Retour sur un grand disque jamais réédité avec l'album Torch des Américains néo-bossa-nova True Love Always, paru en 2000 sur le label Teenbeat.

LE CONTEXTE
L’année commence par un vol, celui d’un tableau qui vaut une fortune : Auvers-sur-Oise de Paul Cézanne disparaît au musée d’Oxford. Mystère… En Tchétchénie, aucun mystère, l’armée russe investit franco la capitale Grozny pendant qu’au pays les habitants se choisissent un nouveau président en la personne de Vladimir Poutine. Pinochet repart lui pour le Chili après seize mois de procédures juridiques en Grande-Bretagne. En France, adoption d’une loi qui interdit de chasser le mercredi. Contrairement aux traqueurs de gibiers, la grande faucheuse ne s’arrête jamais et fait jouer à Roger Vadim et Claude Autant-Lara leur dernière scène. Même le magicien Garcimore ne peut y échapper. C’est aussi l’année de naissance d’un monstre économique, Vivendi Universal. L’équipe de France de football est sur un nuage lorsqu’après avoir remporté la Coupe du monde en 1998, elle enchaîne avec le championnat d’Europe face aux Italiens. C’est la folie et la musique n’est pas en reste. Radiohead enfante un album qui suscite les plus folles espérances et Goldfrapp signe un premier disque qui restera son seul chef-d’œuvre. Lambchop revient de manière sublime sur une période de l’histoire américaine, et pour une fois, le personnage de Nixon se révèle prodigieux. Les Papas Fritas sont loin d’être cuits, ils libèrent majestueusement la pop. Quant à Luke Haines, il peaufine son délicieux art du cynisme avec Black Box Recorder. Pas loin, Trish Keenan de Broadcast écoute la rumeur du monde, et quel monde.

LE GROUPE
On est au début des années 1990. Un jeune type se roule des cigarettes tranquillement et regarde les jolies femmes passer – un dilettante. Il enregistre des chansons d’amour sur un vieux magnétophone et fabrique ses propres cassettes qu’il réserve à ses coups de cœur, mais ce n’est pas vraiment une réussite. Tard le soir, il essaie de jouer et traduire quelques hits bossa à partir des paroles du poète Vinícius de Moraes. Moraes a dit que “ la vie, c’est l’art des rencontres”, et John Lindaman ne peut pas contredire la pensée du parolier brésilien qu’il chérit. Après avoir rencontré un succès d’estime grâce à son groupe Operation Love formé avec son ami batteur Matt Datesman, John pense à un nouveau projet, toujours autour des histoires d’amour. C’est le temps des petites annonces et rapidement Tobin Rodriguez se retrouve derrière une basse. Rodriguez bossait pour une radio dans laquelle il programmait essentiellement des chansons tendres. True Love Always voit donc le jour. L’acte de naissance est entériné par un seul homme, Mark Robinson. Ce dernier et Lindaman ont partagé le même cursus universitaire mais c’est la musique qui va réellement les unir. Gourou du label Teenbeat – un équivalent design de Factory –, Robinson repère le trio lors d’un concert. Il lui propose de composer une chanson et de sortir ce single sur sa structure. Fabriqué à la main, Mediterranean est une superbe réussite. La romance entre True Love Always et Teenbeat peut commencer.


L’ALBUM
Après vingt-six heures tendues et bouleversantes, True Love Always finit par enregistrer son premier essai, When Will You Be Mine? (1997). En compagnie de Mark Robinson, le triumvirat fait ressurgir avec ses guitares cristallines les esprits d’Astrud Gilberto, Burt Bacharach, mais aussi Felt et The Wedding Present. On parle de néo-bossa-nova, de power pop et surtout de ligne claire. Cette dernière caractérise à merveille True Love Always, une ligne claire comme le fut celle de The Byrds ou de l’inaugural Murmur (1983) de R.E.M. Un magnifique parti pris pour la mélodie et l’innocence. Torch, le troisième effort de la bande, ajoute à cette passion mélodique un goût pour l’avant-garde et l’expérimentation. Grand amateur du jeu de guitare de Robert Fripp, John Lindaman s’en donne à cœur joie. La rythmique massive et métronomique qui parcourt la chanson Stream Up se voit illuminée par des accords de guitare légèrement décalés. C’est ce qui est beau dans la musique de True Love Always (comme dans celle de The Smiths) : entendre la colonne vertébrale rythmique sans cesse bousculée poétiquement par la liberté d’un jeu de guitare virtuose. Chaque composition est un labyrinthe, un évasement formel sensationnel. Underneath continue d’offrir cette pureté des arpèges comme savait les réaliser Maurice Deebank. La légèreté des notes se cabre face à la puissance du rythme tandis que la voix douce et neutre de Lindaman offre une passerelle entre les deux mondes – là réside l’harmonie de True Love Always. Les claviers légers viennent déambuler dans ces larges horizons, apportant une fraîcheur délicieuse. Toutes ces ritournelles sentent les premiers parfums d’une nuit d’été, frêles et éphémères comme la rosée. On a immédiatement besoin de les répéter jusqu’à l’obsession. Sunshine, duo estival imparable avec Evelyn Hurley, est la bande-son appropriée pour nos premières balades en bord de mer. La bossa 100 Years Of You marque la première accalmie de l’œuvre, une grande chanson mangée par un orgue comme l’amoureuse mange ses propres larmes – folle d’amour. Torch est la pointe vénéneuse où la mélodie s’assombrit magnifiquement, coursée par une rythmique d’enfer – intense comme une rupture. Le crescendo final est hallucinant de style et de maîtrise. Les accords frappés de Furs nous ramènent dans la cavalcade effrénée qu’est Torch. On a pris les voiles sur un torrent et on file à toute vitesse vers un point de fuite. Voilà un disque bondé de classiques (Windows Fade), qui impose immédiatement un son, une façon de métamorphoser le jazz, l’avant-garde et la bossa. La lumière qui l’illumine dure aussi longtemps qu’une journée d’été. Si vous comptez tomber sur l’amour ces prochains mois, offrez-vous ce trésor.

LA SUITE
Après Torch, c’est la floraison. Encore chez Teenbeat, True Love Always publie Spring Collection (2001), une compilation idéale bouffée par le bonheur et la ferveur. On y retrouve le single originel Mediterranean ainsi qu’une reprise bossa de Tongue de R.E.M. Tony Zanella succède à Tobin Rodriguez à la basse mais ça ne change en rien l’ardeur de la rythmique. Peu à peu, le temps est à la pluie tiède et chargée d’émotions. Inévitablement accompagné de Mark Robinson, True Love Always enregistre sous la houlette de Chad Clark un autre classique pop, Clouds (2003). Parfaitement produit et pensé, Clouds aurait dû être une réussite. Toujours frappé par l’excellence mélodique, John Lindaman y enchaîne les merveilles qui rencontrent malheureusement peu d’écho sauf en Asie où le groupe est suivi par des fans transis. Ainsi paraît quelques années plus tard Very Important Love Songs (2006), une autre compilation fabriquée en Thaïlande et diffusée par un distributeur thaïlandais. La vie amène finalement le trio à se séparer – il faut dire que ses membres n’ont jamais oublié de papillonner, que ce soit John Lindaman avec Aden, The Instruments et Latin Hustle ou Matt Datesman avec Flin Flon. Mais c’est surtout le déménagement du leader pour New York, le dilettantisme et la paternité qui expliquent le hiatus prolongé de True Love Always. John Lindaman poursuit aujourd’hui sa collaboration avec Teenbeat en sortant des pièces d’improvisation à la guitare où le musicien se retrouve mis à nu. Crowding The Octagon (2014) est son dernier album en date. On y retrouve dans la clarté de certaines notes, dans quelques changements et autres variations toute la force de True Love Always. Les histoires d’amour finissent mal en général ? Peut-être, mais elles riment aussi avec toujours.


Un autre long format ?