Nils Frahm, pic, 2021
Visuel dérivé de la pochette de l’album de Nils Frahm

Les 15 meilleurs disques sortis au bout de l’année, pendant que nous finalisions notre retour

Nous vous devions une sélection des plus belles sorties des semaines "creuses" de fin d'année, puisque trop occupés par notre retour en version papier, nous n'avions plus publié de playlist depuis le 19 novembre. Voici 15 albums pour accompagner les fêtes, de Richard Dawson à Nils Frahm, en passant par Catalina Matorral ou Gabriels.

Ce sera notre dernier relevé des sorties et notre dernière playlist de 2021 avant de basculer vers notre hebdomadaire papier. Nous n’avions plus publié de playlist depuis le 19 novembre. Trop occupés à relancer la version papier de Magic, désormais acquise grâce à vous, nous avons malgré tout mis de côté quelques sorties qui comptent pendant que nous bouclions notre liste des 100 meilleurs disques de l’année. Les voici. Passez d’excellentes fêtes ! Et on se retrouve mi-janvier pour un nouveau relevé des sorties, cette fois-ci dans notre hebdo nouvellement créé.

CATALINA MATORRAL
Catalina Matorral

(VIA PARIGI / OUTRE-NATIONAL / LE SAULE) – 24/11/2021

Catalina Matorral, c’est l’association entre deux sensibilités musicales rares, poétiques et amoureuses du temps long, celles de Marion Cousin et Borja Flames. Il a fallu sept ans aux deux artistes pour clore ce projet né de l’enchevêtrement de leurs sensibilités. Ce sont des chansons, sans ambiguïté : l’expression vocale y est chouchoutée, la sûreté rythmique des dix morceaux est conçue pour laisser libre cours aux voix dans tous leurs paris fous et leur fragilité. Mais c’est de la pop expérimentale comme les deux artistes la pratiquent : la réalité des sons y est distordue comme dans les tableaux de Dali, jazz, électro minimaliste, sons ibériques et art du sampling trouvent une voie commune à emprunter. Qualifiée joliment de “science-fiction curieusement rurale” par Sing Sing, moitié du duo Arlt et ami du projet, la musique de Catalina Matorral est une expérience musicale précieuse.

RICHARD DAWSON & CIRCLE
Henki

(DOMINO RECORDS) – 26/11/2021

Attention, voici une musique pour oreilles hardies. Ou, du moins, un minimum rompues aux excentricités du songwriter folk-rock de Newcastle. Un graal pour nerd, un casse-tête pour d’autres. Sur le fond – il est ici question d’épopées historiques accolées au monde bien connu de la botanique (!). Sur la forme aussi – Henki est une collaboration avec un groupe de prog expérimental finlandais, Circle, qui sert de doublure au moins aussi fantasque au falsetto et à la science de Dawson, précise comme la mine d’un crayon. Fascinant, à condition, peut-être, de réserver ce plaisir aux heures de la journée où le cerveau est le plus disponible.

DAVID BOWIE
Brilliant Adventure [1992-2001]

(PARLOPHONE / ISO RECORDS) – 26/11/2021

Les années 1990 de Bowie réunies dans un coffret 11 CD ou 18 vinyles – le cinquième de la campagne maousse de rééditions débutée quelques mois avant sa mort le 10 janvier 2016. Soit l’époque où, après avoir laissé son génie griller sous les projecteurs des eighties, Bowie choisissait de recoller à l’avant-garde. La parenthèse Tin Machine et ses deux albums zappés (pour des questions de droits probablement), Brilliant Adventure couvre cette décennie où l’artiste fait éponge aux sons nouveaux remontés à ses oreilles. Lui qui savait s’entourer comme personne pour donner corps à ses instincts renoue ici avec Brian Eno pour le cyber-récit d’Outside (1995), ou plonge la tête la première dans l’indus et la drum’n’bass en vogue pour Earthling (1997). Les deux plus franches réussites d’une décennie d’expérimentations – et de transition – où toutes les pistes ne menaient pas forcément à de grands disques. Comprend également la version standard du touchant Toy, son album d’auto-relectures enregistré en 2000 et jamais publié jusqu’à cette année 2021.

R.A.P. FERREIRA
the light Emitting Diamond Cutter Scripture
s
(RUBY YACHT) – 26/11/2021

Tout est méandre chez Rory Allen Philip Ferreira. Depuis cette identité diffractée en trois alias : R.A.P. Ferreira donc, Milo ou bien Scallops Hotel – sans compter ses incarnations en groupe, Ruby Yacht ou Nostrum Grocers. Jusqu’à la musique elle-même : rap du premier rang, intello et curieux, qui semble se nourrir de brouillons jazz et de ratures électro en même temps qu’il les gomme. Hip-hop palimpseste, prose sibylline, flow groggy : ce… (il faut additionner chaque portion de sa carrière et soustraire les mixtapes et les EP, attendez une minute…) huitième album consolide l’œuvre du feu follet de 29 ans, qui semble réapparaître dans un coin différent des États-Unis à chaque nouveau projet. Pour initiés, qui aiment leur rap moody et sans bangers.

NILS FRAHM
Old Friends New Friends

(LEITER) – 03/12/2021

“Je pourrais peut-être dire que c’est un album sur lequel j’ai travaillé pendant douze ans, et que j’ai enfin assez de matière ?” Puisque ce nouveau disque de Nils Frahm – un double ! – ne dit pas vraiment son nom, précisons que s’il est présenté comme un album à part entière, il pourrait aussi bien être rangé dans la colonne “compilations” de sa discographie. Old Friends New Friends agglomère vingt-trois morceaux quasi tous inédits, enregistrés entre 2009 et 2021 par l’artiste allemand. Entre crachin de la pluie, crachotement de l’enregistrement et bruissement de la mécanique, ces petites poignées de minutes de piano solo (pas de beats ou de synthés cette fois) se font suite sans casser la chaîne du rêve.

YOU SAID STRANGE
Thousand Shadows Vol. 1

(LE CÈPE RECORDS / MODULOR) – 03/12/2021

Le groupe de Giverny, Normandie, revient avec ce Thousand Shadows Vol. 1, soit la première moitié d’un deuxième album qui préfère ne pas tout dire tout de suite. En attendant, libre à chacun d’obéir aux instructions de la pochette qui demandent à ce que le disque soit joué à haut volume. C’est une option. Mais on est aussi en droit de penser que le canevas psyché capiteux de You Said Strange, ici affiné par la production de D. James Goodwin (This Is the Kit, Kevin Morby, Wand, Bob Weir) fonctionne tout aussi bien en écoute monacale dans le noir. C’est un compliment.

GABRIELS
Bloodline EP

(ATLAS ARTISTS / PARLOPHONE) – 03/12/2021

Deuxième EP pour le trio de Los Angeles après le brillant Love and Hate in a Different Time paru en décembre 2020. Les producteurs Ari Balouzian et Ryan Hope remettent de nouveau en sons la voix immaculée de Jacob Lusk. Les voilà invitant des cordes de cinéma à l’église, peuplant leur soul d’apparitions sonores, taillant un costume XXL pour un gospel éclopé. Pas si loin d’un James Blake quand les vagues synthétiques viennent gonfler la trame dramatique, ce Bloodline appelle forcément un long format pour ajouter l’endurance au volume déjà impressionnant de la musique.

MAGON
In the Blue

(HOWLIN’ BANANA) – 26/11/2021

Le troisième album de l’Israélien relocalisé à Paris Magon, le deuxième paru cette année, est un disque qui ne cache pas quelques fixettes. Les Pixies, en particulier ceux des élans surf de Bossanova (Forever). Une mythologie rock qui n’échappera à personne (Maharishi Mahesh Yogi, dit le troisième morceau). Ou encore des scansions qui ont dû le marquer et qu’il ressort plus ou moins volontairement. Mais Magon n’est ni le premier ni le dernier à marcher le long de cette ligne claire, où les guitares carillonnent et où les rythmiques gambadent sans jamais trébucher. Et quand c’est très bien fait comme ici, il n’y a qu’à se laisser hameçonner.

FLEET FOXES
A Very Lonely Solstice

(ANTI- / [PIAS]) – 10/12/2021

L’album physique ne sera disponible qu’au printemps prochain mais, pour patienter, un tour sur les plateformes de streaming vous permettra de (re)vivre cette performance de Fleet Foxes enregistrée en décembre 2020 et live-streamée sur les écrans d’un monde réglé sur l’alternance confinement/couvre-feu. Fleet Foxes formule réduite – c’est-à-dire Robin Pecknold, une guitare et éventuellement un chœur féminin en intro – déploie sous les voûtes de l’église St. Ann & The Holy Trinity de Brooklyn ses envolées lyriques et ses mélodies à pas de velours. Le qualificatif “religieux” étant un peu facile ici, on dira par défaut que l’atmosphère est magnétique.

MICHAEL HURLEY
The Time of the Foxgloves

(NO QUARTER RECORDS) – 10/12/2021

Il y a fort à parier que beaucoup d’enfants spirituels de Michael Hurley – toute la scène freak folk mais aussi Cat Power, qui fit merveilles de Werewolf ou Sweedeedee – nourrissaient bien plus d’ambitions pour ses chansons que lui-même n’en avait jamais eu. Sa folk artisanale, comme bricolée avec des jouets en bois, héritée de la tradition des jug bands et casanière au possible, fait partie de ces choses qui, déjà en retrait il y a cinquante ans, paraissent aujourd’hui complètement en rupture avec notre époque d’hyper-tout : sécurité, connectivité, et même hyperpop depuis quelques années. Le savoir toujours là est déjà, en soi, réconfortant. Qu’il soit encore capable d’un disque aussi frugal et attendrissant que ce The Time of the Foxgloves mérite carrément nos applaudissements.

HH POLDER
This Tree Revisited EP

(LES DISQUES NORMAL) – 10/12/2021

This Tree Revisited EP est la réédition, en version augmentée, des travaux du duo parisien HH Polder, actif dans la deuxième moitié des années 2000, et qui a eu l’excellente idée de donner une deuxième jeunesse à ses archives. “Tant d’émotions à transmettre à voix basse” : cette formule, imprimée par Magic en 2006, est devenue la baseline quasi officielle de cette esthétique mêlant folk, lo-fi et post-rock, sorte de Hood de poche ou de Piano Magic de nos terroirs, sous la signature de Julie Konieczny (chant) et Thomas Ess (guitare, clavier). Ces émotions-là semblent éternelles.

MAXWELL FARRINGTON
Maxwell Farrington

(CRÈME BRÛLÉE RECORDS / BEAST RECORDS / LA NEF D FOUS ) – 10/12/2021

Au printemps, son Once réalisé à quatre mains avec Le SuperHomard – et classé neuvième de notre Top 100 de l’année – servait de mise à jour merveilleuse à la pop haute couture de Lee Hazlewood ou Scott Walker. L’hiver à peine installé, l’Australien revient avec un premier disque solo qui remonte haut la couverture. Douillet comme les arpèges de ses synthés, lové dans une bossa en français, ou même, parfois, quasi fiévreux dans son usage de l’électro, des guitares funk et des cuivres cheesy. Un pot-pourri réussi, pour les heures blanches du petit matin.

NEIL YOUNG & CRAZY HORSE
Barn

(REPRISE RECORDS) – 10/12/2021

Il y a la voix, chétive depuis le premier jour, qui paraît ici tout proche de se briser dès que les refrains grimpent un peu. Ce son très “premier jet” coffré dans le bois massif d’une grange des Rocheuses. Un Crazy Horse de plus en plus voûté par les années mais le geste preste dès qu’il s’agit d’épouser les humeurs de son leader. Et si rien de neuf ne pousse sous ce ciel d’americana balayé par des nuages (noirs) et des illuminations de papys, ce nouvel album de Neil Young, 76 ans, a l’émotion fragile et les éclats mélodiques que toute sa production récente manquait de peu (Colorado, 2019) ou de beaucoup (le tunnel 2014-2018). Son meilleur depuis Psychedelic Pill (2012) ?

MALHERBE
Azimuts

(LES DISQUES NORMAL) – 17/12/2021

Une suite de sept compositions ambient à l’économie majestueuse. Avec bourdons miniatures, chimères new age et glacis oniriques, comme un fil tendu entre la fantasmagorie d’Oneohtrix Point Never et la houle grouillante de Trent Reznor et Atticus Ross. Troisième album du français Malherbe, ce Azimuts pourrait bien être la musique dont rêveraient les ordinateurs en veille. Une nuit synthétique, faussement inerte, qui s’anime à la manière d’une banquise qui se craquelle ou d’une ombre qui glisse. Le voyage sonore de la fin d’année.

KOMODOR
Nasty Habits

(SOULSELLER RECORDS) – 17/12/2021

Il faudrait faire le test, mais si vous avez l’occasion de faire des cadeaux de Noël à des nerds de la pop aussi nerds que vous, vous pourriez mettre ce Nasty Habits de Komodor au pied du sapin et présenter ça comme une rareté dénichée chez un disquaire du Tennessee, l’album unique d’un groupe de Memphis ayant officié en 1974 dans lequel Chris Bell aurait fait quelques featurings en première partie du MC5 avant son accident. Ce serait tout à fait crédible, et il faudrait finir par lâcher la vérité : cette musique n’a pas été conçue en Amérique, mais en Armorique, c’est un hommage total, conscient, assumé, un exercice de style dans toute sa splendeur, en référence à cette période où le rock commençait à durcir ses sonorités sans rien lâcher à l’expression vocale et mélodique. L’un des grands moments des dernières Trans.

À retrouver également juste ici, sur Deezer.