Désormais réduit à son trio majeur – le chanteur-guitariste Christian Quermalet, le touche-à-tout Philippe Lebruman et le batteur Jean-Michel Pires –, The Married Monk publie seulement son quatrième album en dix ans, le fantastique et audacieux The Belgian Kick. Soit l’occasion de revenir avec ces “trois têtes de lard” sur une discographie exemplaire à travers dix personnalités qui l’ont idéalement pimentée.

INTERVIEW Franck Vergeade
PARUTION magic n°79

Jim Waters

Christian Quermalet : Par quoi commence-t-on ? (Sourire.) On a contacté Jim à l’époque de notre deuxième album, en 1996. On le connaissait entre autres pour son travail avec les Little Rabbits. Ayant une brochette de titres très acoustiques, on recherchait quelqu’un qui soit à cet opposé. D’où la production un peu mutante de The Jim Side. Ce n’est pas le son auquel on est habitué d’ordinaire avec ce type de chansons. On a donc renouvelé l’expérience pour le disque suivant en se rendant cette fois chez lui, à Tucson. On a été moins satisfait du résultat final, mais on en était en partie responsable. Rétrospectivement, je pense que R/O/C/K/Y était un album intermédiaire, enregistré à la va-vite.

Philippe Lebruman : Jim est excellent pour saisir un groupe live. C’était donc parfait pour The Jim Side Lp, moins pour R/O/C/K/Y.

CQ : En arrivant à Tucson, on ne connaissait ni l’endroit, ni le matériel dont on allait disposer. On était comme dans un laboratoire. On aurait peut-être dû s’y prendre autrement. Sur The Belgian Kick, c’est Jim qui a fait les prises, puis il a dû se retirer pour des raisons personnelles.

PL : Ce n’était peut-être pas le bon moment pour retravailler avec lui.

CQ : Surtout que c’est un disque de détails. Tous les jours, on lui apportait des petits bouts différents. C’était donc plus difficile à gérer. Mais Jim reste notre ami, avec qui on partage des influences communes.

 

Fabrice Laureau (F.Lor)

PL : Sans lui, on n’aurait jamais pu achever le disque dans le temps imparti, c’est-à-dire en quinze jours.

CQ : Je connaissais Fabrice à travers les albums de Yann (ndlr. Tiersen). Je l’avais déjà vu à l’œuvre en studio, et je savais donc qu’il bosse rapidement et a du sang-froid. Pour lui, c’était pas facile de se retrouver ainsi parachuté sur un enregistrement aussi avancé. Mais il n’était pas juste un mixeur, puisqu’il a enregistré toutes les voix.

PL : Avec le recul, je me dis qu’on a eu du pot de tomber sur lui.

CQ : D’autant que c’est un type très ouvert au niveau du son, qui m’a été d’un très bon conseil pendant les prises voix.

 

Johnny Cash

Il est cité dans le morceau d’ouverture, Tell Me Gary, qui a été écrit peu de temps après sa mort. En fait, je cherchais une rime en H. (Sourire.) J’aurais pu tout aussi bien choisir le nom d’Arthur Ashe… Plus sérieusement, Johnny Cash fait partie des songwriters américains classiques qu’on affectionne. Mais je ne pense qu’il ait grand rapport avec l’album. Le morceau en question est une collection de trucs débiles, sans fil conducteur très précis. Au départ, on l’avait envisagé comme un instrumental, mais la voix accentuait bien son côté décalé. On l’a construit petit bout par petit bout, parfois de manière phonétique.

PL : On n’est pas dans le format de la chanson.

CQ : Moi, je voyais ça comme une ouverture d’album à la manière des Pixies : un morceau rentre-dedans dont ils avaient le secret.

 

Yann Tiersen

Beaucoup de choses ont déjà été écrites au sujet de notre collaboration. J’ai donc pas forcément envie de me répéter. Là encore, on a eu de la chance.

PL : Pour The Belgian Kick, on avait un budget assez limité. Il nous a donc proposé d’utiliser son studio, qui n’est pas très grand, mais qui est super bien équipé.

CQ : C’était confortable d’être dans un endroit aussi chaleureux, sans l’ambiance classique du studio. Yann portait une oreille attentive à ce qu’on faisait. Ses avis étaient souvent constructifs. Pour la première fois, on a assumé un rôle de producteur. En travaillant en amont, on a énormément dégrossi les compositions et le son. Jusque-là, on avait tendance à se reposer sur les autres. On a tellement été marqué par notre première expérience avec Jim, qu’on lui a ensuite laissé faire sa cuisine. C’est le principal défaut de R/O/C/K/Y.

PL : Au moins, s’il y a une merde sur The Belgian Kick, on saura à qui s’en tenir. On est seul responsable.

 

Zoé Inch

CQ : Elle collabore avec le groupe depuis le premier album, There’s A Rub. Elle fait des chœurs et signe parfois des paroles, comme Bird On Board, sur The Belgian Kick. Zoé a aussi travaillé avec Cosmo Vitelli sur un titre de son disque, Clean (ndlr. Come On, Generation Clone). En dehors de ces activités, elle est surtout réalisatrice de cinéma expérimental. Son dernier moyen-métrage s’appelle The Take Project.

 

Captain Beefheart

PL : C’est un choix de reprise comme on en a fait par le passé. J’ai choisi Observatory Crest, sans être un fan absolu de Captain Beefheart. Il suffit qu’on aime une chanson pour décider de la reprendre.

CQ : Quand on fait écouter notre version, les gens ont du mal à croire qu’il s’agit de Captain Beefheart. Ils doivent se dire que ce n’est pas assez barjot pour être du Beefheart. Pourtant, notre cover est plus décalée que l’original, qui est d’une facture pop.

PL : Oui, c’est un des morceaux les plus classiques de leur répertoire. Ce n’est pas forcément représentatif de la discographie du groupe.

CQ : C’est excitant d’être à genoux devant une chanson, puis de se laisser aller avec. C’est juste du plaisir, que ce soit Kate Bush, les Ramones ou les autres.

PL : C’est un truc de fan. On l’appréhende très simplement.

CQ : C’est aussi une manière détournée de dire d’où l’on vient, et de montrer notre éclectisme.

Stéphane Grégoire

Ah… À toi, Mitch ! (Sourire.) T’es concerné trois fois. (nldr. The Married Monk, Bed et Headphone)

Jean-Michel Pires : Je ne sais pas trop quoi dire.

PL : Laisse parler ton cœur. (Sourire.)

JMP : Un redoutable adversaire aux échecs.

PL : Pas à l’échec. (Sourire.) C’est le patron d’Ici D’Ailleurs…, il habite à Nancy.

CQ : SARL Ici D’Ailleurs… (Sourire.)

PL : On l’a rencontré à l’époque où l’on est parti de Rosebud, après The Jim Side.

CQ : Il ne connaissait pas le groupe, sinon de nom. On s’est rencontré après un concert avec Yann, à Nancy, en 1998. Cherchant un label, je lui ai fait passer un disque. Puis il m’a rappelé, emballé. Grâce à lui, on a pu sortir deux albums. Sinon, je ne sais pas où l’on en serait aujourd’hui. On n’existerait peut-être plus… C’est une petite structure, donc tout est toujours sur le fil.

PL : On est conscient de ses difficultés financières. Nos relations sont parfois conflictuelles, mais je pense que c’est partout pareil.

CQ : C’était déjà le cas à l’époque de Rosebud et Barclay, même si les budgets étaient tout autres.

PL : Stéphane nous laisse faire à notre guise. Parce que ce ne doit pas être évident de travailler avec nous. On sait qu’on a des idées assez arrêtées.

CQ : Ce qui est bien, c’est qu’on a carte blanche pour tout.

 

The Jim Side Lp

Il va bientôt être réédité.

PL : C’est bien parce qu’il avait été retiré des bacs, et que l’on a souvent eu des demandes, en particulier de l’étranger.

CQ : Il y avait un titre sur la BO du film À La Verticale De L’Été (ndlr. réalisé par Tran Anh Hung), et on a souvent été contacté par ce biais-là. Les spectateurs qui avaient aimé Tell Her Tell Her cherchaient donc à se procurer l’album. À l’époque, on en a dû vendre mille exemplaires de The Jim Side, ce qui est toujours humiliant. (Sourire.) Sans que ce soit l’album du siècle, on a envie de le faire partager à un plus grand nombre. D’ailleurs, c’est encore celui qui peut rassembler le plus de gens différents. Parce qu’il a une ambiance particulière, qui est assez fédératrice.

PL : C’est un disque qui a été très mal travaillé. Ou qui est sorti à la mauvaise période.

CQ : En ce qui me concerne, je n’avais jamais entendu ce type de ballades de la part d’un groupe français. On ne faisait partie d’aucune chapelle.

PL : Je me souviens qu’à l’époque, c’était la mode du grunge.

CQ : Comme maintenant… (Sourire.) Au niveau du son, c’est l’album qui a le mieux vieilli. C’aurait donc été dommage qu’il reste aux oubliettes. En revanche, je n’ai aucune envie de ressortir le premier Lp. Parce que c’est un coup d’essai. On était alors des novices.

PL : C’est aussi grâce à The Jim Side qu’on a connu Jean-Michel. Il était fan du disque.

 

Stéphane Bodin

Bon claviériste, bon bassiste, bonne énergie.

CQ : C’était fun avec lui.

PL : Nos relations se sont un peu dégradées au fil des concerts. Il a été également déçu de la manière dont les choses se passaient sur The Jim Side.

CQ : Il avait sûrement en gestation un autre projet. Ce qui est généralement le cas de des personnes qui ont fait partie du groupe. (Sourire.)

PL : Quand il a monté Bosco, on a été en froid pendant un ou deux ans. Avec Christian, on était à la fois surpris et déçu par son départ.

CQ : D’autant que la formation fonctionnait bien. Peut-être qu’il ne s’imaginait pas refaire un autre Jim Side, mais nous, non plus. Un jour, on organisera une soirée avec tous les mecs qui ont joué dans le groupe. Ça doit faire une bonne dizaine. (Sourire.)

 

Fabio Viscogliosi

C’est un peu pareil qu’avec Stéphane, en dehors du fait qu’il est devenu chanteur dans le groupe. Il était donc forcément plus investi. Sur R/O/C/K/Y, il a apporté deux compositions et sa reprise de Lucio Battisti. Malheureusement, il y a eu des déclarations ambiguës qui n’auraient pas dû circuler. Une rivalité a été créé entre nos deux voix, alors qu’il n’y en avait pas. Le problème, c’est qu’on a tourné dans des conditions difficiles. Et comme nous sommes tous des têtes de lard bien trempées, ça a parfois clashé. Peut-être avait-il déjà envie d’écrire pour lui.

PL : Il a eu des difficultés à tout gérer.

CQ : C’est comme si je n’avais jamais fait de musique et que j’avais commencé dans une telle formation, ça m’aurait sûrement donné des idées. D’ailleurs, c’est ce qui m’est arrivé à l’époque de Swam Julian Swam. Toutes les personnes qui ont appartenu au groupe ne sont pas allées se compromettre ensuite.

PL : Chacun mène sa barque comme il peut. Et puis, ça permet à Jean-Michel de vivre. (Sourire.) Parce qu’il se retrouve à chaque fois embarqué dans les projets.

CQ : C’est con qu’Emma n’existe plus, parce que tu pourrais aussi jouer avec. (Sourire.)

 

Étienne Jaumet

C’est un type qu’on croise à Mains d’Œuvres depuis plusieurs années. C’était une belle rencontre, parce qu’il ne fait pas de chiqué et va droit au but. Dès qu’on a appris qu’il jouait du saxo, on lui a proposé de travailler sur des démos. Il nous accompagnera sur scène. Sur le disque, il y a plusieurs types de saxo : certains fleurtent avec le mainstream, d’autres dérapent un peu plus.

PL : Il est aussi ingénieur du son.

CQ : D’ailleurs, la première fois qu’on a joué à Mains d’Œuvres, c’est lui qui avait fait notre son.

Un autre long format ?