Quelles images a-t-on en tête quand on écrit une chanson ? Plus que des textes ou des musiques, ce sont parfois des films ou des photographies qui inspirent les musiciens. On a demandé à Lenparrot, qui a sorti son premier album And Then He au début du mois, délicat autoportrait pop-RnB, de nous le décrire avec des images.

 

Après deux premiers EPs remarqués, Aquoibonism (2015) et Naufrage (2016), le jeune Nantais dévoile avec And Then He 13 saynètes ou courtes histoires musicales qui, ici réunies, forment une galerie de portraits intimes, masculins-féminins, personnages fictifs ou réels, comme une autobiographie chantée, ou rêvée. L’album dessine ainsi celui, impudique et émouvant, de Romain Lallement, que l’on a pu croiser auparavant avec Rhum For Pauline, ou sur le premier album de Pégase.

Le chant de Lenparrot alterne désormais voix de tête délicate et féminine, et voix de poitrine, chaude et grave, se posant avec douceur sur des arrangements pop ou R’n’B minimalistes, cotonneux, oniriques. Cette androgynie vocale permet à ce fan de Freddie Mercury de multiplier les personnalités, les rôles et les genres. Adepte de la citation (il tient son nom d’artiste de l’album « Len Parrot’s Memorial Lift » de Baxter Dury) et d’une esthétique épurée (un son de basse, une boîte à rythme, un synthétiseur), il a cependant fait appel à Julien Gasc (Aquaserge) pour la production et à Yuksek pour le mixage. Soutenu aux arrangements par son partenaire de longue date Olivier Deniaud, Lenparrot s’entoure aussi de prestigieux invités amicaux : Christophe Chassol à la basse et au Rhodes sur « Vincent » ; un quatuor de choristes de rêve sur « Ur Boat » :  Cléa Vincent, Michelle Blades, Juliette Armanet et Fischbach.

« Pour une seule chanson il y a souvent plusieurs sources d’inspiration, explique Lenparrot. Il y a du vécu, mais aussi des histoires que je me raconte ou des souvenirs déformés par le temps, l’inconscient. « And Then He » a une part autobiographique, mais souvent le vécu croise le rêve ou le fantasme. Je relis régulièrement les textes de Lou Reed, c’est ma référence absolue en terme de storytelling. Et il y a aussi beaucoup d’images qui ont servi de bases de travail ». Justement, ce sont ces images qui vont servir de portes d’entrée à l’album de Romain, une par une, chanson après chanson. Bienvenue dans le moodboard de Lenparrot.

MONDAY LAND

Teresa Banks, Twin Peaks

Lenparrot : «Durant l’écriture de l’album, j’étais totalement immergé dans l’univers de Twin Peaks – notamment ce plan sur Teresa Banks issu des scènes coupées de Fire Walk with Me. L’idée de départ de Monday Land était vraiment: “Imagine un monde où nous serions toujours lundi”. Elle s’inspire de cette conversation téléphonique, comme si Leland Palmer lui suggérait de s’enfuir in extremis avant que le sort ne s’acharne sur elle.»

THE BOY WITH THE GOLDEN SMILE

Jane Birkin

«Je me figurais ce personnage androgyne revenir dans la ville où il a grandi, retrouver le beau garçon qui l’a baisé pour la première fois. Qui était beau et charmant, qui lui a fait mal mais dont il était fou. Celui qui l’a rendu adulte. En regardant un documentaire sur Gainsbourg, j’avais effectué un close up sur le visage de Jane Birkin. Il devenait alors difficile de savoir s’il s’agit d’un garçon ou d’une fille. C’est ce personnage androgyne qui s’exprime dans cette chanson, et revient sur son éveil amoureux – façon Mysterious Skin d’Araki.»

INNER PLACE

Mya Farrow (Rosemary’s Baby)

«J’ai gardé Inner Place en tête près d’un an avant de l’enregistrer, c’est cette chanson qui m’a poussé à commencer Lenparrot. La veille de l’enregistrement, j’avais regardé Rosemary’s Baby. Ce plan sur le dos de Mia Farrow m’avait fasciné. Il est lacéré, sans qu’elle sache pourquoi. Inner Place raconte cela : panser de vieilles blessures, comprendre leurs origines.»

MASCULINE

Life’s a Beach – Martin Parr

« Masculine s’inspire d’une photo de la série Life’s a Beach réalisée par Martin Parr. Je lis trop peu, et tente de limiter les références musicales – par peur de plagiat. Aussi, les supports visuels ont une part indissociable de certains titres, comme ici. Le Julian de ma chanson, c’est ce beau type nonchalant allongé sur la plage – caché derrière cette paire de lunettes incroyable. Toute l’histoire m’est venue en contemplant ce cliché.»

3

François Hardy

«Ça parle du triangle érotique, d’une recherche éperdue de la jouissance qui parfois ne peut s’atteindre à deux. Il y a beaucoup du Message Personnel de Françoise Hardy dans cette chanson. À la différence que mon narrateur n’est pas seul, contrairement aux paroles de Berger. Le message ici serait plutôt : “Et cours, cours jusqu’à perdre haleine. Viens nous retrouver”».

SPIDERMOUTH

Rauchbild (Zero) – Otto Piene

« Spidermouth est une ode funèbre, une chanson écrite après la mort d’un ami. C’est au piano, en trouvant les premiers accords de cette chanson, que cette toile d’Otto Piene m’est réapparue. Son caractère hypnotique, inquiétant, la violence des couleurs altérées par la fumée (Otto Piene intégrait souvent du feu ou des solvants dans son processus de création): je souhaitais transcrire les sensations éprouvées à la vue de cette peinture. Grâce à la ligne de basse d’Olivier, aux arrangements de Julien et au mix spectral de Yuksek, la consigne a été respectée.»

VINCENT

«J’avais besoin d’une porte dérobée pour écrire cette chanson sur mon père. C’est avec cette photo, prise un an avant ma naissance, que j’y suis arrivé. Jusqu’alors je m’étais interdit d’aborder ce sujet par peur d’être gauche, gros sabots. Redécouvrir son visage sur ce cliché a comme libéré la parole.»

WOE BETIDE YOU

Mystery Man (Lost Highway) – Lynch

«Lynch a une nouvelle fois servi de base d’écriture. En revoyant Lost Highway, j’ai découvert son utilisation du ruban de Möbius comme trame narrative – notamment pour illustrer le trouble dissociatif d’identité de ses personnages. Woe Betide You est un sort jeté par un Mistery Man semblable à celui du film. La personne à qui il s’adresse cherche à le fuir par tous les moyens. Peine perdue, ce ne sont au final qu’une seule et même personne.»

MY GARDENER

Tom de Pékin

«Olivier avait cette intégrale de Tom of Finland dans le studio où nous répétions, ç’a fini par me donner des idées. En l’occurrence, l’histoire de ce jardinier gay brimé par sa supérieure bigote m’est venue après avoir découvert le travail de Tom de Pékin.»

UR BOAT

Habla Con Ela – Almodovàr

«Ici, l’envie était simplement d’écrire une chanson d’amour. J’ai grandi avec Elton John, Lennon & McCartney – des titres comme Jealous Guy. En grandissant, c’était All We Ask de Grizzly Bear. Quelque chose qui mêle mélancolie, rêve et érotisme. Je me suis souvenu de cette scène dans Parle Avec Elle d’Almodovàr, où un lilliputien s’en va explorer l’origine du monde – comme une contrée où s’abandonner. Les voix de Juliette, Michelle, Cléa et Flora illustrent superbement cela.»

GENA

Opening Night – Gena Rowlands

«Opening Night de Cassavetes est un de mes films fondateurs. C’est aussi bien Gena Rowlands que son personnage, Myrtle Gordon, qui m’ont inspiré ce titre. En particulier cette scène où elle se met à divaguer, assise au comptoir. Je me suis demandé ce qu’elle pouvait bien avoir en tête à ce moment-là.»

NOWHERE SLOW

Olympics – David Hockney

«Je ne saurais expliquer pourquoi cette chanson est associée à ce plongeur de Hockney. Peut-être parce que ses tableaux sont des espaces propices à l’imagination, des centaines d’histoires peuvent apparaître en filigranes. Si plongeon il y a, ce serait à l’arrivée du refrain : le narrateur échappe à son ami qui le harasse, le fait enrager.  La mélodie de basse semble suivre sa nage, elle ondule comme lui.»

AND THEN HE

Fusain Savane – Anne Chamberland

«Tout ce disque est une tentative. 13 saynètes, de courtes histoires qui ensemble forment un tout, un ensemble. And Then He traduit cette idée de tenter l’essai, prendre le risque, vaincre ses peurs et avoir confiance. J’ai une grande tendresse pour les premiers albums, c’est pourquoi réaliser le mien et le produire seul n’a pas été une mince affaire. La conclusion se trouve à la fin du disque: And then he tried. Il a essayé, et s’est donné tous les moyens pour y parvenir. Cette photo prise par Anne d’À deux doigts [duo de dessinateurs-graphistes qui réalisent toutes les pochettes de Lenparrot – NDR] m’a permis de finir l’écriture de l’album l’été dernier. Le titre « And then he » a été trouvé en la regardant, je voyais comment tout conclure – comment coudre les chansons les unes avec les autres. Elle a quelque chose de très graphique, une atmosphère singulière. C’est mon point d’orgue. »

Wilfried Paris

Lenparrot
And Then He (Atelier Ciseaux)

Un autre long format ?