Retour sur un grand disque jamais réédité avec l'album Mystic Bud des Mancuniens Blue Orchids paru en 2004 sur le label LTM Recordings. Une trajectoire qui part de The Fall pour en arriver à un chef-d’œuvre.

LE CONTEXTE
À Bègles, Noël Mamère fait dans la résistance en célébrant le premier mariage homosexuel en France malgré l’interdiction du gouvernement Raffarin. C’est parti pour une année complètement folle. Jean-Paul II croit encore au miracle et se rend à Lourdes tandis que sans l’ombre d’une surprise Nicolas Sarkozy est élu président de l’UMP. Alain Juppé est lui condamné à une année d’inéligibilité. Henri Cartier-Bresson s’est malheureusement fait photographier par la grande faucheuse, d’un implacable instantané, en noir et blanc bien sûr. Facebook voit le jour et va très rapidement s’étendre. Les Américains, un brin masochistes, réélisent George W. Bush. Que du bonheur. Et la musique, que devient-elle dans ce grand bain absurde ? Morrissey revient en assez bonne forme pendant que les Canadiens de The Dears sortent l’album que le Moz n’est plus capable d’enregistrer. Destroyer publie tranquillement son chef-d’œuvre, Wilco croit aux fantômes et les Suédois de The Radio Dept. figurent parmi les plus belles promesses de la pop. Un joyeux foutoir… Normal pour une année bissextile !

LE GROUPE
Una Baines a souvent déclaré qu’elle a réussi à ne pas dormir pendant un an, et on peut décemment la croire. Une année gavée de psychotropes mais une année suspendue entre The Fall et Blue Orchids. Car Una Baines est l’ancienne petite amie du taciturne chanteur Mark E. Smith et surtout la claviériste de la première mouture de The Fall. Martin Bramah, prodigieux guitariste, faisait également partie du groupe originel que Julian Cope dit avoir vu sur scène vingt-huit fois en seulement deux ans. Blue Orchids est donc né d’une émancipation forcément houleuse avec Mark E. Smith – deux rescapés d’une dictature. Nous sommes alors en 1979 dans ce qui est l’une des villes les plus invraisemblablement laides d’Angleterre, Manchester. Julian Cope confiait qu’à cette époque, à Manchester, même la coupe de cheveux des habitants était ratée. Avec Una Baines, Martin Bramah se lance donc dans un nouveau projet, Blue Orchids, imaginant une épopée qui puisse lui permettre de travailler ses références avouées – The Velvet Underground, The Stooges, les premiers Pink Floyd. Mais le travail est surtout entrecoupé de cueillettes aux champignons hallucinogènes car pour ceux qui se sont toujours demandé ce que serait devenu The Fall si Mark E. Smith avait réussi à retenir Bramah, eh bien, la réponse est là : un putain de groupe psychédélique. Bref, la question ne se pose finalement pas car de l’aveu même de Mark E. Smith : “Les musiciens représentent la plus basse forme de vie.” Tiens, c’est peut-être l’une des pensées qui a traversé l’esprit du pourtant dangereusement perché Mayo Thompson (The Red Krayola), ce dernier ayant vécu la redoutable expérience de l’enregistrement du single The Flood/Disney Boys (1980) de Blue Orchids. Bramah raconte qu’il a vu le producteur pleurer à la fin des sessions, et certainement pas de joie. Suit une prodigieuse Peel Session. Malgré les consommations excessives de stupéfiants et les dérives mystiques et païennes, Bramah maintient le cap de Blue Orchids et développe des compositions singulières. Il nous propose un groupe partagé entre l’hystérie et une plénitude pastorale, la rencontre de Phil Spector et du Velvet – dans une cave naturellement. L’ensemble de ces vertus, on les retrouve sur le premier album de Blue Orchids, The Greatest Hit (1982), une réussite qui se place haut dans les charts. La bande à Bramah rencontre au même moment une icône, Nico. Ils assurent la première partie de la chanteuse, mais se bouffent la gueule dans l’héroïne. Tout devient rapidement plus compliqué. Les sorties discographiques deviennent chaotiques, les labels se débarrassent des contrats. Le groupe collectionne les départs dont celui d’Una Baines. Un single, Sleepy Town/Thirst, sort en 1985 puis Diamond Age en 1991. Les traversées du désert s’accumulent. Bramah retrouve même son bourreau (The Fall, donc Mark E. Smith) le temps d’un Extricate (1990) de bonne tenue. Finalement, après bien des doutes, Martin Bramah fait renaître Blue Orchids à la faveur d’un splendide effort, The Sleeper (2003). Originellement enregistré en 1993, le disque ne sort donc que dix ans plus tard. Bramah enchaîne rapidement avec Mystic Bud, une œuvre pensée comme un sortilège.




L’ALBUM
Mystic Bud est comme une séance de spiritisme, une conversation avec le passé. Passionné d’ésotérisme, Martin Bramah, durant ses jeunes années, pensait faire parler les ancêtres, comprendre le langage des arbres et du soleil. C’est certainement ce qui avait épuisé Mayo Thompson à l’époque – on peut le comprendre… La magie fait en sorte que ce qui aurait pu n’être qu’un immonde machin new-age devient finalement une superbe résurrection. Imaginez The Clean et Gorky’s Zygotic Mynci se muer en bête prodigieuse et vous aurez une idée du visage carnavalesque et psychédélique de ce grand disque. Shining Brow ressemble à un inédit des Feelies. Guitares sèches, limpides et nerveuses à la fois, voix lascive et tout en retenue, Blue Orchids se présente comme un Lou Reed bucolique. La manière dont Bramah appréhende la musique au fil des compositions rend cet album bouleversant. Étrange Eden convoquant tous ces échappés de la réalité qui, par moments, produisent la plus belle des musiques. Dans cette nef des fous, on pense au marteleur poétique Jad Fair (Half Japanese). La similarité vocale entre Fair et Bramah relève de leur adoration commune du Velvet Underground. Il y a aussi le gargantuesque Daniel Johnston, qui comme Martin Bramah, évolue dans un état virginal permanent, découvrant tout avec une curiosité d’enfant. Angel Of The Loop, avec sa flûte et ses claviers, rappelle les moments où Martin Duffy accompagnait Felt. Une pop de grande lignée, fière et orgueilleuse. Plus loin, The Secret Of The Sacred Orchid nous fait remarquer à quel point Christopher Owens devrait, si ce n’est déjà fait, écouter Mystic Bud – même appétence pour les arrangements qui frôlent parfois le kitsch, on pense notamment à cette flûte omniprésente. La reprise de The Archies est un petit musée des curiosités, cette pop song classique devenant ici un immense animal vicieux. En effet, comment reconnaître Sugar, Sugar de l’album Everything’s Archie (1969) ? La pop sucrée et solaire de The Archies ressemble ici plus à la longue prière droguée qu’est Heroin du Velvet Underground qu’à un vulgaire hit-parade. En cela, l’art de la métamorphose pratiqué par Bramah est splendide. Cette reprise est tout sauf anodine, elle provient du territoire de l’enfance et ce souvenir est passé à travers le filtre de l’obsession musicale – celle de Lou Reed, de Nico et du Red Krayola de Mayo Thompson. Disque de la renaissance, du pardon et de l’innocence fantasmée, Mystic Bud pourrait d’ici quelques années devenir l’album culte de toute une génération.



LA SUITE
Une vie bourrée d’ellipses, d’oublis et de renaissances. Tout ça vous pose un homme. Martin Bramah a finalement repris goût à la composition. C’est certainement dû au beau travail du label LTM qui ressort les merveilles enfouies de certains catalogues – Factory Records, Sarah Records ou Les Disques Du Crépuscule. Le label avait ainsi publié une superbe compilation de Blue Orchids, From Severe To Serene (2002), où l’on retrouvait les Peel Sessions du groupe, un EP et divers enregistrements de concerts. En 2008, Bramah sort un disque en solo, The Battle Of Twisted Heel, qui reflète sa passion pour le garage, la musique folk et le rock. Cet essai remarquable – on croit parfois entendre le Girls des premiers jours – ne lui donne aucunement envie de continuer en solitaire. Il lance un nouveau groupe, Factory Star, tout en continuant à tourner avec Blue Orchids. Cet artiste mythique n’a décidément aucune envie d’entendre le son du silence, et c’est tant mieux.

Un autre long format ?