Patrice Mancino, directeur du label Quixote R.P.M et Benjamin Caschera, co-fondateur de La Souterraine, sont parmi les meilleurs connaisseurs de l’underground français. Voici un extrait de leur entretien croisé à découvrir dans le numéro #207 de Magic dans le cadre de notre dossier “français, langue pop vivante”.

Parvenez-vous à identifier les raisons qui font que les groupes choisissent plutôt le français que l’anglais ?

B. C. : Parfois, c’est la non-maîtrise de la langue. Souvent, c’est juste une volonté de “sonner”, plutôt que d’exprimer des choses.

P. M. : Dominique A, Diabologum, ou même Noir Désir, ont à un moment ont chanté en anglais. Il faut un déclic pour passer en français.

B. C. : Les premières chansons de Barbagallo étaient en anglais. Un ou deux titres du futur album sont des versions ré-adaptées. La mélodie de la voix est la même mais avec de nouvelles paroles. Faire interpréter en français des chansons originelles en anglais est un jeu intéressant. Les sons sont différents. Parfois le sens aussi.

P. M. : Je prends souvent en exemple de Marie Laforêt qui reprenait Lee Hazlewood et Nancy Sinatra avec Gérard Klein en 1969. Ça donnait Le Vin de l’Été pour Summer Wine. C’était une traduction littérale parce que le texte s’y prêtait. Et même en français, il sonne, le texte.

B. C. : L’industrie de la musique avait besoin de matière à cette époque et faisait traduire des standards que personne n’avait encore écoutés ici. Ce qui me rendrait assez curieux, ce serait une adaptation de Bonnie Prince Billy, comme on a pu en faire de Bob Dylan.

PM : Baptiste Hamon a réussi à le faire chanter en français sur un refrain, dans leur duo (Comme la vie est belle). C’est une des nombreuses passerelles entre le français et l’anglais qui apparaissent en ce moment. On voit, dans le hip hop et dans le beat-making, que des artistes américains n’ont pas forcément de réticence à écouter du français. Et je ne vois pas pourquoi un Anglais ne serait pas raide dingue de O. Chaque genre a ses vagues et ses cycles. En ce moment, le rap est dans l’anglicisme, et c’est dommage. Le rap d’ici a beaucoup régressé, me semble-t-il. Souvent, les artistes français choisissent l’anglais par facilité finalement.

B. C. : Ils peuvent aussi se cacher derrière…

P. M. : Oui, parce que peu de monde parle bien anglais en France.

O, comme Stranded Horse, sont capables de produire des albums en deux langues parfaitement cohérents. Peuvent-ils être précurseurs de quelque chose ?

P. M. : Moi je dirais qu’ils sont pile dans leur temps ! Les genres sont de plus en plus hybrides. Olivier Marguerite faisait partie de Los Chicros. C’est intéressant de se dire qu’un seul groupe donne d’un côté, O, et de l’autre, Judah Warsky.

B. C. : Aujourd’hui, le fait de se lancer en français, c’est sortir de l’homogénéisation totale. La liberté de l’artiste prime. Prenons Marietta, par exemple. Il faisait partie de Feeling of Love. Il a sorti un premier album 100% en solo en anglais (Basement Dreams are the Bedroom Cream, 2015). A La Souterraine, on lui a proposé de faire un titre en français pour le jeu. Il y a pris goût. Aujourd’hui son album (La Passagère) est à 100% en français et j’ai l’impression qu’il ne va pas revenir à l’anglais. Enfin, je n’en sais rien. Mais voilà un artiste parti pour être un auteur, alors qu’il vient du garage.

Quels sont, selon vous, les artistes français ou les disques, qui ont le plus contribué à décomplexer les chanteurs et les groupes français dans la démarche consistant à rendre le français pop ?

B. C. : L’intégrale de Gainsbourg. Il est le gars le plus cité dans les influences de ce que j’observe chez les musiciens de tous âges maintenant. Même réponse pour Dominique A chez les plus de 35 ans. Et Diabologum. Moi personnellement, les deux disques qui ont changé ma perception ont été La Langue d’Arlt (2010) et Ce Très Cher Serge d’Aquaserge (2011), deux visions de la langue très poético-ludiques.

P. M. : Ils ne sont pas francophones mais Daniel Johnson ou John Frusciante peuvent très bien avoir complètement décomplexé les artistes aussi. Je les avais inclus, à dessein, dans un blind test dont le thème était “je chante faux et je vous emmerde“. Mais en réalité ils ne chantent pas faux, ils chantent comme on n’a pas l’habitude de l’entendre, avec leur logique. Moi quand on me demande, “quel est le disque qui t’a le plus marqué ?“, je réponds toujours que c’est celui qui va venir, le prochain. Le rock a 70 ans. Ce n’est rien du tout à l’échelle de l’histoire de la musique.

Entretien à découvrir dans son intégralité dans le numéro #207 de Magic.

Crédits photo : Cédric Rouquette

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