Il n’était pas dans les quarante noms des groupes en devenir qui font la scène française d’aujourd’hui car cela fait plus de vingt ans qu’on suit le travail et les identités protéiformes de Matthieu Malon. On l’a suivi avec Laudanum mais aussi sous son seul nom, il est revenu en octobre avec son quatrième disque solo, Désamour. Un disque bilan, douloureux, témoin d’une séparation. Pourtant, le monsieur est discret, peut-être trop. On a voulu lui rendre justice.

Désamour, ton dernier disque semble venir clore une forme de trilogie autour des relations humaines, le couple en particulier. Tu disais dans une interview à l’occasion de Peut-être un jour, ton troisième disque en 2014 : «Je crois que j’ai quasi arrêté de parler directement de moi, et même quand je raconte quelque chose à la première personne, ça peut être juste une transposition.» Pourtant avec Désamour, tu sembles revenir à quelque chose de plus directement personnel…

Le thème de  Désamour n’était pas prévu au programme. C’est effectivement une trilogie qui raconte toutes les étapes que l’on peut vivre dans une relation amoureuse. Froids, le premier disque, j’avais 25 ans, je vivais à Paris, je découvrais les sorties et les fêtes à gogo, je rencontrais des filles… Des aventures sans lendemain. Forcément à 25 ans tu ne te poses pas les questions qui viendront plus tard. Le deuxième album, on est déjà plus dans la recherche de l’amour, les relations compliquées que tu voudrais voir durer. Peut-être un jour, c’est l’album du vieux con, le disque de la maturité du mec marié qui a des enfants et qui a d’autres préoccupations dans sa vie. On y sent déjà les difficultés de couple. Je le disais déjà dans mes chansons et pourtant je l’ai pas vu venir. Quand j’étais interviewé à cette époque-là, je me disais que j’avais fait le tour de la question sans savoir ce que j’allais traverser ensuite. On n’en meurt pas, du moins on essaie. On le sentait en filigrane dans mes autres disques mais là c’est le coup de massue.

Quels sont les grands écueils du disque ayant pour thématique la séparation ?

Le premier mot qui me viendrait comme ça ce serait la mièvrerie. On peut vite tomber dans le pathos. J’ai eu le temps d’analyser et de vivre autre chose avant de me dire : «Tiens, je vais écrire là-dessus». L’autre écueil ce serait de vouloir se venger par procuration. Cela ne sert à rien de mettre de la rancœur dans un disque. C’est peut-être sur Dégage où je dis les choses les plus dégueulasses. Tu sais, ce moment dans la vie d’un couple où le conflit est tellement fort que tu sais qu’il n’y a plus rien à se dire

Parler de trilogie, cela évoque à coup sûr d’autres trilogies musicales, celles des Cure bien sûr auxquels on pense souvent à l’écoute de Désamour. Tout est parti de l’achat d’une Basse VI semble-t-il ?

J’avais une idée qui me trottait depuis longtemps dans la tête, je voulais faire un album «à la façon de» et plus précisément à la façon des Cure période Pornography car cet album fait sans doute partie des dix disques que j’amènerai avec moi sur une île déserte.  J’ai trouvé plein d’informations sur la trilogie et la session d’enregistrement de Pornography dans un petit bouquin sorti chez Discogonie par Philippe Gonin. Je voulais me rapprocher au plus prés. Cela passait par le principal instrument qui est le fil conducteur de cette trilogie qui est la Basse VI de chez Fender. C’est une basse six cordes, elle n’est pas baryton. C’était un instrument à part, introuvable et qui coûte un bras, réédité depuis peu à des prix plus abordables. Je m’en suis procuré une. Cela a été une totale redécouverte d’un instrument que je pensais connaître sous toutes les coutures. Avec cette basse, il y a une vie avant et après. J’ai essayé de trouver des claviers approchants ceux qu’ils utilisaient. L’album s’est lentement construit autour de ça. L’aspect romantique de cette musique de l’époque collait parfaitement à ce que j’avais envie de raconter. Ouverture, c’est un total hommage à Pornography le titre qui finit le disque. J’ai rajouté par-dessus la même nappe de clavier employée par The Cure. C’est au-delà de l’exercice, je voulais reproduire un climat.

Tu dis de Désamour qu’il marque la fin d’un cycle. Cela te donne envie de relancer laudanum, en sommeil depuis une dizaine d’années ?

J’avais dit : «laudanum, c’est fini». Comme quoi, il ne faut jamais dire jamais. Cela fait un moment que je n’ai pas touché à ces machines et je me suis demandé ce que cela donnerait si je m’y remettais. J’ai commencé à travailler sur de nouveaux morceaux. Je m’étais séparé de mon sampler depuis quelques années, j’ai cherché un équipement qui se rapprocherait le plus de ce que j’utilisais avec laudanum pour retrouver cette espèce de frisson initial quand je samplais et que j’essayais de faire se mélanger des choses à la base non composées par moi et d’en faire quand même des chansons.

Qu’ont en commun ces deux projets, laudanum et Matthieu Malon, clairement cloisonnés l’un de l’autre ?

Déjà formellement, ils sont tous les deux signés sur le même label, Monopsone car à la base je n’étais chez eux que pour laudanum. Quand je me suis retrouvé le bec dans l’eau avec l’envie de faire un troisième disque en 2010, naturellement, ils m’ont dit : «Viens chez nous si tu ne trouves personne d’autre». J’avais déjà eu une expérience de démarchage de label en 2004 avec Les jours sont comptés. J’avais eu des contacts avec pas mal de maisons de disques et je m’en étais pris plein la gueule.  Le deuxième point commun, c’est sans doute ma collaboration dans les deux projets avec Pierre Emmanuel Mériaud depuis 1995. On est un peu comme un vieux couple, il sait combler certaines de mes carences d’un point de vue technique. C’était peut-être encore plus vrai avec laudanum car il est un très très bon programmateur de machines.

Tu disais dans une interview «qu’il n’y avait quasiment plus de place pour des petits projets comme le tien». Pourtant, aujourd’hui, on voit de nouvelles alternatives de diffusion, Bandcamp, les micro-labels, La Souterraine. Doit-on être pessimiste ou peut-on se laisser aller à un optimisme bienvenu ?

A l’époque, ce n’était pas tout à fait ce que je voulais dire, j’étais dans une démarche de recherche de labels et je ne savais pas où aller. Les labels ne semblaient pas emballés par mon projet. En plus, j’avais constaté qu’avec le troisième laudanum que cela commençait déjà à être compliqué en 2010 d’avoir des chroniques dans les journaux, que plus cela allait plus cela passait par les webzines et Internet. J’avais donc tiré ce constat que sans label, sans tourneur ou sans chroniques, c’est compliqué d’avoir une place. Aujourd’hui, tu achètes une carte son, un bon pc et tu peux commencer à composer de la musique. Le problème c’est qu’il y a peut-être trop d’offres. Ce qui complique les choses pour des projets disons «plus crédibles». En 2013, c’était déjà le problème majeur. En 2018, c’est pire encore. Heureusement qu’une flopée de webzines a apprécié le disque. Il faut s’accrocher pour sortir un disque et le défendre autrement. Ce qui disparaît c’est la notion d’album. Ce qui intéresse la jeune génération c’est LE titre, même plus le Single. Raconter une histoire tout au long d’un album n’intéresse plus. Je suis peut-être un peu vieux con et nostalgique sur ce coup-là car c’est toujours ce qui m’intéresse et fort heureusement il y a encore des gens qui sortent des disques dans cette optique-là sans être du remplissage autour d’un titre.

Quels sont les cinq disques de séparation majeurs selon toi ?

Le premier, je l’ai découvert tardivement en regardant une série documentaire sur les techniques d’enregistrement sur Arte, Soundbreaking. Il y avait Frank Sinatra et In The Wee Small Hours. Même si je connaissais des tas de standards de Sinatra, je ne connaissais pas ce disque incroyable. Le documentaire expliquait que c’était le premier disque enregistré sur la séparation amoureuse qui a été un Best Seller.

Le deuxième, il est capital à mes yeux, c’est peut-être LE disque ultime de séparation, c’est Remué de Dominique A. Il compte parmi les disques français importants pour ma génération. Il fait partie avec d’autres disques de Dominique comme La Fossette ou des disques de Philippe Katerine, Miossec, Diabologum ou Mendelson de jalons fondateurs. C’est le disque de la séparation avec Françoiz Breut même si tout le disque ne parle pas que de cela, cela revient souvent jusqu’au dernier morceau, Le Morceau Caché qui est totalement incroyable.

Le troisième auquel je n’aurai pas pensé spontanément c’est Exile In Guyville de Liz Fair qui est dans mes cinquante disques préférés. Je le connais par cœur. C’est peut-être son seul vrai bon disque car après cela a été un peu la dégringolade. Je me le suis pris en pleine gueule quand il est sorti en 1993, merci Bernard Lenoir. C’est vraiment le disque sur les séparations d’une College Girl avec un grain de folie et un humour grinçant passionnant.

https://www.youtube.com/watch?v=RCP-UIs2kpM

Mon quatrième, c’est un groupe très cher à mon cœur, c’est Thirteen de Blur sorti en 1999, c’est la séparation de Damon avec Justin. Elle, peu de temps après, a fait le deuxième disque d’Elastica qui traitait pas mal de ces questions-là aussi. Ce Thirteen c’est un des disques noirs de Blur.

En dernier l’outsider, c’est Chansons d’amour d’Alex Beaupain. Il raconte d’autres choses car c’est une autre forme de séparation car la mort est dans l’histoire. Le film est génial et cela a été ma rencontre avec Alex Beaupain. Pour moi c’est ce qu’il a fait de mieux sur les questions d’amour et de désamour.

Grégory Bodenes

Un autre long format ?