n’est pas une mince affaire, mais c’est surtout un pari osé. Couvrir de façon exhaustive la discographie de Martin Newell de 1981 à 1992 (de Blow Away Your Troubles à l’enregistrement de My Back Wages) demande un travail de limier : convaincre le principal intéressé (rétif à confier ses trésors à un label), remettre la main sur des cassettes (pour certaines) jamais rééditées, se persuader que l’affaire (très lo-fi) intéressera au-delà de la centaine de fans absolus prête à débourser la fortune que représente ces trois magnifiques volumes composés d’une douzaine d’albums et de compilations de raretés…

En dépit d’amitiés célèbres – Andy Partridge de XTC qui produisit The Greatest Living Englishman (1993) ou Captain Sensible de The Damned qui accompagnait épisodiquement Martin Newell – et d’une influence s’étendant bien au-delà de l’Angleterre et de sa génération (les disques de The Cleaners From Venus étaient au chevet d’Ariel Pink durant sa période de génie, MGMT reprend à l’envi Only A Shadow sur scène), le poète de Wivenhoe (dans l’Essex où il coule encore des jours heureux) demeure nettement moins connu que sa descendance. Après quelques années dans divers groupes, explorant le glam rock (Plod) et passant à côté de la vague punk (Gypp reçut une chronique assassine dans le NME pour son premier EP), le personnage de perdant magnifique de Martin Newell – il disait de lui-même qu’il était “le roi du mauvais timing” – se dessine en une sorte de Withnail aussi attachant que le héros de la fiction cinématographique Withnail & I (1987). De telles défaites revêtent parfois des allures de providence.

Dans la foulée, Newell fait la connaissance de Lawrence “Lol” Elliott, avec lequel il se décide à fonder The Cleaners From Venus, un groupe destiné à enregistrer dans la plus pure démarche DIY, sur 4-pistes et à l’abri de l’industrie du disque. Le principe est de compenser les faiblesses sonores assumées – lesquelles font aussi son charme – par la qualité de l’écriture. Au dos du sublime Songs For A Fallow Land (enregistré en 1985 par le seul Newell, mais tout de même présent dans les coffrets de rééditions des Cleaners), on peut lire la note suivante : “Enregistré sur un 4-pistes dans une chambre à coucher et dans une pauvreté honteuse. On peut le faire. Maintenant, faites-le vous-mêmes. Et s’ils créaient une maison de disques où personne ne signe ? Ah, ah, ah !” Durant les premières années antérieures à The Greatest Living Englishman, de 1980 à 1986, le groupe enregistre ses plus grandes chansons et ses plus beaux albums, entièrement distribués sous le manteau par le biais de la microstructure ad hoc Man At The Off Licence.

Éminemment anglais, autant marqués par The Who, l’humour de The Kinks et les mélodies complexes de Syd Barrett (Newell a d’ailleurs commis la plus belle reprise de Late Night) que par le punk, ces carnets intimes témoignent d’une liberté toujours inouïe, comme le prouve le jazz expérimental du titre Midnight Cleaners. Trente ans plus tard, Marilyn On A Train, les deux moutures de Wivenhoe Bells 1&2, Time In Vain, Only A Shadow, Corridor Of Dreams, Gamma Ray Blue et Julie Profumo offrent des moments de féerie encore à peine égalés. On ignore si c’est la dèche, l’air de l’Essex, la méfiance vis-à-vis des labels, l’écriture de nombreux recueils de poèmes, d’articles ou d’une autobiographie (This Little Ziggy, 2001) qui entretient le plus, mais The Cleaners From Venus vient de faire paraître deux disques remarquables, drôles et émouvants – English Electric (Burger Records, 2011) et The Late District (Burger Records, 2013). Sans parler du tout neuf Return To Bohemia (2014), à paraître début 2015 en cassette, toujours sur Burger Records. À soixante ans, qui peut en dire autant ?

Xavier Mazure


“Salut chef !” C’est sur ces résidus sympathiques et flatteurs d’un glossaire francophone que Martin Newell décroche son téléphone. Un comble pour celui qui apparaît comme le papa – ou plutôt le papy – spirituel d’une flopée d’artistes qui s’inspirent de sa conception intransigeante d’un amateurisme pop à la fois ambitieux et éclairé. Remis de l’attaque foudroyante qui avait bien failli mettre un terme prématuré et définitif à sa vie et son œuvre, il partage donc avec une distance amusée ses impressions sur les honneurs qui lui sont tardivement rendus par rééditions interposées ainsi que des souvenirs distants d’une époque où chaque enregistrement de The Cleaners From Venus ressemblait à une profession de foi. [Interview Matthieu Grunfeld].

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Comment as-tu réagi lorsque Captured Tracks t’a contacté pour évoquer les rééditions des albums de The Cleaners From Venus ?
Martin Newell : J’ai été assez surpris à vrai dire. Mike Sniper m’a appelé un beau jour pour me proposer de ressortir tous ces vieux enregistrements et m’a soutenu mordicus qu’il y avait des gens qui voulaient entendre ces vieilleries qui moisissaient dans mon grenier. Je lui ai dit que ça me paraissait extrêmement difficile car la plupart des archives que j’ai conservées sont de très mauvaise qualité, notamment pour toutes les premières cassettes. Il m’a répondu qu’il pouvait se charger de restaurer ces bandes et de les nettoyer. En anglais, il y a cette expression populaire : “On ne peut pas polir de la merde.” C’est ce que je lui ai rétorqué ! (Rires.) Mais il n’a rien voulu entendre. Finalement, je suis très heureux qu’il ait insisté car le travail accompli est vraiment formidable. Comme chacun sait, j’ai toujours été extrêmement méfiant à l’égard de tout ce qui peut concerner de près ou de loin l’industrie musicale et le profit. Mais Captured Tracks ne ressemble à aucun des labels avec lesquels j’ai eu la malchance de travailler par le passé : ils sont efficaces dans le travail, ils respectent les délais annoncés, ils me demandent régulièrement mon avis, ils respectent mon opinion, et en plus ils me paient ! Pour moi, c’était à peu près aussi surprenant que de rencontrer une licorne. Je ne pensais pas qu’une chose pareille pouvait exister. (Rires.)

Lorsqu’on évoque l’héritage de The Cleaners From Venus, on ne retient souvent que la forme : le bricolage, l’indifférence aux imperfections du son, l’amour des mélodies. Or on redécouvre aussi à l’occasion de ces rééditions à quel point tes chansons étaient souvent très directement en prise avec un contexte politique particulier. Concevais-tu aussi la musique comme un acte de résistance ?
Oui, tout à fait. En tout cas, c’est très clair pour un album comme Under Wartime Conditions (1984). Au départ, je n’étais pas politisé, mais j’ai eu l’occasion d’être le témoin direct de la grande grève des mineurs et surtout de la répression extrêmement violente imposée par Thatcher. La police anglaise possède cette image assez bon enfant parce que tout le monde pense que les agents ne sont pas armés, mais ce n’était pas du tout le cas. À cette époque, les troupes ont commencé à se comporter exactement de la même manière que vos CRS. J’ai vu des gens se faire presque massacrer sans la moindre retenue. Surtout, ce qui m’a révolté, c’est qu’il ne s’agissait pas seulement d’un conflit politique entre des syndicats et des patrons. Il s’agissait vraiment d’imposer violemment aux gens une nouvelle conception de la société fondée sur l’individualisme et l’appât du gain. Et de détruire au passage tous les liens traditionnels auxquels je reste profondément attaché.

Selon toi, quels sont les points communs qui peuvent exister entre tes anciennes chansons, souvent imprégnées de références à une identité culturelle typiquement britannique, et les jeunes artistes contemporains américains produits par Captured Tracks ?
À vrai dire, je ne connais pas bien tous ces groupes. L’année 2013 a été difficile pour moi puisque j’ai passé le plus clair de mon temps à l’hôpital. Mais depuis que je suis rentré à la maison, je n’arrête pas de travailler – j’ai l’impression d’avoir retrouvé une seconde jeunesse. J’écoute donc peu de musique car je passe mon temps à composer et à écrire. Je ne lis pas non plus la presse musicale. Pour ce que j’ai eu l’occasion d’entendre, il me semble que nous partageons avant tout une certaine passion pour le songwriting au sens classique du terme. Toutes mes idoles ou mes modèles sont aussi des songwriters. Plus je vieillis, plus je me dis que l’écriture d’une chanson pop est une forme d’art à part entière, avec ses exigences et ses règles particulières qui ne sont ni celles de la musique, ni celles de la poésie. C’est ce que j’ai toujours essayé de faire, y compris avec The Cleaners From Venus quand nous n’avions aucun moyen matériel et des compétences pour le moins limitées.

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