FOREVER PAVOT

Sous ses airs de contes absurdes, La Pantoufle, deuxième album d’Emile Sornin, alias Forever Pavot, est une ode à l’intime. Louise Beliaeff a rencontré l’artiste, un homme-orchestre qui s’avoue sans rougir « control freak » mais qui défend l’idée d’un artisanat pop sans filtre et sans pose. 

« Vous êtes auteur-compositeur-interprète, l’homme à tout faire dans La Pantoufle. Pourquoi aimez-vous travailler seul ? 

Je suis un peu un control freak. Ce qui est pratique quand tu es tout seul et maître de ta musique, c’est qu’il n’y a personne qui va te dire que faire une chanson de bossa nova, c’est mauvais goût. C’est ça qui est excitant. Je suis en dialogue avec moi-même. Mes copains me donnent leurs avis. Mais quelqu’un d’important m’a dit une fois : « Écoute les critiques mais ne les applique jamais. » Je fais écouter à ma famille, ma copine. J’essaie de me conforter dans certains choix. Je n’ai pas de recul car je suis tout seul. Mais j’adore ça. La solitude, c’est génial. Parce que j’ai des gens autour de moi. (rire)

Votre musique est-elle trop personnelle pour la « partager »? 

Lorsque j’ai un truc en tête, j’ai parfois du mal à l’exprimer, à expliquer à quelqu’un comment le faire. Tu ne peux pas forcer les gens à faire une musique qui ne leur ressemble pas. C’est pour ça que j’ai appris tout seul à jouer de la basse. Il y a aussi le fantasme de dire : « oui, j’arrive à tout faire tout seul de A à Z, ma musique, mon image, mon clip ». Pour le premier album, j’avais tout fait tout seul à l’exception d’une basse et d’une guitare.

Vous avez lâché du lest pour écrire La Pantoufle

Ça aurait été bête de ne pas m’entourer des musiciens avec qui je joue en live, mes copains. Comme Benjamin Glibert d’Aquaserge. Il a produit une partie de l’album, enregistré, m’a aidé à avoir un pâte sonore. La ligne basse/batterie dans La Soupe à la Grolle est signée Eric Laban et Maxime Daoud. Adrien Souleiman s’est occupé des cuivres, Arnaud Seiche, de la flute traversière. J’ai aussi fait des morceaux tout seul : Cancre, The Most Expensive Chocolate Eggs. Dans l’ensemble, c’est moi qui compose tout ou plutôt… Je joue et je dis : faites comme moi. (rire)

Votre titre Le Beeteck ne parle pas de boeuf, mais de d’argent. C’est un sujet qui vous inspire ?

Oui, l’argent transforme les gens. Ce morceau parle de mon rapport à l’argent, un rapport un peu étrange. C’est une histoire sur le fait de faire de la musique pour de l’argent, le fait de vivre de la musique sans se prostituer.

C’est quelque chose dont vous rêvez ?

C’est, en tout cas, une question que je me pose. Quel est le rapport que tu dois avoir avec la musique à partir du moment ou tu as fait un premier album qui marche ? Même si tu essaies d’être intègre, l’argent t’influence toujours un peu. Avec la maturité, mon rapport à l’argent a changé, mes priorités sont différentes. Je ne pourrais pas vivre exclusivement de la musique, je fais de la vidéo à côté. J’ai fait une vingtaine de clips pour une boîte de prod’. Une dizaine de pubs. Quick, Monsieur Meuble. En dehors de l’aspect financier, j’ai besoin de jongler entre l’image et la musique car sinon la composition, le métier de musicien devient quelque chose de mécanique.

Comment s’est passée la collaboration avec SebastiAn sur le disque Rest de Charlotte Gainsbourg ? 

C’était une super expérience. J’ai travaillé pendant deux mois sur les arrangements. J’ai ramené le côté organique, la pâte des vrais instruments. Lui aussi travaille seul, dans sa cave. C’est un geek de musique de films, de library. Comme moi. On se comprenait. Il me disait « Fais-moi un synthé à la De Roubaix », je lui envoyais, et ça collait.

Quelles autres collaborations rêvez-vous de faire ? 

Eddy Crampes. Je suis amoureux de sa musique. On essaie de bosser ensemble, je compose des parties instrumentales sur lesquelles il chante. Cela pourrait donner lieu à un EP ou un disque. J’ai très envie de faire de l’arrangement et de la composition pour d’autres artistes. Je sens que suis doué pour ça, plus que pour faire mes propres chansons.

Entre votre premier disque et celui-ci, vous êtes devenu papa. Quels en ont été les effets sur votre musique ?

Devenir papa, ça fait réaliser beaucoup de choses. Ça m’a permis de me décomplexer sur beaucoup de points. J’avais peur du regard du regard des autres sur ma musique, sur mon chant. Maintenant, j’assume complètement. Comme beaucoup d’artistes, je suis très sensible aux regard d’autrui, à ce que l’on peut penser de moi. J’ai passé un cap. Je n’en ai plus rien à faire. Je suis un grand quoi. Je n’ai plus besoin de me justifier.

Vous assumez donc l’absurdité de La Pantoufle ? 

Je ne voulais pas tomber dans la pop dramatique très premier degré. Faire des photos où je fais la gueule, où je suis beau gosse. Il faut assumer ce que l’on est. Ce n’est pas grave si tu n’es pas vraiment tourmenté, si tu n’es pas un artiste maudit. Comme tout le monde, tu vas faire les courses avec ta maman au supermarché pour l’aider. C’est génial d’ailleurs de faire ça. J’espère que Booba va au supermarché avec sa maman. On est tous des humains, faut arrêter de sacraliser le truc. Moi, je veux jouer la sincérité à 100%. Je pense que les gens l’ont vu, avec mon expérience « Le Bon Coin Forever. » Je suis un jeune de 32 ans qui a un petit garçon, et qui a plein de défauts.

La sincérité passe par le chant en français ? 

Oui. C’est la mode de chanter en français, dans deux ans on dira que c’est plus underground de chanter en anglais. Mais aujourd’hui, ça me parait logique de chanter en français car ma musique est très influencée par la France, la musique de films français, la pop française des années 60-70.

Quand vous êtes en live, comment faites-vous pour être authentique ?

On est très souriants. On a une joie de vivre, un truc. Je joue avec mes copains sur scène, on fait le métier le plus sympa du monde, on s’amuse. D’ailleurs on dit bien « jouer » de la musique. Je ne comprends pas les gens qui font la gueule sur scène. Mais amuse-toi ! Sinon va travailler au Franprix à côté de chez toi. On fait un métier fabuleux. Il faut s’éclater et se marrer.

Et quand aura-t-on l’occasion de s’éclater avec vous ? 

La release party de La Pantoufle aura lieu le 15 mars, à la Maroquinerie. On jouera également pour la réouverture de la salle le Confort Moderne à Poitiers le 15 décembre. Ce sera la première date de la tournée et les dix ans de Born Bad Records. Une soirée très forte en émotion… et en alcool. »

ENTRETIEN : Louise Beliaeff
PHOTO : Corentin Fohlen pour Born Bad Records

L’histoire de La Pantoufle est à lire dans le numéro 207 de Magic, actuellement en kiosque
La Pantoufle (BORN BAD RECORDS)

Un autre long format ?