Crédit Ilenia Tesoro ©

Le roi de la douce mélancolie pop a choisi d’écrire un sixième album sans fard, ni excès. Son objectif ? Créer un "message clair" et instaurer une conversation, "comme dans un face à face".

Vous m’avez bien cerné. Je suis un tocard mal luné. J’aime bien me complaire dans cette atmosphère”, plaisante Patrick Watson, quand on lui demande s’il n’est pas un peu trop indulgent avec sa mélancolie. Cette ambiance, c’est la principale marque du travail du songwriter canadien depuis presque vingt ans. Wave, le sixième album du Montréalais, sort vendredi 18 octobre chez Domino Records et s’inscrit dans cette continuité. 

Il aura fallu quatre ans, et beaucoup de bouleversements dans sa vie – le décès de sa mère malade, une rupture amoureuse, le suicide d’une amie – pour inspirer cet opus, voulu comme une “pause” introspective. Mais attention. Patrick Watson n’est pas triste. “Je ne veux pas que les gens pensent que je me plains, assure-t-il en début d’interview. Je ne supporte pas ces artistes qui me racontent une longue histoire bien triste et veulent me dire à quel point leur vie est dure. Moi, je suis un type très heureux.”

Le musicien est apaisé. Et son album Wave (“Vague” en français, ndlr) en est le manifeste. “Quand les vagues arrivent, elle te frappent, elles te font ressentir plein de choses étranges, explique Watson. Et tu te dis ‘bon, ces vagues sont trop grandes. Si j’essaie de nager, je vais me noyer. Donc je vais juste les laisser me secouer pendant un temps, et ensuite, quand ce sera le bon moment, je nagerai. Si j’essaie de nager maintenant, je meurs’.”

La vague watsonienne emporte gentiment, dense comme une onde atlantique et vaporeuse comme un nuage. Le titre The Wave le montre parfaitement, avec sa progression magistrale qui décrit subtilement un voyage vers l’au-delà.

L’image de l’eau qui nous submerge, on la retrouve aussi dans Here Comes the River, où une instrumentation de piano et de violons qui réchauffent le coeur enrobe un paysage apocalyptique. En français, cela donne : “Les fenêtres se transforment en bocaux à poissons / La ville en mers / Les voitures se noyaient sous tes pieds / Les enfants nageaient à la cime des arbres“. Un texte poétique qui cristallise l’album en un moment de silence.

“Parfois, tu veux juste prendre une pause

On est dans un monde assourdissant, et je suis à l’opposé de ça, de ce qui va vite et reste facile. Cet album est une réponse à ça“, détaille le musicien initialement formé au jazz et à la musique classique. “Parfois, tu veux juste prendre une pause. Un peu comme Talk Talk et leur album Spirit of Eden, cet album bizarre des années 80 qui ne fait pas vraiment années 80. Je me suis dit que j’allais créer cet étrange et précieux bijou, installé dans un paysage vraiment bruyant, pour m’amuser.

Wave est donc plus qu’une classique ode à la mélancolie, comme sait déjà le faire cet ancien enfant de choeur d’église. Cette fois, l’intention est de créer une conversation profonde. “Pour Love Songs for Robots (son album précédent, ndlr), j’ai senti que le titre avait vraiment influencé les gens et la façon dont ils ont écouté l’album, se rappelle l’artiste. Ils pensaient que c’était un album de science-fiction, pas vraiment touchant ou intime.

Cette fois, j’ai vraiment réfléchi sur la façon dont je pouvais emmener les gens là où je voulais aller, insiste-t-il. Je me suis dit : ‘Je vais faire ce disque magnifique et touchant, je vais faire en sorte qu’il soit direct et pas du tout abstrait. Je veux qu’on ait l’impression que ce soit comme si j’étais en train de te parler, comme si j’étais dans la même pièce et qu’on discutait de façon vraiment sincère’.” Le titre Look At You, et ses paroles amoureuses (en français, “Il y a une lumière scintillante au fond de mon esprit(…) / Je crois que c’est juste ma façon de te regarder“), en sont un exemple. Et puis il y a le titre-phare de l’album, Broken, dont la rengaine  (“Do you feel a little broken?”) enchante ses auditeurs les plus mélancoliques depuis sa sortie en single, il y a près de deux ans.

Patrick Watson assume sa place hors de l’espace-temps bruyant de la pop actuelle “Je n’ai jamais vraiment eu de place dans la musique, j’ai plutôt été ce truc entre plusieurs trucs“, admet-il. Mais il n’est pas resté imperméable aux récentes montées en puissance du rap et du hip hop dans la pop occidentale. “J’ai écrit, genre, douze sons hip hop, qui sont très mauvais, avoue-t-il. Mais je les ai faits parce que je voulais explorer l’aspect convaincant des mots et leur articulation avec la musique. Je savais qu’ils seraient nuls, mais je trouvais ça amusant. Au final, ça se ressent dans les chansons Turn Out The Lights ou Strange Rain, décrit-il encore. Je ne chante pas la fin des mots, je ne tiens pas les notes très longtemps, elles sont plus sèches. C’est plus parlé que chanté.”

“Je nie l’idée que ma musique soit triste”

Son travail sur une chanson de Leonard Cohen lui a aussi appris à envisager l’écriture autrement. Pour l’album posthume Thanks For The Dance, à paraître le 22 novembre et produit par Adam Cohen, le fils de la légende, Patrick Watson était chargé d’écrire l’arrangement d’un enregistrement audio de la voix du chanteur canadien. Il en a tiré une leçon :  “Le plus gros danger, c’est d’envahir la chanson, ou d’en dire trop alors que quelqu’un parle déjà, explique le songwriter. Là, il fallait le laisser parler, et faire en sorte de rendre son message le plus clair possible. Ça a vraiment changé ma façon d’écrire mes paroles et mon intention dans l’écriture.”

Tout ce travail d’apprentissage a permis à Patrick Watson d’assumer. De piocher et de construire des bijoux parfois éloignés de son habituelle fabrique, étrange et onirique. Comme Melody Noir, déjà sortie l’année dernière en single, qui semble tout droit sortie de l’Amérique du Sud. “Pour Melody Noir, il y a plus qu’une influence. J’ai presque envie de dire que c’est à la limite du vol, admet-il, en plaisantant à moitié. Ce n’est pas du vol de droits, mais, implicitement, dans l’intention, ses mélodies et sa façon de chanter… J’étais tellement inspiré par ce que Simon Diaz (un chanteur folklorique vénézuélien, ndlr) faisait, que j’ai voulu lui rendre hommage.” Un titre bercé dans la chaleur des guitares acoustiques vénézuéliennes, mais marqué par une pointe de désespoir, de noirceur (“You are the sweetest melody I never sung/tu es la mélodie que je n’ai jamais chantée“). Est-ce qu’il ne serait pas finalement un peu triste, ce Patrick ?

Je nie totalement l’idée que ma musique soit triste, insiste-t-il. Tout en moi le nie. Je reste très strict sur l’idée de garder la tête haute. Si ma chanson ne te fait pas lever la tête, je ne la diffuse pas. J’ai écrit des chansons très sombres et seulement sombres, et je trouve ça gênant. Une chanson triste mais qui t’emporte, c’est plus intéressant. Elle nous inspire au lieu de nous désespérer.” Une bonne leçon de composition.

Repères
1979 : Naissance de Patrick Watson aux États-Unis
1983 : La famille Watson s’installe au Québec. Petit, Patrick Watson apprend le chant dans une chorale d’église
2003 : Sortie du premier album de Patrick Watson et son groupe, Just Another Ordinary Day
2012 : Sortie du quatrième album de Patrick Watson, Adventures in Your Own Backyard, un succès public et critique
2017 : Sortie du single Broken, qui apparaît à plusieurs reprises dans des séries télé américaines
2019 : Patrick Watson sort son sixième album, Wave

Un autre long format ?