CC Julien Bourgeois

Le réalisateur Jean-Luc Lehmann consacre une série radiophonique à une icône de la chanson, Etienne Daho. Décliné en 9 épisodes d’une heure et diffusé sur France Inter, Daho fan de pop est documentaire d’une élégance rare qui peint le portrait intime et poétique du chanteur.

 

Pourquoi avoir pensé à Etienne Daho ?

Pour les 15 ans de la mort de Gainsbourg, je m’occupais d’une radio suisse assez audacieuse, Couleur 3, et on avait fait une semaine d’antenne complète d’écoute de sa musique, chantée ou écrite par lui, avec des tas d’invités. Daho fait partie des artistes avec le plus de potentiel dans leurs œuvres. Quand les MFP (Médias et Francophones Publics) m’ont proposé de prendre en charge une série en 2017, j’ai pensé à Daho, mais il était en plein enregistrement de son album, Blitz. Comme c’est un perfectionniste, il a refusé pour rester concentré sur sa musique mais son agent m’avait prévenu qu’il accepterait si on était patient. Et puis il a une voix qui vous susurre des choses à l’oreille, et radiophoniquement, c’est magique.

 

Il y a beaucoup de voix familière dans cette série : Françoise Hardy, Benoit Cachin, Jane Birkin, des amis d’enfance d’Etienne Daho et celle de Chrystelle André, la voix de l’émission la plus underground de la télévision, Tracks. Daho, c’est un peu la pop qui naît de la culture underground ?

C’est quelqu’un de tout à fait étonnant à ce niveau car il touche un public très large, on peut le voir dès l’album La Notte, la notte (1994), presque tous ses albums sont certifiés disque d’or ou de platine, et en même temps, il est reconnu par une frange assez underground. Est-ce que sa musique vient de là ? C’est une bonne question. Mais jusqu’à présent, il n’était pas toujours évident de repérer ses premières influences qui sont le Velvet ou Syd Barrett. Maintenant, avec Blitz, oui, tout devient plus clair. Mais parmi ces voix, il y a 37 intervenants au total dont aussi Edith Fambuena la guitariste du groupe Les Valentins qui l’a accompagné dès Pour Nos Vies Martiennes (1988). Je retiens surtout Criquette Eluard, son ami d’enfance, qui m’a beaucoup touché. C’est sa soeur de coeur, ils ont presque été élevés ensemble et elle en parle magnifiquement bien. Sur le plan humain, c’est elle qui le comprend le mieux.

On découvre aussi l’amour que Jeanne Moreau lui portait :  elle parlait de lui comme d’“un matelot égaré qui prend l’amour pour un rocher”.

Cette anecdote incroyable vient de Sandra Gaudin, une metteuse en scène qu’Etienne a rencontrée il y a dix ans. Je suis tombé des nues quand elle nous a raconté que Jeanne Moreau était tombée amoureuse d’Etienne Daho, que c’était son dernier amour. Il se trouve que Sandra et Etienne étaient en vacances ensemble juste avant que j’aille l’interviewer chez elle, en Suisse. Et comme il aime avoir le contrôle des choses, je pense qu’il a dû lui donner le feu vert pour nous raconter cette histoire. Ce qui est drôle c’est que c’était ma dernière interview, j’avais déjà beaucoup trop de matière donc j’y suis allé à reculons, pour la forme.

La radio permet ce lâcher prise, plus qu’un autre média ?

Oui. Daho l’explique lui-même dès l’introduction du premier épisode. On peut dire quelque chose avec cynisme ou humour en radio et l’auditeur le captera tout de suite. Tandis que les gens deviennent différents devant une caméra, on ne peut pas en faire abstraction. Et Etienne déteste les caméras, alors qu’en radio cela devient vite assez chaleureux et intime. On a fait toute l’interview dans son salon, c’était cool. Assis dans des fauteuils, l’après-midi, le soleil traversait la pièce, il y avait une belle ambiance, on était bien. Ça compte. On ne dit pas la même chose quand l’interview se fait dans un café.

Comment donne-t-on à entendre ce qu’on ne peut pas voir ?

Je pense que c’est une série qui vous emmène, vous êtes embarqué par l’affaire même si vous n’êtes pas fan ou passionné par Daho, vous apprenez des choses sur lui qui n’avaient jamais étaient dites. On ne cherchait pas du tout le scoop, on voulait raconter sa vie de la manière la plus authentique possible, mais il y a des choses assez intimes, personnels qui en ressortent. Son père qui vient le voir à l’Olympia mais qui refuse de le croiser après le concert, cela a donné naissance à la chanson Boulevard des Capucines. Avant cet épisode, la soeur d’Etienne l’embarque car elle voulait voir leur père. Il l’accompagne, mais sans en avoir envie. Il se retrouve dans l’appartement de son père qui a une nouvelle femme et des nouveaux enfants, et il les présente à sa nouvelle famille comme des cousins. C’est d’une violence totale.

La force de cette série, c’est qu’elle suit la ligne chronologique de sa naissance jusqu’à la sortie de Blitz, son dernier album, mais sans jamais tomber dans un récit linéaire.

C’est vraiment ce qu’on cherchait à faire et ça a été un travail minutieux. On a scripté mot à mot toutes les interventions, tous les textes, pour retrouver par mot clé à quel moment on avait parlé de tel ou tel sujet. On a classé tout ça par catégorie, jusqu’au moindre détail. Il a fallu raconter une histoire qui commence par son enfance et finit par Blitz, mais au milieu, on voyage dans tous les sens. Si on avait fait ça de manière chronologique, ça n’aurait pas été intéressant radiophoniquement. On s’est arrangé pour que les épisodes soient le plus cohérents possible mais on pourrait très bien écouter le 4 avant le 3, 3 après le 6.

Le podcast a beaucoup fait évoluer le monde de la radio. Est-ce que c’est une chose à laquelle vous avez pensé ?

Bien sûr, encore plus pour ce genre de série qui est très écouté en podcast, les gens conservent les épisodes et les écoutent à leur guise. Avant ça, la radio était plus ou moins éphémère, maintenant, on retrouve toujours une trace. La série sur Gainsbourg date de 2001 et on peut encore la trouver. C’est aussi pour cela que cela en vaut la peine, d’autant plus que les MFP sont diffusés dans toute la francophonie, pas seulement en France, sur la RTBF en Belgique, RTS en Suisse, Radio Canada, RFI et France 24 aussi.

Est-ce qu’Etienne Daho a écouté la série ?

Il a commencé. Il trouve ça très bien et m’a dit qu’il allait l’écouter petit à petit car c’était dur de se retrouver confronté à lui-même et aux autres. Je crois très sincèrement qu’il fait ce métier car il est fou de musique, il est né dedans, il baigne dedans, même s’il n’est pas instrumentiste lui-même, c’est son moteur premier. Pas la célébrité ni l’argent. Etienne, il entend de la musique dans sa tête tout le temps, même quand il dort, ça le réveille et ça en devient même fatiguant.

Baptiste Manzinali

 

Notre numéro 207 qui mettait Daho à l’honneur en couv’ est toujours disponible ici.
Le premier épisode de Daho, fan de pop a été diffusé samedi 30 juin sur France Inter

Un autre long format ?