Comment Charlotte Gainsbourg a apprivoisé la scène

Charlotte Gainsbourg a mis plusieurs années à dompter la scène, avant d’atteindre une forme de plénitude dans la foulée de son album Rest, en 2017 et 2018. Elle est de retour sur scène au Days Off Festival à la Philharmonie de Paris le 9 juillet.

Une belle soirée de printemps, les premières notes de Lying With You résonnent dans le bois de Vincennes. Les musiciens prennent place derrière leurs instruments, Charlotte Gainsbourg apparaît au milieu de la scène principale de We Love Green, fait un rapide salut au public, puis s’installe à son piano. Concentrée mais confiante, et surtout, avec un sourire qui ne la quittera pas du set. Ce n’est peut-être pas flagrant, mais là, elle se lâche grave”, glisse malicieusement Julien Bescond, directeur artistique du label Because, qui suit la chanteuse depuis près de 10 ans. “Une date hyper excitante. C’était génial, très joyeux”, s’enthousiasme la chanteuse, jointe par téléphone une semaine après le concert. Dans la bouche d’une autre, les mots auraient pu paraître banals. Mais formulés par l’artiste de 46 ans, ils traduisent une importante évolution : elle prend enfin son pied sur en concert, après s’être longtemps faite dicter ses expériences scéniques par sa timidité maladive.

“Plus jamais, la scène, c’est pas mon truc”

Une appréhension qui a même failli la dissuader de sortir du studio. Le traumatisme remonte à l’époque de 5:55, son album composé par Air en 2006, le premier depuis Charlotte For Ever, écrit par son père 20 ans plus tôt. “Je me souviens de mon premier concert privé. J’étais tellement en panique, ça s’était tellement mal passé, que je me suis dit : plus jamais, la scène, c’est pas mon truc”, se souvient la fille de Serge Gainsbourg et de Jane Birkin. “Tous deux commencé la scène très tard, ce qui me donnait la légitimité de penser que je pouvais faire des albums sans faire de tournée”, admet la chanteuse, qui se souvient des premières dates de son père. “Il était tétanisé de trac, à chaque fois. Ma mère aussi. Tous deux m’ont montré à voir une vraie panique ! Mais faire de la scène me trottait dans la tête… J’en rêvais toujours.” Alors Charlotte remonte sur scène en 2010, avec les musiciens de Beck, avec qui elle a collaboré sur IRM (2009) et Stage Whisper (2011). “Grâce à lui, j’ai pu travailler sur un premier spectacle… mais, chaque soir, ce n’était que de la peur. Sans plaisir”, lâche-t-elle. “Charlotte, c’est quelqu’un qui a besoin de temps”, complète Julien Bescond, de Because. “Et là, même si le courant passait avec elle, il y avait quand même une certaine distance chez ces musiciens. Elle était rassurée musicalement d’avoir des gros cadors derrière elle, mais ça ne l’a pas forcément aidé à être elle-même.

Assumer ce côté fragile

Le déclic s’opère lors de la tournée qui suit. A partir de mai 2012, elle partage la scène avec Connan Mockasin. Le Néo-zélandais vient composer en partie Stage Whisper, son 4e album. “J’ai fait des concerts avec sa troupe, c’était très joyeux, plus petit, j’avais l’impression qu’on ne se prenait pas du tout au sérieux”, se souvient-elle. Une collaboration qui se mue une amitié au fil des dates. Et qui débloque quelque chose. “Il l’a mise à l’aise”, note Julien Bescond. “D’ailleurs, c’est à la suite de cette tournée qu’elle s’est mise à écrire ses propres textes. Plusieurs morceaux de Rest, son dernier album, sont nés à cette période.” Un disque, sorti en septembre 2018, intime mais libérateur pour sa compositrice. “Le fait de l’avoir écrit m’a donné envie de le défendre en concert”, confirme Charlotte Gainsbourg. Pour la première fois, elle pressent qu’elle n’aura pas besoin de forcer sa nature. “SebastiAn a produit l’album avec vraiment ce que je suis, la voix que j’ai. Ca me donnait une légitimité pour assumer ce côté fragile sur scène.” Cette fois, plutôt que de se joindre à un backing band de luxe, elle commence à travailler en petit comité, avec deux musiciens, Paul Prier et Bastien Doremus. Le duo, aussi connu sous le nom de Toys, a monté et joué sur le premier live de Christine and the Queens. Direction New York, ou la chanteuse habite, pour les répétitions. “On a commencé à trois, avec des bandes pour les parties que l’on ne pouvait pas jouer”, se souvient Bastien Doremus, le directeur musical de la tournée.

“Jusqu’à présent, j’avais l’impression d’être une pièce rapportée”

Pour trancher avec les précédentes tournées, plus intimistes, lui et Charlotte Gainsbourg ont voulu conserver l’énergie du disque et de la production de SebastiAn. Avec ce dernier, Bastien Doremus réarrange les nouvelles chansons et quelques anciennes. “Une vibe années 80, reboosté à la sauce d’aujourd’hui”, résume Julien Bescond. Sur scène, des carrés de néons blancs donnent à l’ensemble un côté art contemporain. “Charlotte représente un certain bon goût, il fallait lui trouver la bonne esthétique”, assume le directeur musical de la tournée. En parallèle, le petit groupe s’élargit, avec des amis, des connaissances, avec entre autres Louis Delorme, le batteur de Air ou encore Gerard Black, claviériste écossais croisé chez François & The Atlas Mountains. “On est tous un peu de la même génération, il y a un liant”, note le musicien. De quoi mettre Charlotte Gainsbourg à l’aise. “On ne se connait pas encore très bien, mais j’ai l’impression de partager la scène avec des gens qui me sont proches”, ose la musicienne. “Jusqu’à présent, j’avais l’impression d’être une pièce rapportée.” La voilà donc propulsée tête de pont d’une joyeuse bande, avec elle aussi son instrument, le piano. Pouvoir en jouer a même été l’une de ses premières envies. Même avec sa formation classique, l’artiste ne s’était jamais sentie assez à l’aise pour en jouer sur scène. “C’était un rêve que j’avais depuis 5:55 – j’aurais pu énormément m’amuser avec les parties jouées par Jean-Benoît Dunckel de Air. Mais je n’ai pas réussi. Je n’avais pas fait ce chemin du live.”  Désormais, le piano représente pour elle un intense plaisir musical, mais pas que. “Ca me donne une contenance”, avoue-t-elle sans détour, elle qui ne sait pas encore toujours quoi faire de ses mains ou comment s’adresser au public. Dans le spectacle, il y a bien quelques interventions réfléchies en amont. “Mais dès que j’essaie de dire trois mots qui n’étaient pas prévus, je m’emmêle les pinceaux… La timidité reprend le dessus. Et pourtant, j’en ai très envie !”, rigole la chanteuse, qui commence tout juste à prendre pour argent comptant les conseils de ses glorieux collaborateurs : Beck, Guy Emmanuel de Homem-Christo des Daft Punk ou même Paul McCartney, qui lui a donné une composition pour son dernier disque… “Ils m’ont tous dit : sois toi-même sur scène. Ce message, je ne l’ai pas toujours entendu. Mais maintenant, je ne me mets plus cette pression d’être toujours en contrôle, j’essaie d’être plus naturelle.

“J’entends encore son timbre”

Un lâcher prise aussi illustré par deux titres qu’elle n’avait jamais osé ajouter à son répertoire sur scène : Lemon Incest et Charlotte For Ever. Deux morceaux écrits et chantés avec son père, Serge. Ses chansons préférées. “Jusqu’à présent, je me suis toujours dit que je ne pourrais plus les jouer parce qu’il n’est plus là”, confesse Charlotte Gainsbourg. Finalement, elle se lance en les intégrant à sa setlist. Et ça fonctionne. “A chaque fois, sur ces deux morceaux, j’ai un plaisir intense. En particulier avec le public français. Pour eux, c’est quelque chose de très familier.” Restait une question, brûlante : qui pour incarner les parties de son père ? Le public ? Un chanteur masculin ? “Il n’était pas question de mettre sa vraie voix. Et puis un jour, je me suis dit que je n’avais qu’à les chanter.” Le défi est relevé : ce soir de printemps, la foule chante avec elle. Serge n’est jamais vraiment parti. “J’entends encore son timbre, son débit… Si les gens connaissent les morceaux comme moi, ils l’entendront aussi.

Nicolas Angle
[Cet article a été publié pour la première fois dans Magic en juillet 2018, dans notre numéro 210]

Le Days Off Festival se déroulera du 4 au 13 juillet à la Philharmonie de Paris, avec une splendide programmation.